Le « plus vieux métier du monde » est aussi l’un des plus dangereux !

par Georges Yang
mercredi 23 septembre 2009

Le monde médiatique nous sort de son chapeau des victimes à la mode qui ne font la une qu’un temps, celui d’une émotion collective, d’un engouement éphémère avant de retomber dans l’oubli. Loin de l’écran, loin du cœur ! Hier, il s’agissait des suicidés de France Télécom, avant-hier, des bébés congelés, des victimes de Marc Dutroux ou des noyés du tsunami. Certaines catégories, par contre, reviennent de façon récurrente au fil des faits divers, l’espace d’une émotion limitée dans le temps, comme les naufragés clandestins sur les côtes méditerranéennes, les civils irakiens ou palestiniens, les policiers ou les incarcérés suicidaires, juste l’instant de la diffusion d’un reportage, d’un débat à la télévision, d’une intervention ciblée sur un forum. Ensuite, la catégorie brièvement surmédiatisée retombe dans l’anonymat et l’indifférence. La prostitution entre dans ce critère qui autorise le sensationnel et l’apitoiement scénarisé avant de retourner dans l’oubli et la routine quotidienne. La mort d’une prostituée, qu’elle se soit suicidée, ou qu’elle ait été assassinée ne mobilise les médias que s’il y a crime en série, fait divers sordide ou croustillant avec mutilation, implication de personnalité politique ou du show-business. Bref, quand il a matière à une belle affaire du genre Patrice Alègre, la presse et l’opinion s’enflamme, mais en dehors de cela, la prostitution n’intéresse les médias que dans une optique d’audience, donc de sensationnel. En dehors amateurs de faits divers, qui se soucie de la mort d’une « petite pute » ?

Sauf à prendre en considération les membres des gangs latinos, d’Europe de l’Est ou du Caucase, les civils irakiens lambdas ou les mineurs de fond ukrainiens, russes, chinois ou sud-africains, aucune catégorie d’individus n’est autant touchée et exposée à la violence et la surmortalité que la prostitution. Car, si les militaires en opération, les pompiers, les démineurs et de plus en plus rarement les pilotes de Formule 1 et quelques autres prennent des risques et essuient des pertes, ils n’en sont pas moins entourés d’une logistique et de précautions qui les protègent et réduisent considérablement les dangers. La prostitution, sans mauvais jeu de mots, évolue par contre dans un milieu non protégé, souvent violent et hostile et n’attire que peu de compassion. Les prostituées ne sont pas toutes des call-girls à 1000 euros la nuit, avec garde robe, maquillage et esthéticiennes, loin de là. La majorité évolue dans un milieu plus banal et moins glamour fait d’insécurité, de violence, de cruauté, de drogue et de misère sociale et affective. La fille de joie par contre est tristement seule face à la délinquance, la drogue, la police, les clients, les proxénètes et les fous.

En dehors d’associations spécialisées dans l’assistance et le soutien moral des prostituées, la société réprime, pénalise, dénonce, mais ne fait pas grand-chose pour les filles de la rue. Certains pays sont plus répressifs que d’autres, mais en fin de course, la prostituée est gênante, elle ne doit pas être trop visible, ni trop protester. Au plus, elle fait ricaner les bien pensants, est sujette à des blagues graveleuses, au mieux elle sert d’alibi à des pseudo-féministes qui se servent de leur misère et de leurs problèmes pour assouvir leur haine contre les hommes, sans réellement se soucier du sort des filles. La condamnation anti sexiste a remplacé progressivement la condamnation morale et religieuse.

La compassion est sélective et à géométrie variable. Elle suit des modes et répond à des schémas émotionnels. Tout est orchestré pour faire pleurer Margot à condition que cela fasse du chiffre, du fric et de l’audience. Avant d’aller plus loin sur la prostitution, elle aussi fort concernée par le suicide, revenons sur le traitement des autres catégories s’adonnant elles aussi à l’autolyse. Salariés menacés de licenciement, de délocalisation ou de harcèlement, cadres surmenés, détenus, policiers, petits commerçants acculés à la faillite ou adolescents passant des « pactes suicidaires » sut Internet, ils ont tous été un jour, une semaine en haut de l’affiche, le temps d’une émotion et d’un gros titre, avant de retomber dans l’indifférence générale. Reste le cas troublant des paysans qui amènent pourtant un fort contingent de suicidaires.

Le paysan est à plaindre quand il est considéré comme une victime immolée sur l’autel du profit par les multinationales, les banques et les règlementations de Bruxelles. S’il s’agit d’un petit producteur bio, qui a chanté les louanges de l’altermondialisme et de la production sans pesticides, tout le monde s’insurge et proteste avec véhémence, même s’il n’a fait que prendre 3 Valium.

Par contre, comment réagir à la mort par pendaison, fusil de chasse ou ingestion de mort-aux-rats d’un vague péquenaud surendetté auprès du Crédit Agricole et qui utilise quelques herbicides ou de la bouillie bordelaise. Comment réagir quand feu l’exploitant agricole est un être humain, un bras de la communauté paysanne, mais en même temps un sale pollueur qui veut du mal à la planète et qui ne chante pas le crédo bio ! Or, les paysans qui se suicident ne sont ni les grands céréaliers inondés de subventions, ni les membres d’une secte qui parlent aux radis en trayant les chèvres. La plupart des cas désespérés sont des hommes vivant sur une exploitation de taille moyenne, souvent célibataires, endettés jusqu’au désespoir, quelquefois grands buveurs, mal préparés aux mutations de la société. Ils subissent les restrictions, l’isolement affectif et culturel et sentent lucidement la fin d’une époque. Mais comme de nos jours, il existe de bonnes victimes et de moins bonnes, l’opinion ne s’attarde pas trop sur leurs problèmes. Qui oserait plaindre un suicidé qui aurait eu l’outrecuidance de planter une parcelle de maïs OGM ?

Les prostituées sont elles aussi des incomprises qui servent d’alibi à la compassion, à l’indignation sans que l’on fasse réellement quelque chose pour elles. Et pourtant, ce qu’elles endurent dépasse largement ce que l’on peut subir comme humiliation, contrainte et harcèlement à La Poste ou à EDF et rares sont dans le privé les petits chefs qui se comportent avec la cruauté d’un maquereau albanais.

Violence des souteneurs, aliénation aux drogues dures fournies par les dealers, mépris du citoyen de base et de nombreux clients, harcèlement policier et fiscal, agression par des loubards de banlieue qui les rançonnent, pervers et malades mentaux qui les cognent ou les injurient, tout est réuni pour que cela finisse mal. Sans parler du sida, des hépatites et autres pathologies gynécologiques.

Compassion à géométrie variable donc, bonnes et mauvaises victimes dans notre univers dichotomisé. Comparaison possible avec les malades du sida de la première heure, à l’époque où la presse parlait des 4 H, Haïtiens, Homosexuels, Héroïnomanes et Hémophiles. La dernière catégorie étant celle des victimes innocentes, celle du sang contaminé. Les trois autres, c’était « les nègres, les pédés et les drogués », donc des individus qui attiraient moins la pitié et la charité organisée. L’opinion publique a modifié heureusement son jugement et son comportement au fil du temps, on ne peut que s’en réjouir, mais l’ostracisme persiste, l’échelle de valeur qui classifie les victimes continue dans d’autres domaines dont celui de la prostitution. La société dans son immense majorité est routinière, réagit à des modes et des enthousiasmes médiatiques à la limite de la frénésie et de la suractivité quasi hystérique aux phénomènes et événements et ne va hélas guère plus loin.


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