Les faux Amish de la Décroissance
par Michel Tarrier
jeudi 3 novembre 2011
Amish et Décroissants partagent un même catéchisme : foi en un homme meilleur, parcimonie économique et débauche de progénitures. Le postulat d’une décroissance économique mais ultra nataliste surfe sur crédo béat et anthropocentriste affabulant une démographie hors-sol et donc illusoire. C’est d’un idéalisme nunuche que d’imaginer pouvoir changer les travers égoïstes et cupides de l’espèce humaine, il faut seulement agir en conséquence de cause éthologique et alléger politiquement notre effectif pour une moindre nuisibilité.
Alors que notre surnombre déborde et recouvre les niches écologiques des autres espèces, les sympathiques adeptes de la simplicité volontaire renoncent joyeusement à l’obésité mais refusent de se pousser un peu pour laisser de la place à la Nature. Pourquoi donc ne pas faire d’une pierre de bonne intention deux coups de bonnes actions, pourquoi ne pas accorder décroissance économique avec décroissance démographique ? La décroissance est-elle une nouvelle déclaration de guerre offensive de l’homme contre le Vivant ? Est-ce si dramatique de ne pas se multiplier sans réfléchir, de ne pas exhorter à la procréation de futurs sujets malheureux ou de citoyens otages ? Ca vous démange de continuer à vous reproduire à la louche et à votre superbe image ?
Les Amish de mes Amish ne sont pas mes Amish
Les Amish ne nous ont pas attendus pour inventer la décroissance à la lettre, y compris avec son paradoxe vertueux et contre-productif d’une doctrine invasive de progénitures.
Les Amish sont une communauté anabaptiste présente en Amérique du Nord, surtout implantée en Ohio et Pennsylvanie, vivant en autarcie et de façon simple. Leur première règle, plutôt sympa, est : « Tu ne te conformeras point à ce monde qui t’entoure ». Les Amish ont conservé, contre vents et marées, le mode de vie et la langue qui les a vu naître en Suisse allemande sous la férule de Jacob Amman (d’où le sobriquet d’Amish) à la fin du XVIIe siècle.
Les plus rigoristes appartiennent à l’Ancien Ordre qui regroupe quelque 300.000 membres. Suite à une scission, un Nouvel Ordre dissident et un peu moins sectaire regroupe une dizaine de milliers de personnes.
Les Amish n’étaient que 120.000 en 1992 et leur effectif a plus que doublé en moins de 20 ans ! De 1900 à 2008 la population Amish était déjà passée de 5.000 à 227.000 (+ 4440 %).
Ce dynamisme démographique, proche de la génération spontanée, est celui d’une hyper natalité puisque la famille nombreuse est de rigueur, avec une moyenne de huit enfants par couple. De vrais décroissants exponentiels purs et durs !
Si le look de première apparence des tenues vestimentaires, des chevaux et des buggys fait son effet, une étude plus rapprochée du mode de vie Amish interpelle par bon nombre d’incohérences techniques, souvent relevées par les observateurs, et qui tiennent plutôt d’une approche maniaque : générateurs diesels mais pas de jonction au réseau électrique, usage du tracteur pour certaines tâches mais pas pour d’autres, recours à la calculatrice mais refus de l’ordinateur, téléphone prohibé à la maison mais planqué dans un abri de jardin, transport aérien mieux accepté que celui automobile…
Ces communautés étrangères au melting pot américain, non solubles dans la modernité, ont même fini par obtenir de ne plus être imposables car ils ne coûtent quasiment rien à l'État : pas d'eau courante, pas de raccordement électrique, pas de sécurité sociale, pas de recours à la justice...
Le rapprochement avec les militants de la décroissance est évidemment facile. On y retrouve une même critique des possessions matérielles, le refus du consumérisme et des dépendances techniques, une prééminence des valeurs de partage : « moins de biens plus de liens ». Bien qu’avant tout humanistes, les décroissants new look sont peut-être un peu plus, non pas écologistes radicaux, mais gentiment environnementalistes que les Amish. Les deux démarches sont en tout cas anti-progressistes, quasiment médiévale pour les uns, postindustrielle pour les autres. J’ajoute que les Amish vivent en phallocratie niaise et triomphante, mais que les décroissants sont indemnes d’un quelconque sexisme.
