Le Mondial est une industrie… qui préfigure la décadence à venir ?

par Bernard Dugué
lundi 28 juin 2010

Quelle comédie, quel cirque que ces trois joueurs, soi-disant cadres de l’équipe de France, parcourant les plateaux de télévision, pour ne livrer aucune information mais un galimatias très convenu. On aurait dit des gamins confus après une bêtise. Se livrant à un semblant de confession déclinée à la manière d’une fausse autocritique. Tels des gamins surpris dans une cour d’école à faire des bêtises. Puis s’expliquant devant le professeur. En coulisse, on imagine le chef de bande qui a briefé les joueurs en leur dictant le discours pour les médias. Mais on se sait même pas s’il y a un chef. Après tout, ils auraient pu très bien se concerter à quelques-uns. Un peu comme une bande de garnements ayant occasionné des dégradations dans un collège. Les meneurs s’entendent pour s’expliquer devant le principal et donnent une même version. Bref, il n’y a même pas besoin des guignols de Canal plus. Ces joueurs sont plus comiques en vrai que les marionnettes fabriquées à leur image. Là où ça devient problématique, c’est quand l’Etat s’en mêle au point se s’emmêler les pinceaux. Si bien que les interventions médiatiques de la ministre Bachelot ont valu à la France une sorte de rappel à la loi, adressé par les autorités de la FIFA. Pas d’ingérence politique, tel est le règlement. Et notre président Sarkozy, lui qui promettait une France d’après grâce à ses dons de visionnaire, s’est enlisé dans le passé en faisant de cette défaite des Bleus une affaire nationale.


Les élites gouvernantes ont oublié une chose. C’est que le Mondial de football n’est plus uniquement une compétition sportive. C’est devenu un spectacle. Qui brasse des dizaines de milliards d’euros. Bref, le Mondial n’a plus trop les traits d’un sport mais plus les caractères d’un grand spectacle produit avec les mêmes ficelles que celles utilisées par les industries culturelles, notamment la pop internationale et le cinéma des blockbusters, lieux où règne en maître le libéralisme et l’argent. Un rapide coup d’œil dans l’Histoire nous montre comment cette industrie a su jouer sur l’image. Déjà dans les années 1940, Adorno et Horkheimer avaient détecté le tape-à-l’œil comme expression d’un trait propre au monde libéral en quête de talents pour faire du profit, grâce aux vedettes du cinéma mais aussi des recensions soignées dans les journaux et à la radio, puis la télé. Le processus a commencé dès le début du cinéma, dans les années 1920. Il est devenu abouti dans les années 1950. Les producteurs hollywoodiens veillaient à ce que les vedettes du cinéma n’affichent pas leurs frasques et autres caprices. Il fallait donner une image de bonne moralité en ces temps ou les politiques étaient soucieux d’ordre moral. Les médias étaient soigneusement surveillés. Ce temps est révolu. Néanmoins, les joueurs du Mondial ont été écartés d’une presse jugée encombrante. Du coup, deux affaires sont sorties. Celle de Ribery puis dans un autre registre les propos d’Anelka. La une de l’Equipe a alors ressemblé à celle de Voici. Alors que dans les tabloïds britanniques, la vie amoureuse des stars du football est passée au crible, et c’est le cas aussi pour d’autres pays dont la vie privée des joueurs prend autant d’ampleur que celle des célébrités du cinéma.


Les Depardieu et autres di Caprio, Travolta, Cruz, permettent de remplir les salles. U2, Madonna ou Johnny remplissent les stades, comme du reste les Ribery, Ronaldo et autres Gourcuff. Le football de haut niveau n’est plus un sport mais une industrie, qui fonctionne du reste comme celle du cinéma et de la pop musique. Des producteurs, des régisseurs de salle ou stade, des agents de communication, des rapports très étroits avec les médias, un super contrôle par des managers et bien évidemment, des vedettes, des artistes de la pose, du chant, du jeu au pied, et enfin des comptables qui comptent les sous et tout ce monde qui en profite, droit d’image inclus plus les innombrables produits dérivés. Le football professionnel et sa super production mondiale tous les quatre ans, c’est une industrie. Qui du reste a comme règle essentielle le principe de non ingérence du politique. Excellente allégorie d’un libéralisme financier qui lui aussi, tente de s’affranchir des interventions étatiques.


