Le rapport Olivennes ne fera pas avancer les choses...

par reaper95
lundi 26 novembre 2007

Presque deux ans jour pour jour après la controversée loi DADVSI (Droits d’Auteurs, Droits Voisins dans la Société de l’Information) qui aura brouillé définitivement les rapports entre internautes et industries culturelles, Denis Olivennes, PDG de la Fnac, a rendu son rapport sur le téléchargement illégal au Président Sarkozy. Passons outre le conflit évident d’intérêt (comment le patron d’un groupe de distribution de produits culturels peut-il être objectif sur le téléchargement illégal de ces mêmes produits ?) et concentrons-nous sur ce rapport et ce qu’il propose dans les faits. Que peut apporter cedit rapport ?

Je vais commencer cet article est précisant clairement ma position (histoire qu’il n’y ait pas d’ambiguité de propos) : je suis partisan d’une rémunération juste et équitable de la création artistique et des acteurs de l’industrie du divertissement. Je suis aussi farouchement opposé à une politique entièrement répressive, car je considère qu’on ne peut pas accuser vingt millions d’internautes de voleurs, et qu’il vaudrait mieux consacrer les policiers de la cyber-criminalité à des choses bien plus graves (haine raciale, pédophilie, terrorisme, propagande extrêmiste,etc.) et se concentrer principalement sur les pirates qui font du business illégal avec le téléchargement, plutôt que sur des gamins de 15 ans qui veulent juste avoir le dernier tube à la mode. Je suis un assez gros consommateur de musique, et j’achète principalement mes morceaux en téléchargement (sur iTunes, sans faire de publicité), et je n’achète quasiment plus de disques. Il m’arrive de télécharger de temps en temps de façon "illégale", et j’ai découvert de nombreux artistes grâce à ce système, et il m’est arrivé plusieurs fois d’acheter un disque que j’avais aimé après l’avoir téléchargé. D’ailleurs, si j’ai acheté les quatre albums du chanteur Tété,c’est parce que je l’ai découvert un de ses disques par ce biais-ci. Voilà pour ma petite vision personnelle, et passons au vif du sujet.

Donc hier, vendredi 23 novembre 2007, les acteurs de l’industrie du divertissement (musique, cinéma, etc.), le gouvernement et les fournisseurs d’accès à internet se sont retrouvés à l’Elysée pour signer un accord permettant de lutter plus efficacement contre la piraterie informatique. Déjà, on peut constater qu’un absent de taille n’a même pas été convié à la "fête" : les consommateurs, et donc par extension les associations qui les représentent. Il faut être clair que pour Denis Olivennes et ses partenaires, l’UFC Que Choisir n’est pas qu’un trublion, c’est carrément un pousse-au-crime, et l’inviter est déjà reconnaître qu’elle a en partie raison. Car la vision de l’industrie du divertissement est pour le moins manichéenne : grâce au haut débit, on peut télécharger illégalement, donc les internautes sont par définition des voleurs et des pilleurs. Outre le fait que ça revient à aller contre la présomption d’innocence, le problème est bien plus complexe que cela. Il faut prendre en compte le coût des produits culturels, qui paradoxalement a baissé en valeur (grâce à toutes les opérations de "bradage des oeuvres"), mais les nouveautés coûtent de plus en plus cher (notamment les CD). On doit aussi considérer l’évolution des nouvelles technologies et de leur utilisation, mais aussi l’évolution des goûts des consommateurs. Et puis, cela ne prend pas en compte non plus le fait que les gens sont un peu lassés de voir des dizaines de produits sortir chaque semaine (des centaines aux périodes de fêtes), alors qu’ils n’ont plus eux-mêmes assez de pouvoir d’achat pour se divertir (il faut payer l’alimentation et le loyer avant tout). Les différents coffrets de version sorties six mois auparavant, au détriment des premiers fans qui achètent le jour de leur sortie, ont aussi miné le moral des plus gros acheteurs. Avez-vous par exemple remarqué que tous les ans, à Noël, sort un "nouveau" produit estampillé Beatles, alors que le groupe est séparé depuis le début des années 70 ?

Bref, on ne prend qu’une seule chose en considération : internaute= voleur. Pour lutter contre ce fléau qui a, selon les acteurs de la musique, fait chuter le chiffre d’affaires de la musique et de la vidéo de près de 50 % depuis 2002, le rapport Olivennes prescrit une solution qui, soi-disant, arrangerait tout le monde : la "réponse graduée". Qu’est-ce donc que ceci ? Pour faire simple, en gros, les contrevenants se verraient envoyer par leur fournisseur d’accès un mail d’avertissement et, au bout de quatre, on vous suspend votre abonnement internet, mais cela peut aller jusqu’à l’annulation pure et simple de votre connexion. Outre le fait que cela ressemble un peu à l’histoire des "blâmes et des avertissements" de Coluche, on pourrait répondre que c’est toujours mieux que 3 ans de prison et 150 000 euros d’amende, la punition infligée pour "contrefaçon" aux pirates informatiques.

