Le sexisme a de beaux jouets devant lui

par Inès Sextia
mercredi 7 décembre 2011

Les catalogues de jouets 2011, distribués dans nos boîtes aux lettres depuis la fin octobre et probablement depuis longtemps dans la vôtre, révèlent que le sexisme est toujours une réalité, chevillée au cœur de nos imaginaires sociaux.

Opérations coups de poing autour de grands magasins, distributions de tracts, livres militants. Depuis des années, des associations comme Mix-cité ou le Collectif contre le publisexisme se battent pour que cesse la discrimination des sexes dès le plus jeune âge « au travers des jouets et de leurs usages ». Coup d’épée dans l’eau ? En ouvrant les catalogues de jouets 2011 distribués dans nos boîtes depuis la fin octobre, on se dit en tous cas qu’il y a des combats qui ont encore de beaux jours devant eux… Et Le catalogue Carrefour 2011 (http://static.carrefour.fr/static/cfr/catalogue/2011/1022_jouet/Jouet_PV/index.html)

« Noël en grand » en est un magnifique exemple. Interrogé à ce sujet, le groupe n’a pas souhaité répondre nos questions.

Le petit garçon est invité à « construire », « dominer », « utiliser », « attaquer ».

Ce qui est sûr, c’est que ni l’imagination ni l’égalité des sexes ne sont au programme du Noël Carrefour 2011 : aucune offre de jouets mixtes, uniquement des jouets pour « filles » ou pour « garçons », présentés sur fond de couleurs qui frisent la caricature : fushia et rose bonbon pour les premières ; vert, gris et bleu pour les seconds. L’offre est sans surprise, on ne trouve que des grands classiques : petites voitures, mécanos, camions de constructions, tous hyper réalistes côté garçon ; poupées, princesses, mini animaux rose fluo, tous hyper stylisés et féériques côté fille.

Dans les vingt - unes pages pour garçons, c’est la grande parade des qualités viriles. On y exalte tambour battant la force, la puissance, la conquête et le savoir technique. Interpelé dans les descriptions des jouets par des impératifs à la pelle, le petit garçon est invité à « construire », « dominer », « utiliser », « partir », « protéger », « attaquer ». On comprend vite qu’on attend de lui qu’il agisse, dans le monde et sur le monde.

D’ailleurs, dès le début, le ton est donné en faisant la part belle aux « jeux de construction », type Lego®, Playmobil®, bûchettes, censés favoriser sa « motricité », sa « créativité », son « éveil ». Comme par hasard, ces jeux sont uniquement présentés dans la section garçons, alors même qu’ils pourraient être considérés comme mixtes. Chez les filles, on passe à des jeux de « création » ou à des « jeux éducatifs ». La petite fille peut y apprendre à « classer des perles », à « réaliser et décorer des mini gourmandises sucrées » ou encore à fabriquer des crèmes glacées ! Le message est clair : d’un côté ce sont les facultés intellectuelles et logiques que l’on souhaite favoriser et développer, de l’autre - côté filles, faute de favoriser des capacités, ce qui impliquerait déjà qu’on en suppose l’existence, il s’agit simplement d’ « éduquer », autrement dit de conditionner à aligner des perles, à se faire belle et à préparer des gâteaux…Repos du guerrier oblige !

Que voit-on d’ailleurs dans les pages suivantes côté garçon ? Dégourdi, éveillé, le petit homme est poussé à aller symboliquement explorer le monde. En voiture, en avion, en hélicoptère, « toujours plus vite ». Évidemment, pour découvrir de nouveaux territoires et les conquérir, il faut être prêt à combattre. Et c’est ici qu’on retrouve les petits soldats, les panoplies de super - héros, les armures en mousse, les pistolets plus vrais que nature, les super hamsters samouraïs Kung Zhu. Quand il ne part pas à l’aventure pour attaquer et conquérir, le petit garçon est invité à défendre la société et à garantir un ordre social très masculin. C’est le cortège des policiers, des pompiers, des médecins autant de professions auxquelles il peut s’identifier.

La petite fille pourra apprendre à changer des couches puisque bébé « fait pipi, caca et pleure ».

De son côté, la petite fille reléguée à ses espaces intérieurs et imaginaires a renoncé depuis longtemps à agir sur quoique ce soit. Pour elle, à l’action est substituée la contemplation fabulatrice ou tout au mieux le care. Alors sur deux double pages, avec Barbie et les autres, on lui apprend à devenir « princesse », comprenez à se coiffer, se maquiller, mettre des « robes féériques », et attendre son prince charmant super héros. D’ailleurs, sans transition, à la page suivante, on découvre deux panoramas où la princesse « joue à la maman » : poussettes, nurserys, poupons, poupées, il y en a pour tous les goûts ! On l’initie même aux joies de la maternité. Avec Baby Born Gourmand par exemple, un « poupon avec une glace qui lui barbouille le visage par magie », elle pourra changer des couches puisque bébé « fait pipi, caca et pleure » !

