Les éleveurs, victimes et symboles de notre époque
par Laurent Herblay
vendredi 7 août 2015
Les annonces du gouvernement n’y ont, logiquement, rien changé. En ne proposant que des calmants et non de véritables solutions à leurs maux, les protestations continuent, comme l’interception de 35 tonnes de viande aux origines variées. Comme une synthèse des affres de notre époque.
Uberisation globale pour les recettes
Cela fait malheureusement depuis des années que les agriculteurs subissent des variations erratiques des cours des matières agricoles (au plus bas depuis 6 ans selon la FAO), d’autant plus que les mécanismes protecteurs de la PAC, qui garantissaient un prix minimum, ont été liquidés. En fait, pour leurs recettes, les agriculteurs sont déjà dans un mode de fonctionnement proche de celui de l’écosystème d’Uber. Elles sont totalement fonction des cours du marché, leurs rémunérations étant une des variables d’ajustement de ce marché fou. Dans un reportage, France Télévisions rapporte le cas d’une agricultrice productrice de lait, dont le couple parvient tout juste à gagner le SMIC à deux !
Et encore, dans certains cas, on sait que les prix du marché peuvent parfois tomber en-dessous du prix de revient de production, ne laissant aux agriculteurs que leurs yeux pour pleurer, sans le moindre argent pour vivre ! Nos gouvernants, de droite comme de gauche, ont laissé se développer une situation absolument révoltante pour une profession pourtant chargée de nous nourrir, comme s’ils étaient une avant-garde de la société de demain, où tout pourrait être soumis au bon vouloir du dieu-monstre marché, et serait flexible et variable… Comme les rémunérations des chauffeurs d’Uber en somme, mais alors que les intermédiaires parviennent, eux, à bien vivre de l’activité… des autres.
Un Etat qui intervient à contre-temps
Et quand on prend un peu de recul sur la situation, les décisions de l’Etat en sont encore plus effarantes. Bien sûr, le gouvernement a annoncé des aides temporaires, mais il s’agit souvent de financements à court terme dont l’Union Européenne peut exiger le remboursement. Bref, il ne s’agit que d’un pis-aller, l’Etat les utilisant comme des cache-sexe de son laisser-faire sur la question des prix ou de l’importations de produits venant parfois d’Asie pour la viande (sans que l’on voit bien l’intérêt de permettre à du poulet thaïlandais de faire plus de 10 000 kilomètres pour arriver chez nous)… Il faut noter que Berlin, toujours dans son rôle de policier de l’UE, a demandé à Paris de mettre fin aux barrages…
Cerise sur le gâteau, alors que l’Etat donne toujours plus de contraintes à nos agriculteurs (ce que rappelle l’agricultrice de France Télévisions), qui leur coûtent chers alors que leurs recettes sont insuffisantes et bien trop fluctuantes parfois pour assurer le simple entretien de leur matériel, il laisse entrer des produits qui apportent une concurrence déloyale, en ce qu’ils ne sont pas soumis à des normes ou des contraintes aussi fortes, ce que l’accord transatlantique pourrait encore aggraver en laissant entrer certaines cochonneries venues des Etats-Unis. Bref, l’Etat demande à nos agriculteurs de se battre avec les mains dans le dos sur le grand marché mondialisé des produits agricoles globaux…
Voilà pourquoi il faut apporter le plus grand soutien aux éleveurs, mais aussi aux agriculteurs, de plus en plus soumis à un mode de fonctionnement révoltant. Outre le fait de montrer les ravages de la globalisation, on ne peut qu’en craindre les conséquences sanitaires, qui sont sans doute déjà là.