Les manifestations : 800.000 ou 2 millions

par jidejeandominique
samedi 26 juin 2010

Traditionnellement, après chaque démonstration dans les rues, deux évaluations des effectifs de manifestants sont proposées au public, bien obligé de se faire une opinion personnelle. Les médias ne pourraient-ils pas simplement jouer leur rôle et dispenser une information rigoureuse sur ces événements, comme elle le fait sur bien d’autres événements de la vie sociale ?

Etudiant le phénomène des foules dans le cadre de mes recherches universitaires, je ne manque pas une manifestation dans les rues de Perpignan où j’habite, qu’elles concernent des événements heureux comme la présentation du Bouclier de Brennus par l’équipe de l’USAP devant le Castillet, ou des déambulations syndicales à travers les rues du centre-ville. Dans un but rigoureusement scientifique, je m’efforce toujours de compter le nombre de personnes dans la rue, à l’occasion de ces événements.
 
Jeudi dernier, pour la manifestation syndicale organisée contre la future loi sur les retraites, j’ai compté 3200 manifestants. Le lendemain matin, le quotidien régional L’Indépendant titrait "Retraites : 10000 au front", et poursuivait : " Hier matin, quelque 10000 personnes ont battu le pavé perpignanais..." Pourquoi un tel chiffre ? Pourquoi un tel écart avec la réalité ?
 
Fort légitimement, je le pense, je me suis rendu dans les locaux de l’Indépendant de Perpignan où, pur hasard, je me suis trouvé face à son rédacteur en chef. Fort marri de mon audace, il m’a très honnêtement répondu qu’il avait repris les chiffres des syndicats. Je suppose que son journal a procédé de la même manière pour évaluer à 4500 le nombre de manifestants à Narbonne, etc. etc.
 
Que nous dit cet épisode catalan sur la politique adoptée par les médias nationaux lorsqu’ils estiment et publient les effectifs des manifestations sur la voie publique ? Comme rien ne m’autorise à considérer que ces effectifs sont systématiquement et massivement gonflés, je n’en tire aucune règle. Mais rien ne m’empêche de poser la question suivante : pourquoi, dans un pays où les moyens de communication et d’évaluation sont importants, n’arrive-t-on pas à estimer au plus près, et de manière incontestable, une population de quelques milliers d’individus qui défilent calmement ?
 
Les méthodes existent en effet, de quadrillage par exemple, à partir de photos également, et elles sont parfaitement fiables. Les journalistes, dont je suis sûr qu’ils authentifient leurs sources chaque fois qu’ils délivrent une information, ont évidemment la possibilité de vérifier des effectifs de manifestation, de façon incontestable. Pourquoi ne le font-ils pas ? Existe-t-il une exception culturelle dans ce domaine ? Ou les syndicats exercent-ils des pressions telles sur nos journaux qu’ils se sentent obligés de répercuter sans broncher les chiffres qu’ils leurs fournissent ?
 
Mon interrogation, on l’aura je l’espère compris, est sans rapport avec la manifestation contre la loi sur les retraites. Elle pose d’abord un problème déontologique pour certains médias, pourtant si jaloux de leur indépendance. Elle pose aussi un problème politique, puisqu’en privilégiant aussi ouvertement une posture syndicale, la population se trouve privée de son droit d’obtenir des informations les plus objectives et les plus variées possibles.

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