Le terrorisme comme outil de l’État profond - La politique intérieure [1/3]

par GÉOPOLITIQUE PROFONDE
mercredi 13 avril 2016

L’objectif de cette étude est de traiter du phénomène terroriste dans sa dimension spectaculaire, autrement dit dans celle qui mobilise intensément les médias et par conséquent les consciences collectives. Nous allons tenter une analyse globale pour montrer que cette forme précise de terrorisme peut être un instrument étatique utilisé ou récupéré pour effectuer des modifications de paradigme dans la société... au bénéfice du pouvoir. Si « expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser » le terrorisme selon le charismatique Premier ministre Manuel Valls, nous allons lui démontrer qu’en l’expliquant, nous voulons plutôt lui nuire.

 

Rappel historique

Mettons directement les pieds dans le plat : historiquement, le phénomène terroriste a été majoritairement organisé par des instances étatiques dans un objectif de subversion précis. Les origines philosophiques du terrorisme contemporain peuvent remonter à la naissance du monde moderne, où la Terreur de la Révolution française de 1789 a été le moyen légitime pour un changement radical de paradigme, justifiant massacres et autres totalitarismes qui suivront. Au XIXe siècle déjà, le terrorisme anarchiste d’extrême gauche était supervisé en sous-main par l’État (le préfet de police Louis Andrieux et ses agents de police agitateurs infiltrés) pour contenir la contestation sociale et légitimer les lois scélérates de 1893. Plus tard, dans les années 1950, ce sont des milieux d’extrême droite qui ont été massivement récupérés par l’OTAN, avec la coordination des services de renseignement anglo-américains (CIA et MI6), pour lutter contre l’influence du communisme en Europe de l’Ouest par le biais d’attentats sous faux drapeau. À partir des années 1970, ces réseaux d’armées secrètes de l’OTAN appelés Stay-Behind, et notamment la section italienne Gladio, ont également commencé à manipuler des milieux d’extrême gauche. Les Brigades rouges italiennes ont par exemple été instrumentalisées par la CIA dans le cadre de la stratégie de la tension pour maintenir l’Europe dans le giron militaire de l’OTAN. En octobre 1990, le 1er ministre italien Guilio Andreotti a révélé que l’organisation Gladio, à travers la loge maçonnique italienne P2, organisait les opérations des Brigades rouges. Alberto Franceschini, un des fondateurs des Brigades rouges, l’a également expliqué dans ses mémoires publiées en 2005 [1]. Il est démontré aujourd’hui que l’OTAN, la CIA et le MI6 ont tué des civils européens dans le cadre des opérations des cellules Stay-Behind (exemple : l’attentat de la gare de Bologne en Italie en août 1980, 85 morts, 200 blessés) pour maintenir le Rimland européen sous contrôle anglo-saxon. Ces armées secrètes inféodées à l’OTAN étaient présentes dans la quasi-totalité des pays européens. De nombreuses études et livres documentés traitent de ces affaires [2], des reportages ont été réalisés et des enquêtes parlementaires suisse, italienne, belge, néerlandaise, autrichienne et luxembourgeoise ont éclairé le phénomène dans leur pays respectif à partir des années 1990.

Dans les années 1980, ce sont les milieux wahhabites et takfiristes issus principalement d’Arabie Saoudite qui seront utilisés par les instances étatiques et paraétatiques anglo-américaine principalement pour contrer la menace soviétique en Afghanistan. Des organisations telles que les Frères Musulmans et la Ligue Islamique Mondiale largement soutenues par la CIA, ont joué un rôle essentiel dans ce jihad US anti-soviétique. Ces éléments wahhabites deviendront centraux dans le changement de paradigme après la chute du mur de Berlin et seront utilisés massivement par la suite. L’ancien secrétaire d’État étasunien James Baker dira logiquement à ce sujet en 1996 : « Nous ne devons combattre les intégristes que dans la mesure exacte où nos intérêts nationaux l’exigent ». Cette collaboration entre les États-Unis et les fondamentalistes musulmans n’est pas nouvelle. Elle commence au moins dès 1953, quand la CIA recrute des mollahs plutôt extrémistes (mais pro-étasunien) pour renverser le président iranien Mohamed Mossadegh et quand les Frères Musulmans s’intègrent aux objectifs géostratégiques étasuniens durant la guerre froide.