Cependant, l’UFC Que Choisir rétorque que, de toute façon, cette réponse graduée n’empêchera pas un procès au pénal. Donc la sanction peut être double. Mais il y a plus grave encore : proposer une telle solution va être durement applicable, à moins d’aller à l’encontre de nombreuses lois. En effet, fermer un abonnement internet pourrait être considéré comme rupture abusive de contrat, dans la mesure où il n’aurait pas de procès équitable, ce qui est la base de la loi française. On vous fermera votre compte sans enquête préalable, sans vérification, sans possibilité de justification. Car comme il sera interdit d’appliquer des filtrages et qu’il sera impossible de surveiller l’activité des internautes (la Cnil veille au grain), il risque d’y avoir de nombreux litiges. Comment compte-t-on effectuer la surveillance des téléchargements illégaux des internautes ? Va-t-on observer les flux d’uploading et de downloading (en gros, les téléchargements entrants et sortants d’un ordinateur) ? Si c’est le cas, il risque d’y avoir des problèmes avec les personnes qui utilisent leur ordinateur comme serveur pour le transfert de leurs fichiers, et dont l’activité peut rapidement être importante si ce sont des vidéos (légales, dans le cas présent).
Va-t-on surveiller la fréquence d’utilisation du P2P ? Sachez que ces logiciels de téléchargement n’ont rien d’illégal, reconnus légaux par jugement et considérés comme des "magnétoscopes", puisqu’ils ne servent pas forcément à la transmission de données "piratées", mais peuvent aussi servir à transférer ses propres documents. Le site Jamendo.fr, dont l’activité est de proposer en téléchargement libre et gratuit des artistes qui mettent à disposition leurs oeuvres, utilise comme moyen de transfert les logiciels BitTorrent et eMule (deux des logiciels les plus utilisés actuellement). Pourtant, dans le principe, le téléchargement des oeuvres publiées sur le site sont légales, puisque ce sont les artistes, en accord avec la plate-forme, qui proposent leurs créations. On pourrait aussi évoquer le cas d’un artiste qui voudrait utiliser un logiciel de P2P pour faire connaître son travail.
Si les flux des logiciels de P2P est surveillé, comment prouver que le téléchargement est effectif ? Pour qu’il y ait perquisition du matériel, il doit y avoir enquête, donc saisie d’un procureur, donc la justice entrera en compte. Ce n’est donc plus un simple avertissement, c’est à la limite de la mise en examen ! Et puis, même avec la meilleure foi du monde, n’importe qui a dans son ordinateur des documents dont il ne détient pas les droits. On considère que télécharger une photo dont on n’a pas les droits sur un site web pour la mettre sur son blog (par exemple) est considéré comme un acte de piraterie. Il faut absolument l’autorisation des auteurs pour l’exploiter. Imaginez cinq minutes le mic-mac administratif que cela représenterait. Or, qui n’a pas téléchargé une photo dans son ordinateur ? Le "clic-droit, enregistrer l’image sous..." n’est vérouillé sur quasiment aucun site proposant des photos ou des images.

A l’image de l’âne qui a besoin à la fois de la carotte et du bâton pour avancer, il faudrait proposer une meilleure alternative légale aux consommateurs. Or, pour l’instant, aucune véritable plus-value par rapport aux médias "piratés" n’existe véritablement. Même si les plate-formes de téléchargement légal ont fait des efforts, rien n’est réellement parfait. Bien qu’il soit mis à disposition plusieurs millions de titres, tous les artistes ne sont pas disponibles, et non pas des moindres, puisque les Beatles, Radiohead ou Prince refusent d’être distribués de cette façon. Et les umbroglios administratifs que représentent un accord de distribution ne facilitent pas la tâche. Car pour mettre légalement en téléchargement un morceau, il faut l’autorisation du producteur, de l’éditeur, de l’auteur et du compositeur. Quand il y a plusieurs auteurs et/ou compositeurs, voire plusieurs éditeurs, les choses se compliquent et le refus d’un seul précipite l’accord dans les abîmes.

