LE DIF comment s’en sortir en 2010 ?
par Didier Cozin
mardi 20 octobre 2009
Le 14 octobre dernier le parlement a adopté en seconde lecture la Loi pour l’orientation professionnelle et la formation tout au long de la vie. Cette Loi installe définitivement le DIF dans le paysage professionnel français (en le rendant portable et même certain pour l’employeur). Le rôle des OPCA est profondément remanié (ils devront avant tout déployer et financer la formation des PME/TPE). Les grandes entreprises sont donc laissées seules face à leur nouvelle responsabilité éducative : généraliser en quelques mois un Droit Individuel à la Formation qu’elles ont largement négligées depuis 2004.
Le Droit Individuel à la Formation (DIF) est un dispositif cumulable et renouvelable (le crédit revolving de la formation) et les entreprises pour de nombreuses raisons (la difficulté à changer, l’accaparement du quotidien mais aussi un certain attentisme des salariés) auront laissé les compteurs des personnels atteindre leur maximum de 120 heures en 2010.
Le risque accumulé est facilement quantifiable. Dans une entreprise de 1 000 salariés, ceux-ci auront accumulé environ 120 000 heures de DIF en six ans. Cette dette formation représente de 2 000 à 5 000 euros par personne !
Le DIF va poser quatre types de difficultés aux entreprises qui n’ont pas pu, voulu ou su traiter le dispositif lors de son lancement en 2004 (dans les PME les problèmes d’organisation ou de financement devraient aisément et rapidement être surmontés).
- des difficultés organisationnelles : comment généraliser en quelques mois un dispositif alors qu’on ne dispose d’aucune expérience d’un tel déploiement massif en formation ?
- des difficultés financières : la crise économique tend les budgets dans les entreprises mais les salariés ont aussi besoin de développer leurs compétences via la formation. Comment concilier les besoins individuels des salariés et les restrictions collectives des budgets formations ?
- des risques sociaux : les partenaires sociaux sont signataires de tous les accords interprofessionnels qui mettent en place le Droit Individuel à la Formation, accepteront-ils que les entreprises ne mettent pas en œuvre ces accords alors que la formation n’a jamais été aussi nécessaire pour 30 ou 40 % de salariés peu ou pas qualifiés ?
- des risques juridiques : le DIF est attaché au contrat de travail et les contentieux avec un droit individuel et universel vont se multiplier face au refus DIF (qui ne peut porter que sur le choix de la formation), au temps du DIF (sur temps de travail ou Hors temps de travail), sur les critères de choix des formations, des organismes de formation, des coûts de la formation, des frais annexes à la formation…
Pourtant le DIF n’était pas destiné à faire chuter les services RH des grandes entreprises mais bien plutôt à reconstruire les apprentissages professionnels.
Rappelons les sept grands principes sous-tendus par les Lois sur la formation de 2004 et de 2009.
- Le DIF est universel et concerne tous les salariés. Il s’agit donc d’une redistribution des ressources en formation qui doivent être justement réparties entre tous les salariés à raison de 20 heures par an (le DIF doit être équitable). La réforme implique non pas de reconduire ce qui se faisait déjà en formation (avec quelques touches de nouveauté) mais de repenser la formation d’une organisation (sociétés mais aussi administrations) : budgets, partenariats, dispositifs, communication, politiques formation, évaluation, administration…. (le DIF est un catalyseur d’innovations)
- Le DIF est une négociation. Le DIF est un Droit qui n’est pas un dû. Le salarié et l’entreprise doivent trouver un terrain d’entente qui permette de développer les compétences de l’un et la compétitivité de l’autre. (le DIF doit réenclencher le dialogue social)
- Le DIF nécessite la confiance. L’entreprise doit loyalement jouer le jeu du développement des compétences et le salarié prendre en main son développement personnel et professionnel. Il s’agit d’un gagnant/gagnant qui ne souffre pas de manœuvres dilatoires entre ces deux acteurs du monde professionnel. (le DIF implique la collaboration professionnelle)
- Le DIF ré-introduit les humanités. Dans un monde professionnel qui avait tendance à les cantonner à la seule éducation initiale et à ne miser que sur le diplôme, il implique de se projeter conjointement dans un projet professionnel co-construit, loyal et performant. (le DIF nécessite des capacités de remise en question
- Le DIF est durable. Ce « crédit revolving » de la formation implique un engagement durable du salarié et de son entreprise. Il s’agit de développer durablement les compétences dans une entreprise devenue apprenante. (le DIF doit durer, il est la porte d’entrée sur une formation tout au long de la vie)
- Le DIF fait parti du contrat de travail. Le Droit n’est pas une option que peut refuser pour cause de budget insuffisant ou de crise économique. Le DIF, comme les congés payés, fait parti du contrat de travail, l’employeur ne pouvant garantir l’emploi à vie il doit maintenir l’employabilité de ses salariés (Il a une obligation de moyens qui implique que le salarié est aussi demandeur et acteur de son projet de formation)
Ces grands principes réaffirmés (mais la pédagogie n’est-elle pas l’art de la répétition ?) comment désormais mettre en œuvre ce fameux DIF ? Notre méthodologie (plus longuement expliquée dans le livre « Histoire de DIF ») s’appuie sur le déroulement simple et logique d’un processus dynamique de formation tout au long de la vie (et de l’année).
- La construction d’une politique formation tout au long de la vie partagée par toute l’entreprise
- La délimitation entre le plan compétences des salariés et plan de formation collectif de l’entreprise
- La négociation et le choix des modalités d’organisation et de réalisation des actions de formation
- L’arbitrage entre le court (adaptation au poste et à l’emploi) de la responsabilité de l’entreprise sur le temps de travail et le moyen et long terme (développement des compétences) à l’initiative du salariés et réalisé hors temps de travail
- La reconstruction des dispositifs de formation (publics, partenariats, programmes, durées objectifs). L’articulation avec les autres plans et accords de l’entreprise (GPEC, seniors, handicap, stress…)
- La réalisation d’un catalogue DIF d’offres internes qui engageront les choix éducatifs de l’entreprise (le catalogue est à la fois un cadre, une proposition et une invitation à se former)
- L’élaboration d’une communication adaptée et diversifiée pour « marketer » la formation (et promouvoir une formation tout au long de la vie )
- La sécurisation et l’optimisation financière du DIF avec des objectifs de généralisation sur trois ans
- L’organisation des entretiens professionnels et de l’orientation professionnelle sur la base de constructions individuelles de parcours professionnels
- La simplification des procédures de demandes et d’acceptation afin de sécuriser les salariés et d’éviter les travers hexagonaux que sont le parcours du combattant, la file d’attente et l’ « usine à gaz ».
- La réalisation des formations DIF tout au long de l’année en entrant dans le cercle vertueux de l’entreprise apprenante et de la ftlv,
- L’évaluation, la communication des résultats des actions, l’information de tous sur les opportunités de réalisation DIF comme de promotion ou d’évolution. L’entreprise a désormais aussi des clients internes qu’il s’agit de fidéliser et de sécuriser pour les faire monter en compétence.
Pour résumer les choses en cette fin 2009 et le pire n’étant jamais certain (une vague DIF qui emporterait tout l’univers de la formation), le chaos peut selon nous encore être évité dans les services RH et formation. Il importe désormais de se donner les moyens humains, financiers et organisationnels de déployer la formation tout au long de la vie sans plus attendre, de miser sur l’intelligence des hommes et des femmes qui composent le principal capital des entreprises : leur capital humain.
Didier Cozin auteur des ouvrages « Histoire de DIF » et "Reflex DIF", publiés aux éditions Arnaud Franel