Les Guignols de l’Info : C’est de la merde !
par Stephane Guezenec
mardi 31 mars 2009
Que s’est-il passé pour que l’irrévérence ait changé de bord et qu’il faille désormais plus de courage pour s’attaquer aux Guignols qu’à Nicolas Sarkozy ?
Les « 20 ans » des Guignols de l’info ont illustré le renversement de tendance amorcé progressivement au cours de la vie des marionnettes, dont l’humour est passé du statut d’anticonformiste à celui d’humour officiel. Que s’est-il passé pour que l’irrévérence ait changé de bord et qu’il faille désormais plus de courage pour s’attaquer aux Guignols qu’à Nicolas Sarkozy ?
Les humoristes ont historiquement vocation à malmener des institutions respectables, c’est à dire des fonctions ou des hommes dont le respect fait globalement consensus. C’est dans ce registre du « qui aime bien châtie bien » qu’était notamment brocardé le pouvoir politique, qui tolérait jusque dans les années 80 – sans s’abaisser à les commenter – les assauts des chansonniers ou du Bébête Show, dont les Guignols sont les successeurs. Il fallait en effet un certain courage dans les années 60 pour s’attaquer, par exemple à de Gaulle ou à Jean-Paul Sartre. Cette mécanique décrit également le début des Guignols, hilarants pendant de nombreuses années. Le génie des stars en latex de Canal + a été d’élargir le cercle de leurs victimes à la vie civile, c’est à dire à tous les détenteurs d’une parcelle de plus en plus importante du pouvoir : les vedettes du sport, du spectacle, des médias, de l’entreprise, bref, tout ce dont Bernard Tapie est la synthèse.
Mais les temps ont changé, et les institutions respectables ne sont plus les mêmes : le personnel politique et les fonctions les plus élevées ne suscitent plus dans l’opinion que mépris ou indifférence, idem pour la religion – du moins la catholique ! – et je crois qu’on me concédera qu’un chef d’entreprise à la Tapie aurait du mal à faire rêver les foules par les temps qui courent. Continuer à taper sur ces catégories ressemble à un lâche acharnement, et le courage nécessaire à l’éreintement de Nicolas Sarkozy ou de BHL devient égal au respect qu’ils inspirent : Nul, absolument nul.
En revanche, d’autres « institutions » se sont imposées comme respectables aux yeux de nos concitoyens. Citons au hasard, sans que cette liste soit bien sûr exhaustive, les Restos du Cœur, Emmaüs, le Sidaction, le Téléthon, Médécins du Monde, les ONG etc.. Le courage d’un humoriste aujourd’hui consisterait à s’attaquer bille en tête à ces symboles de la bonne conscience, du politiquement correct et du consensus mou qui a érigé en icône des gens aussi intéressants que Yannick Noah, ce type qui est sympa et … tiens c’est vrai, et quoi d’autre ?
Alors pourquoi des gens aussi drôles et impertinents que les auteurs des Guignols ne bouffent-ils pas du myopathe, du SDF ou du sans-papier ? Parce qu’ils sont devenus eux-mêmes respectables et institutionnalisés. En d’autres termes, les Guignols sont devenus le pouvoir, et l’Histoire démontre que celui-ci est incapable de se moquer de lui-même.
Loin d’être anticonformistes, les Guignols (et une pelletée d’humoristes officiels) sont devenus les fonctionnaires gris d’un monde où ni Coluche, ni Desproges n’aurait le droit de passer à la télé car trop subversifs. Si Desproges revenait, la première chose qu’il ferait serait de tailler un costard à ces commissaires politiques aux petits bras que sont devenus les auteurs des marionnettes.
La vraie subversion se réfugie sur internet (Misère Joyeuse le film de Didier Super, par exemple), et c’est autrement plus rock’n roll de crier enfin : Les Guignols, c’est de la merde !