Contre tout risque de confusion
Ma conception prétend aborder l’écologie comme un thème universel, en qualité de cause majeure et d’enjeu cardinal de notre humanité. Simplement parce que la Nature a toujours raison, parce que l’homme a besoin de la Nature, mais que la Nature n’a pas besoin de l’homme. La posture écorésistante est donc nullement solidaire du projet politique de la décroissance. C’est clair, mais il est bon de le redire. La notion écologique, la vraie, continue à manquer à notre conscience ainsi amputée. Comme il existe des cultures hors-saison, notre conscience est hors-raison. L’erreur en incombe à notre égo qu’il serait salutaire de relativiser par une meilleure dose d’éco. Ce n’est pas la faute à Rousseau, ce serait plutôt la faute à Voltaire, et donc à cet anthropocentrisme outré, mal de tous les maux, lequel forge notre humanisme dans une perspective contre-productive. C’est intrinsèque à Homo sapiens, dont le taxon usurpé. Il faut faire avec, et donc gérer en conséquence.
Fondé dans les années 1970 par l’économiste roumain Nicholas Georgescu-Roegen, le courant de pensée de la décroissance découle du concept de la bio-économie et prône d’en finir avec la logique du « toujours plus », concilier croissance infinie et ressources limitées étant l’absurdité qui anime une économie de marché qui semble pourtant assez incontournable. La notion de développement durable est très justement vue comme une imposture par les décroissants. Le produit intérieur brut (PIB) est la cible légitime des objecteurs de croissance puisqu’il autorise la création de valeurs sur des activités néfastes. En exhortant à la simplicité volontaire, en suggérant de travailler moins, de délaisser la grande distribution, la télévision, l’automobile…, les actuels décroissants font aussi de l’écorésistance, mais dans une posture ultra-spéciste et contre-nature qui est celle de la suprématie de l’espèce humaine. Là réside le grand hiatus avec les idées auxquelles je crois.
Cette doctrine de la décroissance pure, très minoritaire, postule pour une autre croissance dite verte, laquelle découplerait les flux matériels et immatériels. Les flux matériels seraient rendus de moins en moins importants par l'amélioration de l'efficience technologique, c'est à dire par une amélioration croissante de l'efficacité à produire autant, ou plus, mais avec moins. Une telle amélioration de l'efficacité qui devrait se faire au même niveau que la croissance est très utopique car une augmentation de l'efficience technique est impossible à l’infini, non seulement au niveau logique ou technologique, mais aussi parce que toute production nécessite un certain nombre de matériaux basiques indispensables.
En qualité de tiers-mondiste, on peut se gausser d’une telle idéologie en la voyant comme un concept de pays riches et empêcheur de développement des pays émergeants. À moins d’être doux rêveur, d’entreprendre une impossible quête en faveur du partage, dans la folle espérance de vaincre à l’horizon la disparité Nord-Sud. Les chances de succès du postulat semblent psychanalytiquement contredites par l’observation millénaire de l’égoïsme humain, individuel et collectif. Comment guérir de ce « toujours plus » inhérent aux aspects négatifs de notre intelligence, inscrit jusque dans notre métabolisme social ? En dépit de nos cris du cœur, insuffisamment suivis par une ouverture du porte-monnaie, la misère s'étend inexorablement dans les pays appauvris : 3 milliards de personnes vivent avec moins de 3 dollars par jour, dont 1,4 milliard avec moins d’un dollar.
Permanente promesse fallacieuse des vertueux, le délire du partage n’est jamais loin quand il s’agit de défendre ou justifier un acte crasseux. Ce n’est pas pour rien que nous avons inventé la charité durable.
