Le port d’armes ŕ feu aux États-Unis reste un droit fondamental
par Jules
jeudi 27 septembre 2012
Après plusieurs fusillades aux États-Unis, retour sur le Second Amendement qui ne cesse de faire parler de lui.
La récente tuerie d'Aurora (Colorado) a provoqué un vif émoi aux États-Unis, avec ses 12 morts et 59 blessés : Dans la soirée du 20 juillet, un homme pénètre dans un cinéma, muni de 4 armes achetées légalement, avant d'ouvrir le feu sur les spectateurs.
Dans les semaines qui ont suivi le drame, une forte augmentation des ventes d'armes à feu a été constatée dans le Colorado. Le 5 août, c'est cette fois-ci dans un temple Sikh situé à Oak Creek (Wisconsin) qu'a éclaté une fusillade, faisant 5 morts et plusieurs blessés. Se sont ensuivi une semaine après d'autres échanges de coups de feu dans un campus universitaire texan, qui se sont soldés par 3 décès. Il n'en fallait pas plus pour remettre sur le devant de la scène la liberté — controversée — de porter une arme à feu.
Celle-ci est actuellement garantie par le Second amendement de la Déclaration des Droits (Bill of Rights) datant de 1791. Il énonce qu'« une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé ». Historiquement, lors de la révolution américaine qui a conduit à son indépendance de la Grande-Bretagne, le port d'armes était vu comme nécessaire aux milices afin de garantir la liberté des colons américains face à la Métropole ; il s'agissait donc d'une forme de contre-pouvoir.
- Armurier américain.
- Par Shoop73 [GFDL ou CC-BY-SA-3.0], via Wikimedia Commons : https://commons.wikimedia.org/wiki/File%3AGunsmith_H%26H.jpg
Une législation meurtrière ?
On recense, selon les sources et que l'on comptabilise ou non les armes de guerre, entre 200 et 280 millions d'armes à feu sur le territoire américain. Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC ; agence gouvernementale de la santé publique) dénombraient en 2007 environ 30 000 décès par armes à feu, dont 12 632 meurtres le reste est constitué de suicides, et dans une moindre mesure d'accidents) dans un pays pourtant développé où la criminalité reste cependant importante — 5,4 homicides volontaires pour 100 000 habitants en 2008, contre 1,59 en France en 2005. Selon une enquête de 2004, 38 % des ménages (environ 42 millions de foyers) déclarent posséder une arme à domicile et près de 57 millions d'américains seraient propriétaires d'une telle arme.
Les militants pro-réglementation (généralement appelés « anti-armes ») mettent donc en exergue la facilité avec laquelle un individu mal intentionné peut acquérir un véritable arsenal en toute légalité, bien que les casiers judiciaires des acheteurs soient généralement contrôlés depuis la loi Brady de 1993. Ils citent en outre la possibilité de reventes illégales d'armes achetées légalement, qui alimenteraient ainsi les marchés parallèles et par extension, participeraient à la criminalité.
À l'inverse, les pro-armes, majoritaires selon les sondages (en 2010, 44 % des Américains se disaient en faveur d'une législation plus stricte, selon The Gallup Organization) et qui comptent parmi leurs membres le très influent lobby des armes de la National Rifle Association (NRA ; 4 millions de membres), considèrent que la possession d'une arme à feu est indispensable aux honnêtes citoyens pour se défendre des criminels. Un juge de la Cour suprême, Samuel Alito, résume bien cette pensée : ce droit fait selon lui « partie des [droits les] plus fondamentaux ».