La convocation d’Etat généraux du football est donc un non sens. C’est comme si on convoquait ces mêmes états suite à une mévente subite de nos chanteurs nationaux, les Obispo, Hallyday et autres Pagny, le tout assorti de mauvais gestes envers les animatrices, au hasard, Daniéla Lumbroso, décorée de la légion d’honneur, comme l’ont été Johnny et Sylvie Vartan. Le Mondial n’est pas du sport, enfin, pas celui qui se pratique entre amateurs, dans les championnats régionaux. Certes, toutes les vedettes du foot sortent des clubs amateurs, mais c’est pareil pour les stars du grand écran ou de la chanson. Tous ont commencé par chanter sous la douche ou se donner en spectacle dans une cour de collège. Il y a le monde des orchestres amateurs, touchant un petit cachet lors des fêtes de village, il y a les musiciens amateurs, qu’on voit dans les rues faire la manche ou bien à la fête de la musique, et il y a les stars de l’industrie culturelle, qui passent dans les émissions en prime time, font et vendent des disques avec le savoir-faire industriel des grandes firmes de la culture et qui remplissent les stades.


Le processus de transformation historique a engendré une société dite civile et un monde désigné comme étant en haut, un univers d’élites, gouvernants, stars, VIP. Le monde entier n’a fait que reproduire la société de l’Ancien Régime. Avec un style et des moyens plus imposants. Le Mondial, ce sont des stars, comme à Cannes, des stars qui contrôlent leur image et qu’il est difficile d’approcher mais pas aussi inaccessible que Sarkozy ou Obama. Une fois passé dans l’autre univers, tout est différent. Certes, les montres ne sont pas molles comme dans une toile de Dali mais elles rolexent de tout leur clinquant. Les voitures sont différentes. Le citoyen ordinaire conduit son automobile. Le membre de cette haute communauté pilote des bolides dont la puissance permet de dépasser les 300. Inutile d’en rajouter avec des clichés. Juste un mot sur la relation à l’autre et la scission entre deux univers sociaux. Mais ne soyons pas surpris puisque ce processus est vieux comme les sociétés d’humains. L’homme en tant qu’animal culturel finit pas révéler son comportement asocial, s’efforçant de parvenir dans un monde où règne disons une autre atmosphère que dans les rues ordinaires des grandes villes. La scission entre le peuple et les élites est consommée.


Le Mondial est une grosse industrie. Qui n’a pas fini de prospérer. Les gens aiment admirer, vivre par procuration, vibrer ensemble, en masse, en foule, dans les stades, à voir les champions du foot ou les idoles de la pop music. L’industrie du spectacle est éclectique, variée. On voit se dessiner une inversion des rapports entre ressorts. Avant, le sens d’un travail, d’une institution, d’une nation, ou de toute activité rationalisée, avait un poids dans la balance des buts poursuivis, un poids rivalisant avec celui de l’argent. A l’ère du spectacle industrialisé, l’argent est devenu une priorité et le sport, comme la musique ou le cinéma, est devenu un instrument permettant de gagner de l’argent, énormément pour les stars qui font monter les enchères, beaucoup pour les managers et les encadrants, et raisonnablement pour tous les employés. La montée des droits du football suit une courbe parallèle aux cachets des stars qui montent avec le prix des concerts qui a triplé depuis trente ans. L’argent est devenu la principale motivation sur cette planète vouée aux affaires gérées et conclues sur le marché. Pourquoi rester dans une équipe quand on peut gagner le double ailleurs ? Pourquoi faire un festival populaire si on peut doubler son cachet en rejoignant la concurrence.


En guise de vaine conclusion, on répondra à la question, de quoi le football professionnel est-il le nom ? Par cette affirmation, le football, comme la musique, le cinéma et le monde des élites, est le signe de la décadence mondiale. La civilisation s’est construite par des héritages, des transferts de culture, éthique et intelligence, depuis le monde des élites vers les populations. Ce processus s’est stoppé. Les élites vivent en vase clos, en se servant des masses laborieuses auxquelles elles ne transmettent rien sinon leur arrogance, leur condescendance, fricotant avec des célébrités dévoilant des comportements capricieux et immatures, que ce soit du côté d’un Johnny ou d’un Ribery. Le mur du temps s’avère vertigineux de part les abîmes d’un monde fissuré dont on ne voit pas encore les contours radieux d’une civilisation se ressaisissant. Une Renaissance au 21ème siècle ou une décadence post-romaine ? Et cette Vénus de Botticelli qui semble me narguer avec son mutisme intemporel !


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