Le nouveau contrôle technique automobile, c’est maintenant !

par Sylvain Rakotoarison
mercredi 9 mai 2018

« Il semble que les hommes éprouvent une indignation plus vive quand ils se croient lésés par quelque juridiction que lorsqu’ils sont victimes de la violence. » (Thucydide, IVe siècle avant Jésus-Christ).



Depuis plusieurs semaines, les centres agréés de contrôle technique automobile croulent sous le travail. C’est compréhensible. À partir du 20 mai 2018, un nouveau contrôle technique sera en application pour les automobiles de plus de quatre ans après la date de la première immatriculation.

Tout d’abord, précisons une chose. Le Président Emmanuel Macron n’y est pour rien ! Il l’aurait probablement décidé aussi, mais cette mesure a été décidée par son prédécesseur François Hollande, peu avant de quitter l’Élysée. C’est l’un des derniers cadeaux empoisonnés du nouveau commentateur en chef légué aux Français. En effet, ce nouveau contrôle technique relève de l’arrêté du 2 mars 2017 modifiant l’arrêt du 18 juin 1991 relatif à la mise en place et à l’organisation du contrôle technique des véhicules dont le poids n’excède pas 3,5 tonnes. Il concerne les opérateurs agréés pour le contrôle technique et les automobilistes.

Mis en application le 1er janvier 1992 (arrêté du 18 juin 1991 et articles R.323-1 à R.323-26 du code de la route), le contrôle technique automobile fut une mesure prise par le gouvernement de Michel Rocard en parallèle avec le principe du permis de conduire à points. Il a eu plusieurs effets. D’une part, il a mis hors d’état de nuire les véritables tombeaux roulants, des vieilles voitures jamais révisées et jamais entretenues. Ensuite, il a dopé un peu l’industrie automobile, tant du neuf que de l’occasion, en envoyant à la casse des véhicules qui n’étaient plus économiquement réparables.

Ce contrôle a-t-il été en mesure de réduire la mortalité routière ? Probablement un peu, mais certainement de manière assez marginale. Les statistiques sur l’origine des accidents mortels laissent entendre que la vétusté du véhicule serait en cause pour seulement moins de 5% des cas. La principale cause reste le comportement des automobilistes.

Le contrôle technique d’un véhicule n’empêche pas son propriétaire d’être dans l’obligation de maintenir en permanence le véhicule en bon état de marche et d’entretien conformément aux dispositions du code de la route qui existaient bien avant la mise en place du contrôle technique.

À part le contrôle des freins, de la pollution et des phares, la plupart des points de contrôle sont visuels ou manuels. Il ne s’agit donc pas d’une révision, mais seulement de points à vérifier. Ainsi, un contrôle technique sans problème ne signifie pas forcément que le véhicule n’est pas dangereux, même si de nombreux défauts dangereux sont facilement décelables ainsi.

Au fil des années, le contrôle technique s’est de plus en plus durci. La date du premier contrôle a été avancée, la régularité des contrôles a été renforcée et surtout, le nombre de points soumis à contre-visite (dans les deux mois à compter de la date du contrôle) a beaucoup augmenté. Le 20 mai 2018, le contrôle technique sera donc beaucoup plus rigoureux puisqu’il passera de 124 à 415 points de contrôle pour défaillance majeure et de 0 à 146 points de contrôle pour défaillance critique.

Le nouveau contrôle sera donc probablement plus cher que l’ancien puisqu’il nécessitera plus de main d’œuvre. Mais ce n’est pas cela le plus important. Le plus important, c’est que des véhicules anciens qui pouvaient encore passer après un ancien contrôle ne le pourront plus (par exemple, ceux qui présentent des petits problèmes d’étanchéité d’huile), car les réparations seront alors trop chères par rapport à la valeur du véhicule.



Le nouveau contrôle technique du 20 mai 2018 a effectivement la particularité de créer un nouveau type de défaut. Dans quelques jours, il y aura trois types de défaut : la "défaillance mineure", signalée et devant être résolue, mais sans obligation de contre-visite, la "défaillance majeure", qui nécessite une contre-visite dans les deux mois, et, c’est ici l’innovation, la "défaillance critique", qui fait interdire de circulation à l’exception du jour même du contrôle, ce qui signifie que la contre-visite doit se faire dans les 24 heures pour pouvoir continuer à conduire le véhicule.

Ce délai ultra-court de 24 heures n’est pas du tout réaliste et a des raisons d’inquiéter la grande majorité des automobilistes. Nécessairement, les réparations concernant ces défaillances critiques ne pourraient plus se faire de manière la plus optimisante possible (recherche du garagiste, recherche des pièces, éventuellement d’occasion, etc.), sans compter qu’un garagiste prend rarement un rendez-vous du jour au lendemain.

Cette innovation de défaillance critique laisse entendre que laisser rouler un véhicule ayant un tel défaut serait un véritable danger pour la société en général : le conducteur et les passagers du véhicule et les autres automobilistes, passagers et piétons qui le croiseraient. Il faut que le défaut soit vraiment critique, c’est-à-dire qu’il constitue un danger immédiat pour la sécurité routière : ainsi, parmi les exemples, un pneu excessivement usé, une absence de rétroviseur, un jeu excessif de la direction, un risque de chute d’un élément d’échappement… mais aussi des feux stop qui ne fonctionnent pas (ce qui est généralement facile à réparer). Les difficultés, ce sont par exemple une portière qui ferme mal ou d’autres petits "inconvénients" qui, tolérés aujourd’hui, ne le seront plus demain.



