Les indijeunes
par Voris : compte fermé
jeudi 30 novembre 2006
« Indijeunes » est le nom que je propose pour désigner les personnes qui sont à la fois pauvres, jeunes et dont l’origine immigrée (« indigène » étranger) est extérieurement visible. Ce terme très générique permettrait d’éviter la focalisation de l’opinion publique sur le groupe social des jeunes Maghrébins. Etre « indijeune », c’est à la fois présenter des signes apparents d’origine étrangère et être jeune, « jeune » évidemment dans le sens péjoratif : celui qui pose problème à la société, qui s’oppose à elle, voire qui habite simplement dans une banlieue « chaude ». Etre « indijeune », c’est cumuler les handicaps dans la recherche d’emploi, dans le logement ou l’accès aux soins, et plus généralement dans la vie quotidienne en général.
Evidemment, cette appellation d’indijeunes n’a rien d’une notion sociologique reconnue. C’est une dénomination créée de toute pièce pour étayer mon propos. Mais le groupe social des « jeunes Maghrébins » a-t-il une plus forte légitimité sociologique, une meilleure pertinence ? Cette qualification n’est-elle pas source de stigmatisation et de renforcement des préjugés ? La notion de racisme étant appréhendée aujourd’hui sous le vocable plus large de discrimination, pourquoi ne pas étendre aussi les catégories ?
Un « indijeune » se voit quelquefois sommé de « retourner dans son pays » même s’il est né français en Outremer ou si ses parents et grands-parents avaient, avant lui, déjà acquis notre nationalité. Il est l’objet de contrôles d‘identités plus fréquents.
1 - La stigmatisation du groupe social des « jeunes Maghrébins »
L’émergence médiatique et politique de la figure du « jeune d’origine immigrée » montre qu’il y a durcissement de ce stéréotype et par conséquent montée des ségrégations, celles-ci apparaissant dès l’école. La stigmatisation des « Maghrébins » particulièrement ceux de la « seconde génération » est partiellement due à l’histoire de ce courant migratoire. Leur forte « visibilité sociale » attire l’attention des médias qui prospèrent aujourd’hui grâce au thème de la « violence dans les banlieues » après avoir exploité le filon de « l’affaire du foulard islamique ». Dans l’imagerie populaire, les jeunes d’origine maghrébine sont tous des fauteurs de troubles en puissance. Ce cliché bien installé n’est pas démenti par l’appellation de racailles. Mieux encore, « l’assimilation » des jeunes « Maghrébins » étant proclamée acquise, toute affirmation identitaire ou religieuse est perçue comme une résurgence anormale. On ne peut y voir que le mal et il faut le réprimer sans analyser plus loin. L’instrumentalisation des peurs collectives se nourrit facilement de stéréotypes bien identifiés. Or, y a-t-il des différences si grandes entre le jeune Maghrébin de banlieue et son voisin « Français de souche » ? Pas vraiment. Les préoccupations sont les mêmes, la « galère » aussi... La stigmatisation d’une catégorie peut se révéler à double tranchant : ceux qui s’y reconnaissent affirment leur spécificité et des droits attachés à leur identité particulière. D’aucuns diraient une « discrimination positive ».
2 - Qui seraient les « indijeunes » ?
Sous cette appellation nouvelle pourrait être étudiée et aidée la catégorie très large des jeunes en grandes difficultés sociales et d’origine immigrée visible ou supposée. Ce qui inclurait nos compatriotes d’Outremer parfois mis au même rang que les immigrés du seul fait de la couleur de leur peau. Cette approche serait plus amorcée sous l’angle de la nation que sous l’aspect identitaire, communautaire. Elle s’appuierait sur l’analyse des valeurs et des problèmes au-delà des appartenances ethniques particulières. Car tous ces jeunes ne portent-ils pas le message d’un même mal de vivre, un langage et des codes communs plus liés à un quartier, une ville, qu’à une origine migratoire déterminée ?