Néanmoins, pour défendre un tant soit peu les artistes, l’expérience Radiohead, qui avait mis en ligne son dernier album avec un prix libre (l’internaute paye ce qu’il veut, voire ne paye pas du tout) est flagrante que les gens ne sont plus prêts à payer pour de la musique, puisque le coût moyen de téléchargement de cet album est de 3 €, et un tiers ne l’a pas payé. Encore plus étrange, on estime à 1 million le nombre de téléchargement "illégal" passant par le P2P de cet album, pourtant disponible gratuitement en offre légale. Radiohead a quand même vendu près de 2 millions de téléchargements dans le monde, ce qui a été bien rentabilisé, mais on a l’impression que cette tentative de changer la donne est mitigée...

Contrairement aux professionnels du jeu vidéo, qui ont très bien su gérer l’utilisation légale d’internet, avec présentation de vidéos, de démos, etc. Les acteurs de l’industrie de la musique n’apportent rien, ni extraits, ni vidéos exclusives, ni morceaux inédits, ni morceaux offerts pour l’achat d’un certain nombre d’autres, etc. Le iTunes Store, leader du téléchargement légal dans le monde, propose néanmoins un titre gratuit d’un artiste méconnu ou dans le cadre d’une promotion chaque mardi. Il n’y a rien d’autre de folichon sur le site, mais c’est déjà énorme par rapport à ce qu’il se fait ailleurs. Et je ne parle même pas de la VOD (Vidéo à la demande), puisque les efforts fournis pour diffuser des films ou des séries de façon légale est bancale, dans la mesure où le choix est souvent ultra-limités et les prix parfois plus cher que l’achat du DVD (l’expérience Heroes, saison 2, sur le site VOD de TF1 en est la preuve : acheter tous les épisodes coûte plus cher que l’achat d’un coffret DVD, alors que les coûts de production d’un tel produit sont bien plus importants).

Décidément, les propositions faites par les acteurs de l’industrie du divertissement ressemblent parfois plus à des chants du cygne qu’à de véritables alternatives permettant aux internautes de payer pour une offre légale de qualité, et pour des produits qui ne sont pas verrouillés, de sorte qu’on ne puisse les lire que sur un seul appareil. Vous imaginez, vous, ne pouvoir lire un livre que dans UNE pièce, et nulle part ailleurs ? Eh bien pourtant, c’est bien ce que proposent souvent les offres légales et les CD protégés, qui font qu’on ne peut pas écouter son disque à la fois dans sa chaîne, son ordinateur, son lecteur MP3 ou dans sa voiture... Des efforts sont faits la-dessus, qui permettent d’enlever les DRM (verrous numériques en question), mais les acteurs de la musique notamment, restent en majorité réticents, même s’ils sourient en façade.

Voilà un tour d’horizon que j’espère assez détaillé, bien qu’il y ait des tonnes de choses à dire. Je n’ai pas évoqué tous les aspects de ce problème qui est certainement bien plus complexe que veulent bien le faire croire les producteurs.Je pourrais écrire un essai sur ce sujet qui me passionne, mais je ne veux pas soûler mes lecteurs.

Je pense personnellement que la seule solution qui pourrait contenter tout le monde, à savoir artistes, consommateurs et producteurs, serait de réviser les lois sur les droits d’auteurs, qui datent du milieu du XIXe siècle et n’ont quasiment jamais été revues depuis (ainsi, les partitions, quasiment plus vendues à l’heure actuelle, sont encore largement protégées dans le code sur les droits d’auteurs français !), ainsi que les méthodes de financement, quitte à changer le mode de fonctionnement du mammouth Sacem. Mais curieusement, du côté des politiques comme des acteurs principaux, on refuse d’entendre parler de "rupture" et de "réforme", alors que le mot est tellement à la mode dans leur bouche. Le conservatisme fait la part belle au blocage de la création, à la limitation de la diffusion et aux complications administratives et juridiques. L’offre proposée aux consommateurs est déjà réduite et les lois proposées n’aident pas à la diversité et à la création, et en plus, on les traite de voleurs et on les envoie au tribunal. Pourtant, messieurs les producteurs, quand la qualité est là, les gens sont prêts à acheter. L’exemple de Mika, qui a vendu 600 000 albums vendus en 3 mois, alors qu’aujourd’hui c’est à peine si un artiste phare arrive à vendre plus de 300 000 (et c’est un excellent chiffre de ventes), est édifiant. Et en plus, l’exploitation d’internet a été essentielle au développement de sa carrière. Donc, ne dites pas que les gens ne veulent plus dépenser d’argent pour la musique, mais peut-être simplement qu’ils ne veulent pas acheter indéfiniment la même daube à prix coûtant...


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