La législation outre-Atlantique reste pour le moment pro-armes. En juin 2008, la Cour suprême a ainsi tranché en défaveur de la ville de Washington (DC) dans ce que l'on appelle l'« affaire Heller » : elle limitait jusqu'alors le port d'arme de manière drastique (obligation de conserver son arme déchargée et démontée, par exemple) ; la Cour déclare ainsi dans son jugement final : « The Second Amendment protects an individual right to possess a firearm unconnected with service in a militia, and to use that arm for traditionally lawful purposes, such as self-defense within the home » (1). Les juges de la Cour on confirmé le 28 juin 2010 cette orientation, à 5 voix contre 4, donnant raison à un habitant de la ville de Chicago qui dénonçait la réglementation du port d'arme par la municipalité comme contraire au Second amendement. La Cour suprême a ainsi affirmé que ni États ni villes ne pourraient désormais limiter ce droit.
Des politiques frileux sur le sujet
Malgré les récentes fusillades et la fracture dans l'opinion publique, le débat n'émerge pas dans l'actuelle campagne présidentielle, ce en dépit des exhortations médiatisées du maire de New-York Michael Bloomberg (connu pour être anti-armes) adressées aux deux candidats pour qu'ils donnent leur position, restées lettre morte.
Les républicains sont traditionnellement pro-armes. Si leur candidat Mitt Romney a par le passé entériné, en tant que gouverneur du Massachusetts, une loi interdisant la détention d'armes de guerre, il se déclare néanmoins en faveur du Second amendement :
« I support the second amendment as one of the most basic and fundamental rights of every American. […] As President, I'll honor the rights of decent law abiding citizens to own and use firearms in defense of their families and property, and for all other lawful purposes,
including the common defense » (2007) (2). Il renchérit en avril 2012 lors de la conférence annuelle de la NRA, affirmant qu'il se battrait pour « les droits des chasseurs, des sportifs et de ceux qui veulent protéger leur maison et leur famille », au contraire de M. Obama qu'il accuse de n'avoir rien fait en ce sens. À l'inverse, le démocrate et actuel Président évite toute position trop tranchée, qui pourrait le desservir. Al Gore, candidat démocrate aux élections présidentielles de 2000, s'était ainsi déclaré pour un contrôle plus strict du port d'armes à feu, ce qui avait vraisemblablement contribué à sa défaite. Pour ne pas reproduire pareille erreur, M. Obama avait déclaré lors de la campagne de 2008 : « Je ne vous enlèverai pas vos armes ».
Plus récemment, il a confirmé ne pas souhaiter changer la législation en vigueur.
Nonobstant la stupeur puis l'indignation que suscite invariablement chaque nouvelle fusillade, une application plus restrictive du Second amendement ne semble pas à l'ordre du jour. Pourtant, le débat s'exporte : Une association mexicaine, le Mouvement pour la paix, la justice et la dignité (MJPD) vient d'initier une « caravane pour la paix » à travers les États américains. L'un des buts de son fondateur, le poète Javier Sicilia, est de sensibiliser les Américains aux conséquences de la libre vente d'armes qui alimente la violence des cartels : sur les 142 000 armes saisies ces six dernières années sur le sol mexicain, environ 80 % provenaient des États-Unis, selon le journal Le Monde.
Mais alors que le gouvernement de Barack Obama (à la tête du pays premier exportateur mondial d'armement) vient de se retirer fin juillet des négociations en cours à l'ONU en vue de signer un traité réglementant le commerce international d'armes, les États-Unis semblent plus que jamais attachés à la liberté individuelle de porter (et d'exporter !) des armes. Au détriment de la sécurité collective ?
Notes et références
(1) En français : « Le deuxième amendement protège le droit individuel de posséder une arme à feu sans pour autant servir dans la milice, et d'utiliser cette arme dans la limite des dispositions prévues par la loi, tel que l'auto-défense au sein de sa maison. » (source)
(2) En français : « Je soutiens le second amendement comme l'un des droits les plus fondamentaux qu'a chaque Américain. […] En tant que Président, j'honorerai les droits des citoyens respectueux des lois à posséder et utiliser des armes à feu pour la défense de leur famille et de leurs biens et pour toute autre fin légitime, dont la sécurité collective. » (source)