Les métiers mis en scène dans les dernières pages du catalogue section « filles » achèvent le passage du rêve au réel, de la princesse en Cendrillon. La petite fille est hôtesse de caisse dans son mini supermarket , cuisinière derrière sa « cuisine prestige » toute équipée, coiffeuse devant sa « tête à coiffer ou à colorer ». Elle peut aussi aspirer à devenir chanteuse pin up… Ou femme de ménage avec son « super chariot pour faire le ménage dans toute la maison » ! Et les mises en scène de ces métiers laissent songeur …. Au « supermarket » par exemple, la petite fille « joue à l’hôtesse de caisse » et sert un client masculin, figure du consommateur - roi. De même, juste à côté du fameux chariot de ménage décoré avec des petites fleurs, on trouve un « chariot médical » poussé par un petit garçon en blouse bleue qui – nous dit-on – « joue au médecin »…

Sommes-nous bien en 2011 ?

Quand on referme le catalogue Carrefour, on ne peut pas s’empêcher de se pincer : sommes-nous bien en 2011 ? N’avons-nous pas raté un épisode dans la grande marche de l’Histoire, à commencer par le XXème siècle, sans parler de son Mai 68 et de ses mouvements féministes ?

Dans une époque qui se gargarise de modernité et d’égalité, « l’heure est grave, les enfants », c’est papa et maman qui vous le disent !

Les jouets sont les reflets en miniature d’une société et de ses valeurs. Supports de jeu, ils symbolisent toujours autre chose : une appartenance sexuelle, un rôle social, une attente parentale. À travers eux, l’enfant se projette et se prépare à son rôle d’adulte. Et quels sont donc ces adultes que nos catalogues de jouets forment pour l’avenir ? Le futur jeune homme peut-il continuer au XXIème siècle à se définir à travers les symboles d’une virilité aussi caricaturale, aux attentes et exigences démesurées ? Et la future jeune fille, dans un monde où on lui promet l’égalité des sexes et des conditions, peut-elle décemment se contenter de se préparer au mariage et de « jouer à la maman » ? À l’heure où discours médiatiques et politiques parlent de congés de paternité, de femmes actives et d’égalité salariale, les jouets supports d’idéologies d’un autre temps ont-ils encore un sens ?

Pourquoi devraient-ils être sexués à ce point ? Le problème est moins d’offrir une poupée à la petite fille que de ne pas pouvoir – si l’on en croit les catalogues – aussi en offrir une au petit garçon, et de n’avoir, par exemple pour la petite fille, d’autre alternative à la poupée que la cuisine équipée ou la trousse de maquillage. Nos enfants devraient être amenés par les catalogues et par nous-mêmes à choisir leurs jouets en fonction de leurs envies propres, et non pas à cause de leurs sexes qui leur imposent des cadres et des valeurs idéologiques, par ailleurs inadaptées à leur époque.

Apprenons à être libres et à nos enfants à l’être avec nous.

Lutter contre les aliénations de tous types, partout où elles se logent, surtout dans ce qui peut sembler le plus anecdotique– de la Barbie de ma cousine au Power Ranger de mon petit frère : voilà notre combat pour demain pour ne pas perdre les bénéfices d’hier. Au même titre que d’autres en leur temps, les femmes au XXème siècle ont revendiqué des droits. Elles ont voulu se libérer et par la même libérer l’homme des attentes excessives que leurs dépendances et la société mettaient en lui. Elles ont acquis les bases légales de cette évolution, mais comme souvent, le plus dur reste à faire. Car il faut réaliser ces changements dans les faits et surtout dans les symboles. Changer les mentalités, « décoloniser les imaginaires » est un travail individuel et collectif qui suppose une vigilance de tous et de tous les instants.

C’est à nous, consommateurs et citoyens de tout sexe, de refuser ces jouets aux fonctions imposées, et les valeurs sociales qu’ils véhiculent. Et ainsi de faire de vrais choix de société.

Apprenons à être libres et à nos enfants à l’être avec nous. Et c’est tout de suite qu’il faut commencer. N’en déplaise à Carrefour et à son Noël toujours plus « grand », toujours plus sexiste.


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