Le psychisme et la crise

par LilianeBaie
mercredi 6 août 2008

L’économie gouverne tout, nous dit-on. Le nerf de la guerre d’autrefois est devenu la cause et la conséquence, l’unique terrain sur lequel se battent experts et dirigeants. Or l’économie est, comme les autres aspects de nos sociétés, chose humaine, donc difficilement réductible à des lois intangibles, sinon à celles qui intégreraient des variables affectives difficilement mesurables.

Le moral des Français est au plus bas, nous annonce-t-on après avoir donné les chiffres du sondage sans lequel aucune affirmation n’a plus de légitimité. Quant à moi, de ma fenêtre, je n’avais pas besoin de lire l’information dans la presse pour m’en douter, de la désespérance générale. Ces Français qui ne partent pas en vacances, ils m’entourent. Ceux qui sont déprimés pour des raisons professionnelles, je les rencontre. Ceux qui ne sortent plus de chez eux pour cause d’augmentation du prix du carburant, ils zonent dans ma ville, ou sur les aires de baignades nouvellement créées pour leur donner l’impression qu’ils sont quand même en vacances.

Il est vrai que je ne connais pas beaucoup de ces heureuses personnes qui ont vu leurs revenus doubler ou tripler en quelques années. Ceux-là vont bien, je pense. Mais ils ne sont pas très nombreux, apparemment.

Comment remonter le moral des ménages pour qu’ils consomment à nouveau ? La bonne question que voilà !

Une chose est fondamentale, chez l’être humain, c’est sa formidable capacité d’apprentissage. On peut miser sur sa bêtise. On peut analyser les fonctionnements des groupes, s’en servir pour manipuler les foules, et les amener à consommer ou à voter comme on le souhaite.

On peut le faire, et, en plus, ça peut marcher. Un temps.

On peut, par exemple, mettre le salarié en situation d’instabilité professionnelle, dans un climat de compétition avec ses collègues, et le spectre du chômage à la clé. De façon prévisible et vérifiée, il va se donner à fond pour ne pas faire partie de la mauvaise charrette. Il va taire, et même ne pas voir, l’injustice du manager, il va avaler force couleuvres avec le sourire. Certes, il aura un peu mal au dos le soir, mais avec une bonne rééducation remboursée (pour un temps) par la Sécurité sociale, ça ira mieux. Oui, mais la variable que j’appellerais A , la variable « Apprentissage », dans quel sens va-t-elle jouer, après des années vécues sur ce mode ? La variable A, en fait, elle va faire dire au salarié intelligent que ses efforts ne servent rigoureusement à rien. Que, quoi qu’il fasse, en approchant de l’âge canonique de cinquante ans, il sera vidé parce que trop cher pour l’entreprise. Que son couple part à la dérive, qu’il ne voit plus ses enfants, que son travail n’a plus aucun sens pour cause de redéfinition permanente des objectifs et des moyens pour les obtenir, sans jamais de pérennisation des solutions efficaces. Alors, le salarié intelligent se démotive. Les autres aussi, d’ailleurs ; à part que pour eux, le cheminement est moins élaboré, mais tout aussi déterminé dans sa conclusion, et délétère pour la compétitivité de leur boîte.

L’économie, notre Sainte Économie Moderne, joue sur le court terme. C’est son erreur. La manipulation des individus n’est jamais valable à long terme. Du moins, dans une démocratie. Certes nous avons derrière nous des siècles d’exploitation des petites gens, mais là, toute la société concourait à ce résultat : la monarchie absolue, la religion, la culture, les transmissions familiales. On était stable dans sa classe sociale, et cela avait un aspect rassurant, même si aliénant.

Mais depuis le siècle des Lumières, la liberté nous est tombée dessus. Cette question est désormais incontournable. On peut la perdre, la liberté, mais on ne peut plus revenir aux temps où elle n’avait jamais existé. Nous possédons désormais une culture de la liberté qui fait que, quelle que soit la façon dont l’avenir tentera de l’écraser, ce qui se voit tous les jours d’ailleurs (Fichier Edvige, vote d’une loi aux USA permettant les écoutes téléphoniques), il y aura toujours quelqu’un qui sortira de son silence pour rappeler que c’est le bien le plus inaliénable de l’homme.

Ne pouvant donc user des armes de l’absolutisme, les pouvoirs économiques, et néanmoins politiques, qui nous dirigent, jouent sur la manipulation. Pour obtenir partout le plus d’énergie mise au travail, avec le moins de dépenses possible. Et contraindre les citoyens à consommer toujours plus, avec de l’argent qu’ils n’ont pas. A cet égard, la stratégie des fonds de pension est assez parlante : chercher une rentabilité maximale à très court terme, se servant de l’acquis de l’entreprise, mais détruisant définitivement sa réelle compétence et son efficacité, est l’exemple ultime de ce qui se fait partout dans notre beau pays. S’appuyer sur l’existant pour en tirer son suc, et le modifier en le rendant inefficace mais rentable à court terme, me semble un sport national.

Mais il y a cette variable A.

Comment disait-on, autrefois, avant les grands groupes de distribution de l’eau ? Tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin, elle se casse ?

A force de cracher au bassinet, l’homme va, un jour, réfléchir. Est-il vraiment nécessaire d’avoir une voiture puissante, si c’est pour s’en servir si peu, et un jour ne plus s’en servir du tout pour cause de disparition du pétrole ?

Est-il souhaitable d’acheter une maison et de s’endêter pour trente ans, alors que la protection de l’emploi devient de plus en plus aléatoire et que l’on risque de se retrouver du jour au lendemain sans revenus ni, bientôt, chômage ?

Cela vaut-il le coup de se défoncer au travail au risque de tomber malade, sans contre-partie pour les efforts accomplis ?

Est-ce que, réellement, on prend plus de plaisir en regardant un film sur un écran plat plutôt que sur un téléviseur classique ? Et n’est-ce pas, finalement, plus agréable de passer une soirée entre amis, ou, même, à jouer aux cartes ?

La variable A, c’est celle qui nous permet de faire des bilans. C’est celle qui nous permet d’avoir accès à une autre chose fort précieuse : notre libre-arbitre.

A force de faire comme s’il n’existait pas, nos sociétés sont sur la pente descendante.

Une entreprise, c’est sa main-d’oeuvre, un pays, ce sont ses citoyens. Une économie, ce sont les consommateurs.

Le fait que nous soyons si nombreux, dans ces catégories, fait que les dirigeants nous voient comme des pions à manipuler. Ils ont raison, si l’on pense en terme de marché sur quatre ans. Et encore...

Mais la variable homme est, dans le fond, incontrôlable. Un groupe qui souffre devient carrément dangereux. Les tyrans sont pratiquement toujours renversés.

Car une chose est certaine : si l’homme peut trouver rassurant d’être soumis à une autorité, il est porteur d’un instinct de survie qui lui fait, in fine, refuser la souffrance.


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