À l’image de la symbolique Conquête de l’Ouest, toutes les croisades, colonisations historiques et néocolonisations contemporaines sont là pour nous rappeler qu’en fait de promesses de partage, notre seule hantise n’est que l’appropriation. Après 2000 ans de vœux pieux, partagerons-nous enfin lorsqu’il n’y aura plus qu’une planète scalpée et exsangue ? Partager quoi ? Des ressources en voies épuisement, les derniers restes des énergies fossiles, des sols biologiquement morts, une planète chauve et en déliquescence, des mers vidées de leur contenu, une première phase d’extinction massive des espèces provoquée par l’homme, une crise écosystémique qui ne fait que commencer…
L’écologisme dénataliste est un urgentisme
Au lieu d’en appeler à l’utopique altruisme, prenons donc en compte notre égoïsme héréditaire et économisons des vies malheureuses en nous réduisant démographiquement et de toute urgence. S’il est encore temps. Et y compris nous autres Occidentaux dont l’enfant même unique équivaut en consommation-pollution à des dizaines d’enfants des pays du Sud.
Je comprends mal comment on peut en appeler à une décroissance économique sans sous-tendre conjointement l’idée d’un pacte dénataliste. La sobriété de l’humanité passe par la légèreté de son effectif. Mais les décroissants ne sont nullement écologistes, tout au contraire, ils sont animés par un anthropocentrisme hystérique et leur tentation écologique se limite à l’environnement du seul Homo sapiens roi.
La décroissance est une idéologie archi-humaniste, peu ou pas écologique, éloignée de tout éco-malthusianisme et bien évidemment à l’opposé de toute doctrine affine au biocentrisme. Les décroissants estiment que l’être humain pourrait perdurer sur « sa » planète en l’absence de toute autre espèce végétale et animale. C’est une position dogmatique et bornée. S’ils proposent des solutions à la crise écologique, ce n’est que par soucis de permettre la sauvegarde de l'espèce humaine et non celle de l’ours blanc.
Évidemment loin de tout anarcho-écologisme, la mouvance décroissante semble se situer entre le monothéisme et le marxisme, ou du moins s’en démarque fort peu. Le mouvement de la décroissance fait l’éloge de l’homme dans un paradigme de paradis humain qui serait un enfer puisque toute autre forme de vie en serait congédiée.
L’écorésistance que je prône a aussi pour objectif de damer le pion au capitalisme, notamment sous sa forme dangereusement masquée d’économie verte, verdie, reverdie par des résolutions radicales, lucides, indépendantes et pour la plupart dissidentes de l’écologisme électoral. Mais, nuance d’importance (bel oxymore !), l’écorésistance est éminemment écocentriste et ne place pas l’homme au sommet d’une pyramide des espèces. C’est bien pour cela que l’écorésistance exhorte à la dénatalité, ne souhaitant pas voir l’humain provoquer l’éviction et l’extinction des espèces végétales et animales. L’écorésistance en appelle à Gaïa, à Pachamama, à la Terre-mère. L’écorésistance est autant naturaliste et animiste que la décroissance est humaniste et gardienne du dogme dans sa version athée et laïque.
Dans le même esprit préventif et afin d’écarter tout risque d’amalgame en dépit des ressemblances : tout en reconnaissant sa légitimité, je refuse de faire l’apologie de l’école du très sage et père de famille nombreuse Pierre Rabhi, parce que j’estime insupportable que les charognards qui nous gouvernent s’emploient à nous faire jouer les colibris. On sait ce que valent toutes les formes de scoutisme.
Note. Parmi ses « œuvres » (sic Wikipédia), Paul Ariès, ténor français de la Décroissance, est l’auteur de Libération animale ou nouveaux terroristes ?, livre où il fustige le mouvement antispéciste considéré comme terroriste, l’accusant de « saboter l’humanisme ». Selon cet homme peut-être névrosé, l’humanisme ne pourrait donc subsister sans accomplir les pires cruautés aux animaux. Nous sommes en pleine psychopathie, mais pitié, pas de vivisection en vue de nouveaux médicaments pour lutter contre le mal qui ronge Ariès !
Révolte chez les Amish
http://www.dailymotion.com/video/xdjgse_15-la-revolte-des-amish_news
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