Les congés menstruels, pour ou contre ?

par Sylvain Rakotoarison
jeudi 2 février 2023

« Face à ce sentiment qu’ont les femmes d’une société pas encore prête à accepter sans préjugés le congé menstruel, l’instauration d’une telle mesure doit à l’évidence s’accompagner d’une libération de la parole visant à briser le tabou des règles et d’une phase de pédagogie auprès de l’ensemble des salarié(e)s et de leurs dirigeants. » (Louise Jussian, chargé d'études de l'IFOP, septembre 2022).

Le visiteur du site Internet du parti socialiste pourra trouver par hasard un communiqué de la direction daté du 21 décembre 2022 pour annoncer, en différé, que depuis le 7 novembre 2022, le PS, en tant qu'employeur, a donné à l'ensemble de ses permanentes (femmes) un « jour de congé supplémentaire et facultatif pour faire face aux contraintes qu'elles rencontrent durant les périodes de menstruation ».

Le communiqué ne précise pas si ce jour de congé est donné chaque mois ou pour une année (a priori, c'est chaque mois). Il précise par ailleurs que des protections hygiéniques sont accessibles gratuitement dans les locaux pour leurs salariées. La décision du PS est très osée financièrement puisque, à la suite des catastrophes électorales (qui s'apparentent à des catastrophes industrielles si on considère un parti comme une entreprise) depuis 2017, ce parti vit avec très peu de moyens, au point d'avoir dû quitter le siège "historique" du 10, rue de Solférino (ancienne résidence particulière du duc Albert de Broglie, achetée en 1980 par le PS) pour emménager le 12 octobre 2018 dans un sordide bâtiment industriel au 99, rue Molière à Ivry-sur-Seine.

Dans le monde politique, on a déjà vu une femme enceinte ne prendre que quinze jours de congé pendant toute sa grossesse et travailler presque normalement (une ministre très médiatisée). À l'opposé, la possibilité de congés menstruels réguliers, sans justification des douleurs (c'est-à-dire sans avis médical), peut être considérée comme une avancée en faveur des femmes et de leur bien-être dans leur milieu professionnel, au risque de certaines en profitent plus que d'autres.



La réflexion sur les congés menstruels est intéressante car elle touche un sujet très important des femmes. Je suis mal placé pour en parler (pour des raisons évidentes) et le sujet peut être évoqué, du moins en France, avec des petits sourires en coin qui ne devraient pas avoir lieu d'être, sourires typiquement machistes sinon graveleux. Il reste encore des révolutions sociales à faire.

D'ailleurs, une salariée sur cinq en France a déjà admis avoir été moquée à propos de ses règles, et le sujet a souvent été traitée par de l'humour (voir la chronique de Guillaume Meurice le 5 septembre 2017 sur France Inter, dans la vidéo à la fin de l'article). Ce qui nuit à la prise en compte du sérieux et parfois de la gravité de certaines situations.

Pourtant, c'est un sujet important qui pourrit régulièrement la vie de nombreuses femmes au travail (et pas seulement au travail). Dans un sondage réalisé par l'IFOP pour EVE AND CO du 12 au 15 septembre 2022 sur un échantillon de 993 femmes salariées âgées de 15 ans et plus, 53% des salariées sondées déclarent avoir des règles douloureuses, 35% considèrent que cela impacte négativement leur travail (un tiers, c'est beaucoup !), 65% ont été confrontées à des difficultés liées à leurs règles au travail (deux tiers !), 66% sont favorables aux congés menstruels en entreprises (les plus jeunes étant plus favorables que les plus âgées), mais 82% craignent que les congés menstruels soient un frein nouveau à l'embauche des femmes ou à l'évolution de leur carrière.



Le sujet n'est pas nouveau puisqu'une entreprise japonaise a adopté la mesure dès le début des années 1930 à la suite de revendications ouvrières. La mesure a été généralisée à toutes les entreprises au Japon en 1947 par loi (mais sans sanction pour les entreprises qui ne la respectent pas ; pour un tiers seulement, ce congé est payé), en Indonésie en 1948, en Corée du Sud en 2001, à Taïwan en 2013. En Zambie (en Afrique), cette possibilité est aussi offerte aux salariées, après une forte polémique dans le pays.



Dans plusieurs pays asiatiques, cette mesure a été adoptée, mais néanmoins, peu de femmes y ont aujourd'hui recours (au Japon, plus d'un quart des Japonaises y avaient recours en 1965, elle étaient moins de 0,1% en 2016) et certains pays attribuent même des primes de présence aux femmes qui n'y ont pas recours (en Corée du Sud par exemple).

En Europe, certains pays commencent à en parler. En Espagne, la loi a instituée les congés menstruels, elle est considérée comme une victoire des féministes (la loi a été adoptée par 190 députés contre 154 le 15 décembre 2022, proposant jusqu'à trois jours de congés par mois). En France, aucune disposition législative n'existe, mais certaines entreprises (ou associations) le permettent, à l'instar de la start-up Louis design depuis le 8 mars 2022, société qui propose du mobilier de bureau écoresponsable.



En fait, il y a deux problèmes en proposant des congés menstruels (un à trois jours par mois) : d'une part, ils risquent de réduire la productivité des femmes et donc, leur chance à l'embauche (malgré les lois contre les discriminations qui existent déjà, comme les discriminations contre les femmes en devenir de maternité) ; d'autre part, ils confortent la stigmatisation des femmes alors que les courants féministes veulent au contraire l'égalité (salariale notamment).

Le risque est même de renforcer la caricature de la femme qui a ses règles et qui ne serait pas capable de prendre les bonnes décisions en raison de ses humeurs (ce qu'estimait Colette malgré sa modernité, mais c'était il y a un siècle). Caricature qui ne peut évidemment pas cibler certains hommes caractériels ou colériques, entêtés, etc. qui sont aussi insupportables que certaines femmes (mais eux, en permanence !).

À mon sens, le congé menstruel ne devrait pas être institué par la loi pour la raison simple que c'est un problème de santé et que le sujet a déjà été traité par la Sécurité sociale. Si les périodes de menstruation pour certaines femmes sont douloureuses et impactent leur vie professionnelle, elles devraient avant tout consulter un médecin et que celui-ci leur prescrive un arrêt-maladie.

Cette solution permettrait, d'une part, de vérifier que les règles douloureuses ne cachent pas un problème plus grave (40% des femmes qui souffrent de douleurs pendant leurs règles sont atteintes de pathologie comme l'endométriose, maladie chronique souvent mal diagnostiquée chez la femme). Le fait d'avoir mal pendant ses règles n'est pas normal (et jamais anodin) et se soigner paraît meilleur que rester seulement chez soi. D'autre part, le secret médical étant là, le congé maladie même récurrent d'une femme au travail n'a pas à être justifié auprès de ses collègues ou supérieurs, tandis qu'un congé menstruel pris en tant que tel donne clairement le calendrier intime de la personne qui le prend.

Nul doute que les parlementaires français, dans leur niche propre à chaque groupe, s'empareront bientôt du sujet puisqu'il fait partie des sujets sociétaux par excellence, celui noble d'améliorer sincèrement, comme Françoise Giroud en fut la première ministre, la condition féminine.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 janvier 2023)
http://www.rakotoarison.eu


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