La France du président François Mitterrand sera également de la partie. Les services de renseignements extérieurs français (DGSE) s’engageront à partir de 1982 dans la première guerre d’Afghanistan (1979-1989) avec leurs homologues des services secrets étasuniens (CIA), anglais (MI6), pakistanais (ISI) et saoudiens (GID). La confrérie religieuse des Frères Musulmans recrute alors, depuis son centre pakistanais, des milliers de combattants des pays arabes pour aller faire le jihad anti-soviétique en Afghanistan. La DGSE armera et entraînera également des combattants pour ce conflit, y compris en France. Ces mêmes groupes seront mobilisés après les années 1990 en Bosnie, au Kosovo, dans le Caucase, en Irak, en Libye, en Syrie, etc. dans des objectifs peu avouables. Jusqu’à aujourd’hui, de nombreuses personnalités, notamment des Frères Musulmans (et ses succursales l’Union des Organisations Islamique en Europe, l’Assemblée Mondiale de la Jeunesse Islamique, le Conseil Mondial des Mosquées et la Fondation Internationales Islamique de Charité), recherché par Interpol ont bénéficié et bénéficie encore de haute protection politique en France alors même que des groupes algériens en relation avec eux (comme le Groupe Islamique Armé ou le Front Islamique du Salut) ont organisé des attentats en France et en Algérie à plusieurs reprise en 1994, 1995 et 1996 [3]. Les réseaux wahhabo-takfiriste franco-belges à l’œuvre actuellement se sont en effet constitués depuis les années 1990, selon le juge d’instruction au Tribunal de Grande Instance de Paris au pôle antiterroriste, Marc Trévidic.

Les services occidentaux n’ont pas le monopole du terrorisme étatique ; l’action terroriste sous fausse bannière a indéniablement été utilisée par de nombreux états pour faire avancer des intérêts divers. Voici une liste non exhaustive de 42 exemples plus ou moins admis officiellement, démontrant que le terrorisme étatique a été massivement utilisé dans de nombreux pays comme un outil de subversion précis. Nous pouvons d’ores et déjà souligner que le terrorisme a souvent été organisé par les plus grandes démocraties du monde libre dans des objectifs géostratégiques transnationaux. Ceci invite à la vigilance légitime et au principe de précaution quant aux affirmations tranchées sur l’actualité du phénomène terroriste contemporain.

Selon l’ancien diplomate et universitaire canadien Peter Dale Scott, il y a dans ces grands évènements ce qu’on appelle l’histoire officielle, qui ignore, déforme ou marginalise des évènements profonds (et majeurs) et un second niveau d’analyse qui les incorpore, qu’il appelle l’histoire profonde. L’écrivain français Honoré de Balzac l’avait également dit plus radicalement : « Il y a deux histoires : l’histoire officielle, menteuse, puis l’histoire secrète, où sont les véritables causes des évènements ». Nous allons maintenant rentrer au cœur du sujet et tenter de mettre en lumière différents niveaux de l’histoire profonde dans de récents évènements survenus en France.

 

Le lien étatique et paraétatique avec le terrorisme : failles ou collusions

La quasi-totalité des terroristes ayant frappé l’Occident depuis le 11 septembre 2001 à New York était connue de nombreux services de renseignements. Amusons-nous un peu : nous allons vous présenter des profils ayant commis les derniers attentats spectaculaires en France et vous devrez établir s’il s’agit de laxismes, de collusions ou/et de failles venant de services étatiques et paraétatiques. C’est parti.

Attentats à Paris, le 13 novembre 2015 :

 

 

 

 

 

Pour conclure sur ces attentats, rappelons qu’une liste de tous les jihadistes français opérant en Syrie a été proposée il y a deux ans par les services secrets syriens à Bernard Squarcini, l’ancien n°1 de la DCRI. Il a transféré cette proposition à l’ancien ministre de l’Intérieur Manuel Valls, qui a refusé de collaborer avec les services syriens pour des raisons probablement personnelles et idéologiques selon Squarcini. D’après un document révélé par Paris Match, la justice française savait que la salle du Bataclan était une cible désignée pour une attaque terroriste depuis début 2009. Aucune alerte, protection ou surveillance spéciale n’a été mise en place alors que le belge Farouk Ben Abbes a également été interpellé pour un projet d’attentat contre le Bataclan en 2010. Ce dernier a pourtant été en contact avec le célèbre Fabien Clain, qui a revendiqué les dernières attaques de Paris au nom de l’EI et qui a été le mentor de Mohammed Merah dont nous parlerons plus tard. Jesse Hugues, le chanteur du groupe Eagles of Death Metal qui a joué au Bataclan le soir des attentats affirme que « six membres de la sécurité ne s’étaient en fait jamais présentés » et « ils avaient clairement une bonne raison de ne pas se montrer ». Une complicité ou une faille que l’enquête n’a pas encore traitée. L’actuel directeur de la CIA John Brennan a également rappelé dans une interview à la CBS que la CIA était au courant de la planification de ces attentats du 13 novembre 2015 à Paris quelques jours avant qu’ils surviennent, selon la radio La voix de la République islamique d’Iran (15/02/2016).

