Les Manipulations de Madame Badinter

par A.S BENOIT
mercredi 24 février 2010

« Le conflit. La mère et la femme »

Le dernier livre d’Elisabeth Badinter vous tombe des mains… Suite de témoignages-clichés, de copier-coller d’obscures revues médicalo-sociologisantes. Madame Badinter se persuade qu’il existe un conflit entre la mère et la femme comme au joyeux temps de sa jeunesse. En 2010, le conflit est ailleurs. Il est entre la réalité et le fantasme d’enfant de ces femmes dites modernes que cinquante ans de « féminisme » ont rendu folles.

On adore Elisabeth Badinter dans les dîners en ville. Grâce à ses livres, la conversation bat son plein et réanime très vite les faces blasées. A peine l’entrée avalée, un convive imbécile assène : « savez-vous ce que dit madame Badinter ? L’instinct maternel n’existe pas ». Tollé immédiat sur la chaise d’en face où un autre invité, tout aussi imbécile affirme : « mais si, voyons, l’instinct maternel existe ! » Au dessert, on y sera encore et la bouteille de cognac y passera.

Madame Badinter a toujours fait des émules chez les petits bourgeois. On l’adore ! Et ce n’est pas pour rien. Depuis des années, elle ne fait pas de féminisme comme elle le croit, elle vend à la masse le rêve bourgeois. Sur toutes les chaînes T.V et à toutes heures. Toi aussi deviens une bourgeoise ! Pense, comporte-toi, vis comme une bourgeoise… Fais ce qu’il te plaît, libère-toi des taches domestiques harassantes, de ton macho de mari, de l’astreinte des enfants, de la culpabilité que t’inflige cette société patriarcale !

Dernière trouvaille en date : l’enfant plombe la femme libérée. Les mères, sous pression de la société, en feraient trop pour leur progéniture, à la grande joie des hommes qui leur repasseraient les chaînes en douce. « Le bébé est le bras armé du patriarcat » déclare-t-elle… Madame Badinter conseille donc aux jeunes mères de s’émanciper en reprenant vite un travail qui les épanouira-sans-aucun-doute, en donnant le biberon moins contraignant que la tétée et en réchauffant des petits pots au micro-ondes.

Une fois de plus, madame Badinter vend un fantasme de vie à toutes les petites employées de France. C’est exactement comme le foie gras, le saumon, le caviar mis à la disposition de la masse. Ce sont que des ersatz de foie gras, de saumon, de caviar qui n’ont plus rien à voir avec le produit original que le véritable bourgeois continue, lui, à déguster, boulevard Saint-Germain.

 Oui, Elisabeth Badinter a raison, il existe des inégalités entre homme et femme qu’on apprécie d’ailleurs beaucoup au fond d’un lit. Ce genre d’inégalité est bien ridicule à côté de l’inégalité entre une femme pauvre et une femme riche. Une pauvre petite ouvrière peut, malgré ses enfants, devenir très facilement l’égale de son mari mais jamais elle ne sera jamais l’égale de madame Badinter. Ce n’est pas une leçon de libération que sert Elisabeth Badinter à ses malheureuses lectrices c’est bel et bien, entre les lignes, une leçon d’asservissement. A quoi sert-il de se libérer d’un mari ou d’enfants dits-tyranniques si c’est pour aller se faire esclave de la Société Générale ou cirer le parquet de la famille Badinter ? Juste à caresser l’illusion d’une vie bourgeoise où on ne prépare plus les repas (on les achète surgelés et frelatés), où on ne donne plus le sein, où on fait garder ses enfants, tout cela au prix de son propre salaireQu’ont gagné les femmes à la fin du mois, peut-être une centaine d’euros mais sûrement pas la liberté.