Cette méthode permettrait de traiter un phénomène globalement et donc sans considérations ethniques, sans heurter l’interdiction en France de tenir des statistiques ethniques. Les indijeunes seraient aidés indifféremment quelles que soient leurs origines voire leurs appartenances proclamées. Principe d’égalité républicaine qui vaudrait surtout bien sûr pour l’effort continu qu’il suppose d’amener ces jeunes au même niveau de droits et de garanties que leurs concitoyens de même génération.
Evidemment, la réduction du racisme ne peut passer par cette seule modification sémantique. D’autres moyens de lutte contre le racisme existent. Dans les années 1980, ils ont pris le pli que j’indiquais plus haut de revendication identitaire, de positionnement victimaire spécifique du racisme.
Aujourd’hui des réponses, institutionnelles cette fois, voient le jour et se développent.
3 - Des réponses institutionnelles au phénomène des discriminations
En décembre 2005, donc juste après la crise violente qui a secoué les banlieues, le premier ministre Dominique de Villepin a légalisé le « testing » contre les discriminations. Depuis, la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ) peut infliger des sanctions allant jusqu’à 25 000 euros en cas de discrimination avérée. Le projet de loi sur l’égalité des chances allait aussi renforcer les pouvoirs de cette autorité.
Qu’est-ce que le testing ? Initié en France par SOS-Racisme en 1998, le « testing » consiste à présenter d’abord des jeunes d’origine européenne, puis des jeunes d’origine maghrébine ou africaine, à l’entrée de discothèques, restaurants, campings ou à l’embauche dans une entreprise ou la location d’un logement, afin de permettre la preuve de l’existence de comportements discriminatoires. Grâce au testing, SOS-Racisme a déjà réussi à porter devant la Justice une bonne cinquantaine d’affaires et la Cour de cassation a reconnu cette méthode à trois reprises comme mode de preuve à part entière.
Les leçons et résultats tirés des testings : la Halde a présenté, le 5 juillet, les résultats de deux tests de discrimination - mis en ligne sur le site - sur l’emploi (recrutement) et sur l’accès au logement locatif privé. Conduit par le cabinet Asdo, ce dernier test a été réalisé auprès de 120 agences immobilières en Ile-de-France, dans le Nord-Pas-de-Calais et en Paca. A profil identique (ressources, nationalité française, CDI), alors que lors du contact téléphonique le candidat de référence obtenait dans 35% des cas une visite d’appartement, ce ne fut le cas que dans 20% des cas pour le candidat d’origine maghrébine et 14% des cas pour celui d’origine d’Afrique noire, le candidat monoparental ne subissant à ce stade aucune discrimination. Lors de la visite du bien, le candidat de référence obtient le logement dans 75% des cas, le candidat d’origine maghrébine dans 17%, celui d’origine d’Afrique noire dans 22% et le candidat monoparental dans 26%. Les différences de traitement observées sont plus élevées en Ile-de-France qu’à Nice ou à Lille.
La Halde réalisera régulièrement des tests dans des domaines comme l’emploi ou le logement.
L’âge et l’origine sont les principales discriminations à l’embauche comme le montre une enquête publiée le 21 novembre. Il s’agissait du premier baromètre national réalisé par Adia, un des leaders du recrutement en France, en collaboration avec le sociologue Jean-François Amadie. La plupart des discriminations à l’embauche, à l’exception du handicap, se sont aggravées par rapport à une étude de 2004. Le testing a porté sur l’envoi de 6 461 CV factices envoyés pendant un an en réponse à 1340 offres d’emploi. Les convocations à un entretien d’embauche obtenues par le candidat de "référence" ("Français de souche" masculin âgé de vingt-huit à trente ans) et des candidats susceptibles d’être discriminés ont été comparés lors de cette enquête. Autre constat : le cadre maghrébin a 36% de chances d’être convoqué à l’entretien d’embauche (et encore moins s’il est cadre : 17%), autrement trois fois moins de chances que le Français de souche.
N.B :
Site de la Halde : résultats du testing logement :
http://www.halde.fr/IMG/pdf/resultats_testing_logement.pdf