La notion de défaillance critique et ses conséquences sont relativement cohérentes : si la sécurité est vraiment en jeu, deux mois de conduite dans ces conditions peuvent être vraiment dangereux. Mais un jour, c’est irréaliste dans une vie moderne actuelle. Une semaine aurait dû être choisie pour laisser un minimum de marge d’organisation au propriétaire du véhicule.

Si ce nouveau contrôle technique a été décidé par le gouvernement français dans son entière souveraineté nationale, il a aussi pour but de tendre vers un contrôle technique européen qui sera à terme harmonisé, en transposant la directive européenne 2014/45/UE du Parlement Européen et du Conseil du 3 avril 2014 relative au contrôle technique périodique des véhicules à moteur et de leurs remorques, et abrogeant la directive 2009/40/CE.

Je rappelle que le Conseil Européen est l’instance qui décide en Europe et que ce Conseil Européen est composé des chefs d’État et de gouvernement légitimement élus par tous les peuples européens. Ces décisions européennes sont donc une série de décisions nationales convergentes. Il n’y a pas un "diktat de Bruxelles". Ce sont tous les pays qui se sont mis d’accord. La responsabilité nationale reste entière.

D’ailleurs, certains avaient voulu aller plus loin dans le renforcement du contrôle technique en rendant la fréquence tous les ans au lieu de tous les deux ans. Ils n’ont heureusement pas été écoutés.

On peut voir précisément la nature et la qualification (mineur, majeur, critique) des centaines de points de contrôle en lisant attentivement l’arrêté du 2 mars 2017 (qu’on peut télécharger ici).



Mon commentaire personnel sur cette mesure : je doute qu’il y ait une réelle conséquence sur la sécurité routière elle-même. Ce nouveau contrôle technique est d’abord une mesure économique avant d’être une mesure de sécurité routière : il va nécessairement sortir plus de véhicules d’occasion de la circulation. Il est aussi une étape vers un contrôle technique européen. Il sera probablement possible (pas encore maintenant) de faire son contrôle technique dans n’importe quel pays européen (pour l’instant, l’expatrié qui a gardé sa voiture française doit faire son contrôle technique en France et pas dans le pays européen dans lequel il vit). Cela présente un intérêt très modeste.

L’autre raison évoquée de l’harmonisation européenne (en 2014), c’est l’objectif de réduire de moitié le nombre des morts sur les routes européennes en dix ans, entre 2010 et 2020. Cela me paraît illusoire : la période est presque achevée (nous sommes déjà au milieu de 2018), et s’il n’y a que des mesures sur l’état du véhicule, cela ne va pas aller très loin.

Dans tous les cas, ce nouveau contrôle technique sera plus contraignant à l’automobiliste qui a déjà beaucoup de sources de préoccupation par ailleurs (de sécurité pour la circulation mais aussi pour le stationnement, et même, maintenant, l’obtention difficile de la carte grise après la fermeture des guichets dans les préfectures, etc.). Tout sera dans la manière d’appliquer cet arrêté de la part des centres agréés. En effet, le passage entre "défaillance majeure" (deux mois) et "défaillance critique" (24 heures) est souvent arbitraire. Par exemple, un pneu "excessivement usé" est une défaillance majeure. Entre l’excessivement et le très, l’appréciation sera sémantique.

Avec l’automobile, outil souvent indispensable pour travailler et même vivre lorsqu’on habite dans certains territoires peu irrigués en transports en commun accessibles, on se retrouve de plus en plus comme avec le logement, pour lequel des mesures plus ou moins contraignantes tentent de favoriser la mise aux normes pour réduire les déperditions de chaleur en isolant, etc. Pourquoi alors ne pas permettre des exonérations d’impôts aux propriétaires d’automobile qui remettent aux normes leur véhicule, dans le but louable de la sécurité ? Le caractère ultra-contraignant du contrôle technique pourrait alors être compensé par une implication financière de l’État afin de laisser à toute la population, y compris la moins aisée, la possibilité de se mouvoir encore en automobile.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (07 mai 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le nouveau contrôle technique automobile.
Sécurité routière : les nouvelles mesures 2018.
La limitation de la vitesse à 80 km/h.
Documentation à télécharger sur le nouveau contrôle technique (le 20 mai 2018).
Documents à télécharger à propos du CISR du 9 janvier 2018.
Le comité interministériel du 9 janvier 2018.
Le comité interministériel du 2 octobre 2015.
Documents à télécharger à propos du CISR du 2 octobre 2015.
Cazeneuve, le père Fouettard ?
Les vingt-six précédentes mesures du gouvernement prises le 26 janvier 2015.
Comment réduire encore le nombre de morts sur les routes ?
La mortalité routière en France de 1960 à 2016.
Le prix du gazole en 2008.
La sécurité routière.
La neige sur les routes franciliennes.
La vitesse, facteur de mortalité dans tous les cas.
Frédéric Péchenard.
Circulation alternée.
L’écotaxe en question.
Ecomouv, le marché de l’écotaxe.
Du renseignement à la surveillance.


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