Le don et les français : les affinités électives
par Monolecte
mercredi 6 décembre 2006
Chaque année, le Téléthon m’énerve profondément...
Certes, le Téléthon, c’est déjà se payer une bonne consience à vil prix pour le reste de l’année, mais c’est surtout assimiler la recherche médicale fondamentale à une sorte de big charity business de bas étage, substituant la charité à la responsabilité collective.
Pour moi qui ait usé mes pantalons dans des labos de recherche, la
science en général et la recherche médicale en particulier ne devraient
rien avoir à faire avec cet espèce de spectacle grandiloquent et
dégoulinant de bons sentiments. Il s’agit là de quelque chose de
sérieux qui devrait faire l’objet d’efforts budgétaires considérables
et permanents, programmés sur le long terme. Mais voilà encore un
secteur dont on a privatisé le fonctionnement imperceptiblement,
jusqu’à ce que tout le monde trouve normal qu’une grande messe
médiatique serve à financer ça au coup par coup.Et qu’on ne me chante
pas la supposé efficience supérieure du privé sur le public, quand on
voit les sommes faramineuses qui doivent être dépensées rien qu’en
communication et fonctionnement. Qu’on ne me parle pas de l’engagement
des labos privés, plus soucieux de développer des médicaments coûteux
pour les faux problèmes des très riches consommateurs[1] que de soigner les peuples qui en ont besoin, comme tous ceux qui crèvent du SIDA, faute d’argent ou du palu, parce que leur vie ne vaut même pas les 2€ nécessaires pour les sauver !
Mais voilà, il est plus facile de faire des promesses de don au Téléthon que de se mobiliser pour demander à ce que notre recherche scientifique soit décemment financée par l’argent public, c’est à dire, notre argent !
La charité érigée en mode de gestion de la misère
Il y a presque deux ans, correctement aiguillée par les médias, la foule des généreux donateurs s’est fendue d’un tsunami de dons pour les rescapés d’Asie du Sud-Est. Quel merveilleux élan de générosité dont on n’avait de cesse de chanter les louanges !
Puis, comme prévu, l’intérêt a reflué et malgré quelques petites piqures de rappel, tout le monde s’est bien lavé les mains ensuite de la manière dont ces dons avaient été utilisé et quelle est la proportion d’argent qui a réellement profité à ceux qui en avaient le plus besoin. La catharsis collective avait eu lieu, évacuant les problématiques de fond : sous-développement massif de la région bouffée par le tourisme prédateur des pays riches, problématique de la dette internationale, de la répartition des richesses à l’échelle mondiale qui fait que les coups du sort ont tendance à plutôt tomber sur les pays faiblement développés et à toucher en premier les plus démunis dans les populations exposées.
Et après ce grand élan de solidarité collectif, la traversée du désert humanitaire : rien pour le Darfour, que dalle pour l’ensemble de l’Afrique qui n’en peut plus de crever à nos pieds dans notre indifférence condescendante, pas assez mignons les Pakistanais, pour mériter notre compassion. La lutte contre la misère, la faim et surtout les mécanismes qui les alimentent et dont nous profitons encore assez largement ne devrait pourtant pas passer par la compassion ou la pitié, ne devrait pas être soumise à nos appréciations esthétisantes de la pauvreté qui mérite d’être secourue a contrario de celle que nous écrasons de notre mépris !
Loin de yeux, près du coeur
Qu’il est bon de donner quelques pièces au Téléthon plutôt que de
demander une fiscalité spécifique ou une orientation des budgets
nationaux vers la recherche médicale. Qu’il est agréable de secourir
virtuellement les orphelins de Phuket alors qu’on regarde de travers
les petits miséreux de nos périphéries urbaines. Qu’il est facile
d’envoyer un chèque aux Restos du Coeur, alors qu’on n’a seulement
jamais jeté un regard à celui qui fait la manche en bas de chez soi.
Qu’il est confortable de soutenir l’abbé Pierre alors qu’on pétitionne
pour ne pas avoir de familles modestes qui s’installent dans le
quartier et qu’on applaudit quand des lois écrasent les chômeurs et légitiment la guerre aux plus pauvres.
On vote pour Balkani[2] et on pousse des cris d’horreur devant le mythique RMIste fraudeur.
On donne au Téléthon et on pétitionne pour que les enfants différents
ne fréquentent pas le même établissement que nos chers petits.
Je crois que le comble de l’indignité charitable avait été atteint lors de l’interview d’un acteur parisien vivant sur l’ïle Saint-Louis, quartier huppé de la capitale, s’il en est.
Il parlait du SDF du quartier, un jeune d’une trentaine d’année qui
vivotait sur le parvis de l’église et à qui, de temps à autre, on
jetait une petite pièce. L’hiver arriva et ce qui devait arriver arriva
: le clodo mourut de froid. Et là, la larme à l’oeil, l’acteur raconte
comment tous les habitants du quartier se sont cotisés pour lui offrir les funérailles d’un prince.
Rien que d’y penser, j’en ai encore la nausée. Le pauvre gars valait plus mort
que vivant et tout cet argent dépensé en pure perte, en simple
consolidation de l’égo de quelques sinistres figures enrubannées de
pognon, aurait pu lui servir à peut-être sortir de la misère de son
vivant, à lui sauver la vie, pour le moins ! mais voilà, sur le plateau
de France Inter, personne ne releva la monstruosité de la chose, tout
le monde félicita l’acteur de sa générosité.
Un peu comme tout le monde s’est félicité de la grande mansuétude du gouvernement qui a décidé, l’année dernière, d’étendre à un mois l’hébergement d’urgence des SDF qui travaillent. Et oui, 1/3 des SDF travaillent. Et tout ce qu’ils gagnent à travailler, c’est 1 mois d’hébergement d’urgence. Et on applaudit bien fort toute cette générosité qui masque la réalité d’un travail qui ne permet même plus de survivre, d’une politiquement du logement qui assoit les profits des plus riches sur la face de ceux qui cherchent à conserver leur dignité.
Aller, haut les coeurs ! Ce soir, on va exhiber ces enfants que le reste de l’année on ne saurait voir, on va se rappeler qu’on peut être aussi grand, bon et généreux et demain, on pourra retourner à nos petites vies médiocres et égoîstes, la conscience tranquille et endormie comme après un “Notre père” et deux “Je vous salue Marie“.
Notes
[1] Il est plus rentable de faire des recherches sur la pillule anti-obésité que sur le palu, qui reste pourtant la première cause de mortalité sur la planète
[2] Lequel a détourné de fortes sommes d’argent public