Les faces du socialisme
par Jean-Paul Foscarvel
lundi 3 septembre 2012
Qu’est-ce que le socialisme ?
Ce n’est pas la société dans laquelle nous vivons, mais au-delà de ce fait, comment le caractériser, et est-il potentiellement une alternative à notre société ?
Peut-être une définition théorique serait de dire qu’il s’agit d’un système où le social prime sur l’économique. Mais qu’en est-il vraiment ?
En premier lieu, on peut dire que le parti socialiste, en tant que partie intégrante de la gestion du système capitaliste, que ce fusse en Allemagne autrefois, ou en France aujourd’hui, représente plus un capitalisme à visage social qu’un réel socialisme
Dans les pays dits "socialistes", leur définition de « socialiste » a consisté en l’affirmation de la propriété collective sur la propriété individuelle. Les entreprises, notamment, qu’elles soient grandes ou petites, sont propriété soit de l’état, soit des coopératives.
Il n’y a donc pas de propriétaire privé, ou d’actionnaire. Celui-ci est remplacé par l’état.
Mais dans ce cas, qu’est l’état ? Étant donné la structure non démocratique des pays soviétiques, l’état est organisé via un parti unique, sans élection, sans discussion. Il s’agissait d’une oligarchie politique, s’apparentant davantage à l’aristocratie qu’à tout autre régime, sauf que c’est une aristocratie cooptée.
C’est-à-dire qu’en réalité, les pays soviétiques ont créé une organisation, dite socialiste, qui n’était qu’une aristocratie de cooptation.
Où est le social ?
Il a essentiellement, et quasi uniquement, dans l’absence de chômage.
Mais si l’on regarde l’organisation des entreprises, hormis l’absence de licenciement, qui est un point important malgré tout, leur organisation concrète était proche, voire identique à celle des entreprises capitalistes.
Au niveau de l’analyse marxiste, ces entreprise créaient de la plus-value (différence entre le temps de travail et le salaire réel), pour celles qui étaient efficaces, cette plus-value allant à l’état, avec ce que nous avons vu de son fonctionnement.
On a donc un système qui crée de la plus-value approprié par une oligarchie. Cela rappelle quelque chose !
La seule différence étant l’efficience des entreprises, moindres, ce qui a moins permis le sur enrichissement de l’oligarchie, comparée à celle des pays capitalistes.
Le système d’exploitation était simplement moins efficace, ni plus, ni moins.
Par ailleurs, dans les années quatre vingt, le différentiel s’est accentué du fait de l’arrivée dans les pays capitalistes de la plus-value différée (obtenue par conception ou qualité d’information), totalement absente dans les pays socialistes, du fait que cela ne rentrait pas dans les cadres doctrinaires marxistes classiques (aujourd’hui non plus d’ailleurs).
Le système a essayé de se réformer, via Gorbatchev, mais l’oligarchie n’a pas supporté sa mise à l’écart et fait un putsch qui a définitivement fait basculer le système soviétique dans le capitalisme. La preuve de la porosité est justement qu’une partie de l’oligarchie soviétique est devenue oligarchie capitaliste de Russie.
Absence de démocratie, présence d’une oligarchie cooptée, captation de la plus-value par cette oligarchie, le système soviétique n’a jamais été à proprement parler socialiste.
Les pires aspects du système, sa face totalitaire, qui ne sont pas la conséquence de la propriété collective des moyens de production, avec les défauts précédents, est également une face noire dont l’analyse est nécessaire.
Une oligarchie, voire un despote, prend le pouvoir, suite à une révolution au départ populaire avec une face démocratique réelle. Au moment de la prise du pouvoir, il se met dans les idéaux, qu’il ne partage pas, de la révolution dans sa phase primaire. Il utilise et dévoie ces idéaux, et écarte ceux qui étaient au départ en phase avec eux, mais sincèrement. Un système de terreur s’enclenche alors dont les dégâts sont considérables.
Les systèmes totalitaires ont été analysés par Hannah Arendt qui en décrit les mécanismes principaux, notamment présence d’un chef et d’un parti vainqueur, une partie de la population présentée comme surnuméraire, existence de camps.
Si le mot socialisme, voire communisme, a été utilisé, cela n’a rien à voir ni avec l’un, ni avec l’autre, ce n’étaient que des autocraties avec militarisation extrême de la société.
Un point d’attention doit par ailleurs être porté sur le fait que dans ce type de régime, l’égalité est mise en avant.
Une égalité sans liberté. Une égalité décidée par les oligarques du régime qui s’approprient la plus-value générée par l’ensemble de la société (même si elle est faible par inefficacité). Il est clair qu’il n’y a pas plus d’égalité que de liberté, sinon l’égalité de la population à un sort de pauvreté commune et d’incertitude sur le lendemain, non à cause des licenciements, mais à cause de la prison politique toujours possible. Comme si pour vivre il fallait faire le mort.
Hormis le fait de son effondrement, le soviétisme ne peut pas constituer une alternative viable au capitalisme. Ni aujourd’hui, ni probablement demain.
Il faut revenir ici sur un point essentiel par rapport à la démocratie.
