Les faces du capitalisme

par Jean-Paul Foscarvel
samedi 11 août 2012

Le système dans lequel nous vivons est le capitalisme.

Aujourd’hui, en Europe, il paraît démocratique, quoiqu’avec une tendance régressive.

Il n’en a pas toujours été ainsi.

Le système capitaliste a depuis ses origines, connu de nombreuses phases, voire a eu, et a encore, dans le même temps, différentes versions parallèles

Si les marxistes, et Marx en particuliers, ont su analyser à leur époque le type de capitalisme propre aux régions européennes de l’époque, il n’est pas certain qu’ils aient su analyser les faces les plus sombres du système, celles qui concernent directement le pillage des territoires, la destructions de êtres humains pour prise du foncier, la mise sous tutelle des peuples, et l’esclavage proprement dit.

Au fond, le projet marxiste était un projet centré d’abord sur l’Europe, avec comme analyse l’exploitation massive du prolétariat européen du dix-neuvième siècle.

La partie liée à la destruction massive des autochtones des pays colonisés est restée quelque peu en dehors du champs de l’analyse. Au contraire, la libération des peuples vues par les marxistes a consisté à tordre leur histoire dans le corpus théorique marxiste.

D’un part, il n’a pas été possible de prendre en compte les spécificités du colonio-capitalisme, de l’autre, les mouvements de libérations se sont figés dans un discours qui ne collait pas à leur propre réalité

L’une des bases de la richesse des sociétés capitalistes, et cela est très important, a été la spoliation des sols, des matières et des hommes, spoliation quasi-gratuite, sur laquelle pouvait se fonder à la fois la part énergétique et matérielle, ce qui sur un plan strictement capitalistique diminue la part de capital constant et donc, augmente la rentabilité des entreprises industrielles. Quant à l’avantage de disposer d’un sol gratuit par le massacre de ses propriétaires ancestraux n’est pas à démontrer (avantage relatif des USA sur l’Europe qui serait à creuser par ailleurs).

Par ailleurs, si l’exploitation des ouvriers européens, et plus tard étatsuniens, a été basée sur le contrat de travail, librement accepté, et donc impliquait la démocratie, il n’en va pas de même de l’esclavage pur et simple qui a été un des vecteurs de richesse, notamment dans les États américains du sud. Là encore, cela a permis de diminuer la part des matières premières dans la production industrielle et contribue à l’augmentation des taux de profits générés par l’industrie.

On peut donc dire que le capitalisme, sans sa part coloniale, n’aurait pas pu avoir le « succès » économique qu’il a eu. Il a de fait été pour lui nécessaire de distinguer les populations qui avaient droit à l’exploitation via le travail rémunéré, et la transformation de matières premières en produits finis, et celle qui n’avait droit à rien, en étant directement fournisseuse de matière première, d’énergie, voire même de son sol.

Quant à la question démocratique, elle tient de cette distinction. Dans sa période territorialisée, la sphère démocratique ne concernait bien entendu que la partie salariée exploitable, sous certaines conditions néanmoins.

Lorsqu’en Europe, de réels mouvements populaires ont vu le jour, avec arrivée au pouvoir de représentants des classes laborieuses, la réponse a toujours été brutale, que ce soit en France avec les massacres des communards, ou en Allemagne avec l’élimination des spartakistes.

On peut donc dire démocratie sous surveillance, et retour à l’ordre, voire à la dictature, en cas de dérive trop dangereuse pour le système.

La question du nazisme se pose alors : le nazisme est-il une face possible du capitalisme, ou bien est-ce une monstruosité qui lui est essentiellement extérieure ?

En Allemagne, des entreprises capitalistes ont activement collaboré au régime nazi (Krupp par exemple (lien), ou IG Farben). D’autres ont au contraire été liquidées. Le capitalisme n’est pas par essence antisémite, le nazisme n’a donc pas pu être une tentation du système en tant que tel, mais d’éléments de ce système (si nous l’analysons comme système, il a en interne ses contradictions propres). L’attitude des USA est à cet égard un bon critère. À la fois tentation, notamment face à l’URSS montante et inquiétante pour eux, mais aussi écœurement, effarement, et effroi. Il faut dire que la folie nazie est surtout destructrice, et a abouti à la fin à des pays ruinés.

On peut donc y voir un point limite. Des dictatures, oui, le système s’en accommode, mais pas de cet extrême qu’a constitué le nazisme. L’insistance sur la Shoah a peut-être valeur de garde-fou. Il est alors possible d’affirmer que le nazisme n’est ni l’essence, ni même l’avatar du capitalisme. Il est peut-être le point d’effroi.

La période dite des trente glorieuse a été la face démocratique-keynésienne du système.

Face aux pays soviétiques, qui inauguraient uns sorte de capitalisme d’état, il était essentiel que les populations, désemparées suite à la guerre mondiale, soient rassurées sur les capacités des démocraties reconstruites à leur donner un avenir. De plus, il était nécessaire de reconstruire, et les entreprises manufacturières avaient besoin de main d’œuvre abondante. La société de consommation a alors permis d’étendre le domaine de la consommation au couches les plus faibles, entraînant par là une économie manufacturière avec des taux de profits corrects, mais pas considérables, ce que le système acceptait alors.

Par besoins de main d’œuvre qualifiée, la population était éduquée, jusqu’à l’enseignement supérieur idéalement pour tous, soignée, logée. 

La face ultra-libérale du capitalisme est arrivée dans les années 1980 (voir notamment ici).

Celui-ci s’est caractérisé par plusieurs facteurs concomitants.

Le résultat de ces modifications fondamentales a été un renforcement du système, tant au niveau politique qu’économique, ainsi qu’une augmentation sans précédent de la productivité du travail.

De façon concomitante, les inégalités ont progressé à la fois via l’augmentation de la productivité, et via l’application des préceptes libéraux.

La productivité du travail augmentée, via l’intégration de la conception et des technologies de l’information, le besoin en éducation, santé, et formation des populations a diminué. Ce qui pourrait paraître paradoxal l’est moins en réalité : l’extension des nouvelles technologies à haute valeur ajoutée ne renforce pas, mais au contraire diminue, les besoins en formation des populations, car seule une faible part de celle-ci est liée à ces nouveaux développements.

Cette nouvelle face du système a pour conséquence une volonté de se débarrasser au niveau de l’Etat de ce qui était nécessaire au temps du keynésianisme. Hôpitaux publics, écoles, universités, se doivent d’être à leur tour rentables, et seront soit privatisés, soit fermés. Les futurs travailleurs doivent compter sur eux-mêmes pour se former, se soigner, se loger.

L’Etat social autrefois indispensable est devenu état providence à supprimer.

La crise, dont les banques sont à l’origine, est aujourd’hui un catalyseur commode pour effectuer cette opération de suppression de l’Etat social.

Et désormais, des mesures de répression se mettent en place contre les protestations prévisibles des peuples (comme actuellement en Espagne (lien)).

Une nouvelle face du capitalisme est en train d’apparaître, avec les caractéristiques suivantes :

Considérée ainsi, la crise de la dette est à la fois la conséquence de la nouvelle phase du système, et le vecteur des transformations qui se mettent progressivement en place.

Mais elle peut également mettre en évidence des contradictions entre les différents acteurs du système, dont certains pourraient se voir flouer par ces transformations.

Quoiqu’il en soit, la face en train de se mettre en place du système capitaliste risque d’être une phase de régression massive pour la plupart d’entre nous.


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