Cela fait tout drôle à madame Badinter qu’on puisse préférer être l’esclave de sa petite famille plutôt que l’esclave d’un système. Pourquoi pas ? Et n’est-ce pas salutaire ? Badinter, elle, y voit le signe d’un repli sur soi et d’un inquiétant retour au tout-naturel. Hum…


Pour généraliser sa thèse du retour de la Mère - Retour à la Terre, son livre aligne des portraits de femmes pas franchement représentatifs de la réalité : folles de l’allaitement intensif, dingos sectaires écolos, angoissées adeptes des théories du Complot, etc. Toute une panoplie de désaxées dont on a beaucoup de mal à croire qu’elles aient attendu la maternité pour commencer à dérailler.

Mais il y a plus ennuyeux encore dans la démonstration de fond. Incapable de d’envisager les différences sociales puisque tout semble se ramener à une lutte de pouvoir entre sexes, Elisabeth Badinter mélange le désir des filles du peuple de se sortir de l’esclavage du salariat où un certain féminisme les a poussées, et les petites bourgeoises que la maternité en 2010 névrose profondément.

Qu’elle ne comprenne aux structures de la société dans laquelle elle vit, passe encore, mais Badinter ne comprend rien non plus à ses filles spirituelles, les petites péronnelles de trente ans. Elle les voit désireuses de devenir des mères parfaites quant en réalité le seul désir qui tenaille ces femmes est d’avoir un enfant parfait, ce qui s’apparente pour elles à un signe extérieur de réussite.

Les temps ont bien changé. A l’époque de Badinter, on faisait effectivement encore les enfants à la bonne franquette, on les élevait bon an, mal an, sans consulter psys et médecins à tour de bras. La maternité n’était pas un fait exceptionnel dans la vie d’une femme mais une simple normalité, pour ne pas dire formalité.

Si la place de l’enfant est surdimensionnée aujourd’hui ce n’est pas parce que les femmes sont devenues des mères parfaites comme le croit naïvement Elisabeth Badinter c’est parce que les petites bourgeoises rêvent d’un enfant parfait. Ces femmes enceintes qui ne boivent plus une goutte d’alcool, s’éloignent à la vue d’un paquet de cigarettes ne le font pas par altruisme mais bien évidemment par égoïsme. Et si un simple verre de champagne lésait les structures cérébrales de mon super-enfant ? Ce sont les mêmes conasses abstinentes qui avortent pour un bec-de-lièvre. Les voilà, les mères parfaites ! Madame Badinter a deux trains de retard... De l’eau a coulé sous les ponts depuis 1968. On n’avorte plus en France après une nuit torride, on avorte pour faire l’enfant parfait au moment parfait. Timing précis, carrière professionnelle, budget et appartement adéquat. La plupart des femmes avortent d’ailleurs des hommes de qui elles veulent des enfants.

Elles sont légion ces féministes bourgeoises, robotes libérées, qui ont un amant au boulot, un autre en attente sur Meetic et qui pourtant chaque soir tanne leur mari pour « mettre en route », comme elles disent, le petit deuxième. Tout ça parce que c’est au cahier des charges de leur triste petite vie toute planifiée.

Voilà la vie de ces féministes accomplies qu’affectionne tant notre philosophe. Elles vivent dans un monde fantasmatique alimenté par des magazines comme Marie-Claire ou Elle où Elisabeth Badinter a pioché des témoignages de véritables dingos sur la maternité. Second Life ce ne se joue pas seulement par écran interposé mais aussi dans la vie réelle.

Personne ne sait dans quelle dimension vivent la plupart de ces folles qui « rêvent » chaque jour leur enfant merveilleux. C’est le « bonheur » d’avoir des enfants et un mari tout en se comportant comme s’ils n’existaient pas vraiment. A peine nés, les bébés sont refilés aux crèches comme si leur naissance n’entrainait aucune obligation, aucune responsabilité. Juste des attributs et des privilèges. D’autres « mères parfaites », exactement dans la même veine, restent à la maison et s’emploient à pourrir la vie du nouveau-né, coupé insidieusement du père et du Monde, devenu exclusivement leur chose.

Madame Badinter s’inquiète beaucoup pour ses femmes devenues esclaves de leur Maternité. Etrangement, je m’inquiète beaucoup plus pour leurs enfants…

 


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