La théorie marxiste orthodoxe interprète l’histoire comme un développement dialectique de forces antagonistes, qui tend vers une fin de l’histoire qui fait sortir celle-ci de la dialectique, une sorte d’apothéose, représentée par le communisme. C’est une sorte de messianisme politique qui peut se comparer à une religion sans Dieu. Dans cette vision des choses, le socialisme est une étape vers cet état de perfection. Le passage du soviétisme, ou socialisme, au capitaliste, est à cet égard impossible. La démocratie n’est donc pas vue comme choix du peuple, mais choix de l’oligarchie du bon chemin à mener pour aboutir à cet état de perfection anhistorique. Il s’agit bien entendu d’un mythe, reposant sur une interprétation de la philosophie de Hegel, mais qui a fait accepter, y compris dans les pays européens de l’Ouest, par les mouvements dits populaires, des événements, des comportements, tout à fait inacceptables voire odieux.
Il ne peut y avoir de société sociale démocratique que si on renonce à ce mythe, si on accepte que l’histoire soit réversible, inattendue, et qu’elle ne court pas vers un a priori censé être l’avenir radieux pour tous : il n’y a pas de téléologie (mouvement a priori inconditionnel) d’une société parfaite, il n’y a qu’un développement historique dont les événements constituent des points d’imprévisibilité (voir Habermas), et des humains tentant de vivre au mieux les uns avec les autres, et étant contraints de le faire au risque de la destruction. Si mouvement dialectique il y a, il ne peut être que poursuite de lui-même, et non tendre vers son auto-abolition (voir Adorno). En quelque sorte l’acceptation de l’échec est la condition de la réussite.
Renoncer au mythe d’une société parfaite dans un futur improbable implique également de renoncer à certains mots. Le mot « socialisme », avec son acception ambiguë, cachant des situations très différentes et faisant implicitement référence à un développement de l’histoire prédéterminé, allant jusqu’au messianisme. Bien entendu, le mot « communisme » est de ce point de vue encore plus connoté.
S’il y a développement d’un type de société alternatif au capitalisme, il ne peut s’inscrire dans cette rhétorique là, au risque de reproduire à terme les erreurs d’un passé douloureux. Non pas pour des raisons de vocabulaire, mais bien de conception. Il ne s’agit pas de poursuivre un but quels que soient les moyens, mais d’arpenter un chemin, qui nous mènera là où nous n’avions pas prévu.
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Il s’est développé à partir de la fin du vingtième siècle, un type nouveau d’alternative sociale, dans les pays d’Amérique Latine.
Une première tentative tragique a été celle d’Allende au Chili, qui a terminé l’expérience par un coup d’état, le 11 septembre 1973, mettant en place, avec l’appui de Kissinger, une dictature féroce dans un pays autrefois démocratique.
Il s’agissait d’un type de socialisme (on peut l’appeler ainsi) d’une part démocratique, car issue d’élections libres avec partis de toutes sortes, et plutôt orienté vers des structures à caractère régional, ou autonome. Plutôt des coopératives, mais gérées réellement de façon démocratique.
Les différents pays d’aujourd’hui, que ce soient le Venezuela, la Bolivie, mais également dans une moindre mesure le Brésil ou l’Argentine, essaient de constituer un système hybride entre le capitalisme, débarrassé de sa face libérale dont la pire application fut le Chili de Pinochet (ami de Thatcher, et disciple de Friedmann, ne l’oublions pas) et un type de société où l’humain prime, via des structures décentralisées et gérées démocratiquement.
Ces expériences sont à suivre de façon critique, notamment en cas de dérive non démocratique ou oligarchique, mais elles représentent comme un frémissement face à l’image d’échec de toute tentative d’alternative que les libéraux voudraient donner (Thatcher : « il n’y a pas d’alternative »).
Nous sommes en Europe, et l’Europe dérive économiquement et démocratiquement vers des jours sombres. Lorsque des mouvements mettent en cause cette dérive, expriment leur volonté d’une justice sociale, refusent de se laisser déposséder de leurs droits face à des pratiques d’entreprises barbares, est invoqué le spectre du communisme, comme le patron d’Unilever qui veut « protéger » sa marque contre ceux qui en sont à l’origine, en invoquant la Corée du Nord pour interdire la défense des salariés de Fralib qu’il veut liquider. Il ne s’agit pas de protéger la liberté, mais les privilèges d’une caste, en utilisant un repoussoir par association d’idées, en manipulant la peur et la confusion.
Il serait souhaitable que les populations européennes sortent de ce piège et réfléchissent sérieusement à une alternative viable au système en place, une face inattendue d’un système enfin réellement démocratique au niveau économique, prenant en compte les aspects sociaux, mettant l’humain au cœur de sa logique, et prenant en considération les contraintes actuelles, notamment par rapport à l’environnement, aux ressources, et à l’énergie (dont la sortie nécessaire du nucléaire sous sa forme actuelle).
Il est temps qu’une alternative apparaisse en Europe, à la fois réellement démocratique, non capitaliste, mais surtout non oligarchique, quelle que soit la forme de cette oligarchie.
Il serait alors possible d’avancer vers une réelle démocratie économique.Avant qu’il ne soit trop tard…