 

Attentats à Paris, du 7 au 11 Janvier 2015 :

 

La protection logique dont ont bénéficié les protagonistes du journal Charlie Hebdo avant les attentats n’aurait pas dû être levée. Les règles minimums de sécurité n’ont pas été respectées alors que le dessinateur Charb figurait sur une liste nominative de personnes à abattre d’AQPA, ce qui a été gravement négligé selon Eric Stemmelen, ancien responsable du Service de Protection des Hautes Personnalités. D’ailleurs, Cherif Kouachi se rendra à Charlie Hebdo en octobre 2014 faire des repérages et dira à un journaliste de Premières Lignes (dont les locaux sont voisins de ceux de Charlie Hebdo) en pause cigarette : « C’est bien ici les locaux de Charlie Hebdo ? C’est bien ici qu’on critique le Prophète ? De toute façon, on les surveille ! Vous ferez passer le message ». Le témoin relatera cet échange à la police en transmettant une partie de la plaque d’immatriculation du véhicule de Chérif Kouachi. Le rapport établi à l’époque au sujet de cette scène n’est pas présent ou a disparu du dossier d’instruction des attentats de janvier 2015 à Paris. La sécurité à Charlie Hebdo était une « passoire » et a été extrêmement minimisée malgré les menaces, tant dans la protection des victimes que dans la surveillance des assaillants. L’épouse du dessinateur Georges Wolinski a également porté plainte contre X pour homicide involontaire aggravé, pointant ces failles dont son mari se plaignait. En bilan de ses attentats survenus en France, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve déclara le 4 septembre 2015 que « beaucoup de ceux qui ont été engagés dans des opérations à caractère terroriste ont, plus ou moins, parfois, été rencontrés par nos propres services de renseignement » (l’écouter à 34:50). Nous le verrons d’autant mieux avec le cas suivant.

 

Attentats de Mars 2012 à Montauban et à Toulouse :

 

(À suivre)

Franck Pengam

 

[1] Alberto Franceschini, Brigades rouges : L’histoire secrète des BR racontée par leur fondateur, entretien avec Giovanni Fasanella, Éditions Panama, 2005.

[2] Jan de Willems, Gladio (Bruxelles, EPO, 1991) ; Hugo Gijsels, Network Gladio (Louvain, Utgeverij Kritak, 1991) ; Leo Müller, Gladio. Das Erbe des Kalten Krieges. Der NATO Geheimbund und sein deutscher Vorläufer (Hambourg, Rowohlt, 1991) ; Jean-François Brozzu-Gentille, L’Affaire Gladio. Les réseaux secrets américains au cœur du terrorisme en Europe (Paris, Albin Michel, 1994) ; Ronald Bye, Finn Sjue, Norges Hemmelige Haer. Historien om Stay Behind (Tiden Norsk Verlag, Oslo, 1995) ; William Blum, Killing Hope. US military and CIA interventions since World War II (Maine, Common Courage press, 1995) ; Emanuele Bettini, Gladio. La republica parallela (Milan, Ediesse, 1996) ; Jens Mecklenburg, Gladio. Die geheime terrororganisation der Nato (Berlin, Elefanten Press, 1997) ; Fulvio Martini, Nome in codice : Ulisse (Milan, Rizzoli, 1999) ; Daniele Ganser, NATO’s Secret Armies. Operation Gladio and Terrorism in Western Europe (Londres, Franck Cass, 2005) [éd. fr. Les Armées secrètes de l’OTAN. Réseaux Stay Behind, Gladio et Terrorisme en Europe de l’Ouest, (Paris, Demi-Lune, 2007)].

[3] Jean-Loup Izambert, 56 - Tome 1 : L’État français complice de groupes criminels, IS Edition, 2015

 

 

Le terrorisme comme outil de l’État profond - La politique intérieure [1/3]

Lire l'article complet, et les commentaires