Le phénomène néo-rural, quelques hypothèses

par HKac
mardi 3 janvier 2006

Le phénomène néo-rural en France prend de l’ampleur. Selon une étude d’Ipsos de fin mai 2005, « 34% des citadins, soit près de 7 millions de personnes, déclarent avoir l’intention de s’installer à la campagne ; 13% vont engager des démarches en ce sens d’ici 5 ans ». Sans entrer dans un débat complexe « ville versus campagne », qui mérite de faire l’objet d’une véritable réflexion approfondie, il est intéressant de s’interroger sur les facteurs de cet engouement croissant des citadins pour les campagnes.

De tels chiffres indiquent nettement qu’il ne s’agit plus d’un épiphénomène, mais plutôt d’un début de changement de paradigme. En seconde analyse, ces néo-ruraux ne peuvent plus simplement être considérés comme des "baba-cools" sur le retour, voire comme des populations marginales.

Pour tenter de comprendre ce phénomène, voici quelques pistes ressenties de l’intérieur. Ces pistes sont davantage le résultat d’une introspection que le produit d’une analyse sociologique. Pour une étude sociologique de ce phénomène, je vous invite à prendre connaissance de l’ouvrage Paradis verts : Désirs de campagne et passions résidentielles, de Jean-Didier Urbain (titre amicalement fourni par l’un des visiteurs du blog "S’installer et vivre à la campagne", mr oing). Bien que cet ouvrage semble s’appuyer sur des statistiques détaillées, il serait toujours intéressant de confronter les conclusions de l’auteur à d’autres points de vue. Pour le moment, c’est l’un des seuls ouvrages vraiment médiatisés sur le thème de la néo-ruralité en France.


Liste non exhaustive de quelques facteurs saillants

Quelques faits historiques

Il faut se rendre compte que l’exode rural est un phénomène récent à l’échelle historique. Ces processus se sont enclenchés à partir des années 1840 avec une accélération dans la seconde décennie du XXe siècle. Par exemple, en 1945, les campagnes comptaient 50% de la population française. Aujourd’hui, 75% de la population vit en ville. Les progrès de l’agriculture, et en particulier sa mécanisation, ont sans doute rendu une main d’oeuvre locale sous-employée à nouveau disponible pour satisfaire la demande d’une industrie naissante. Cette industrie en plein essor s’est développée principalement aux abords des grandes villes et dans les banlieues.

Hypothèse : une grande majorité de Français ont des racines rurales, même si beaucoup de ceux appartenant aux deux ou trois dernières générations sont de purs enfants de la ville. La campagne et la ruralité sont encore solidement ancrées dans l’inconscient collectif.

La révolution des transports

Le développement des moyens de transport individuels et celui des réseaux routiers ont introduit davantage d’échanges entre les villes et les campagnes. Là où autrefois un simple déplacement de quelques dizaines de kilomètres se transformait en un véritable voyage de plusieurs jours (aller et retour), aujourd’hui, c’est devenu une question d’heures. Le rapport au temps et à la distance a changé. Passer de la sphère rurale à la sphère urbaine (et vice-versa) est devenu un acte banal, aisé et rapide.



Hypothèse : la population est devenue mobile et a développé de nouvelles capacité de nomadisme.

Concentration urbaine

Un afflux massif de population en quelques décennies a eu un impact tangible sur l’aménagement du territoire. Les villes et villages sont devenus un espace continu pour ne finalement former qu’une sorte de "continuum" géographique. La ville est le domaine de l’artificiel (du construit) par opposition au domaine naturel, voire sauvage, qui caractérise les campagnes.

Le fait que les villes soient construites et "lisses" n’est pas sans impact sur le désir de campagne croissant généré, en particulier, par un rejet d’une pollution multiforme et omniprésente :
- les eaux usées, canalisées par les réseaux routiers, se concentrent, et les molécules chimiques s’étalent sur de vastes surfaces bitumées
- le trafic automobile sature l’atmosphère urbaine et provoque, probablement, des maladies et, sûrement, de la gêne et des sensations désagréables
- un bruit de fond permanent (infra-sons) et des bruits ponctuels frisant l’intolérable (sons > 100dB) accompagnent le citadin une grande partie de la journée, et parfois même la nuit

La pollution existe, bien évidemment, aussi dans les campagnes. Toutefois, elle y est plus localisée et plus sporadique. Même traitée, la pollution urbaine n’est pas complètement éliminée. Elle est une constante qui accompagne les citadins tout au long de leur vie.

Hypothèse : en ville, l’être humain subit une perte de sa "nature". L’être humain, tout en étant un "homme" est aussi en même temps d’essence animale. Cela signifie que l’homme a besoin de conditions originelles propres à répondre à des besoins biologiques (air et eau purs) pour assurer son développement vital dans un confort maximal.

Cette liste de facteurs explicatifs n’est pas limitative. Nous pourrions ajouter le "sentiment" d’insécurité, les aspirations psychologiques individuelles, des aspects de santé, le besoin d’horizon...

Toutefois, vus de l’intérieur, ces quelques facteurs donnent une explication plausible des motivations d’un projet de vie campagnard pour un citadin. Une démarche qui se situe quelque part entre retour aux sources et fuite !

Alors, existe-t-il un profil néo-rural ? Doit-on parler de néo-rural ou de paléo-citadin ? Ils ne sont la plupart du temps pas des "néo-réactionnaires". À défaut de racines, et dans un monde qui évolue à des rythmes nouveaux, ils sont à la recherche de leur véritable identité, qui, loin d’être ancrée dans un passé mythique, est plutôt de nature complexe et composite, peut-être une réminiscence des contes d’enfance qui glorifient la nature. Il pourrait s’agir de l’expression d’un nouvel ADN identitaire qui synthétise tout à la fois le passé, le présent, le futur, la culture, la nature, la modernité et la tradition, une identité plurielle et non pas unitaire.

Quelques précisions

Il existe plusieurs réalités à prendre en compte dans la description des phénomènes néo-ruraux. Voici une grille de lecture de l’espace :
- ceux qui résident en gravitation autour de Paris mais dans les confins "verts" de la grande couronne
- ceux qui vivent dans une ville importante en région
- ceux qui vivent dans des bourgades (capitales de cantons)
- ceux qui vivent dans des hameaux (à 2-10 km des bourgades)
- ceux qui vivent en pleine campagne.

Une autre grille de lecture temporelle est liée aux différentes postures adoptées par les néo-ruraux :
- ceux qui quittent définitivement la ville (les "transitionnels" en font partie)
- ceux qui "commutent" ville et campagne les fins de semaines (les "nomades")
- ceux qui alternent en fonction des saisons (retraités)
- ceux issus d’autres régions d’Europe, principalement des pays nordiques, à la recherche d’un climat plus favorable et d’une meilleure qualité de vie (ils ne sont plus tout à fait des touristes, car ils résident plus longtemps et plus fréquemment dans une région dans laquelle ils ont aussi accédé à la propriété. Par exemple, les Britanniques dans le Périgord).

Dans cette logique concentrique, l’ensemble Paris laisse la place à l’ensemble "grande couronne" et "ville de province", qui, eux-mêmes, laissent la place à des "bourgs", puis plus loin à des hameaux, et finalement, on trouve aussi la résidence rurale isolée, dans la campagne. Cette dernière est plus rare et très prisée. Il s’agit fréquemment d’anciens corps de fermes restaurés.


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