Les nouveaux puritains

par Fouad Bahri
samedi 14 juin 2008

Un tribunal de Grande instance annule un mariage, pour cause de mensonge d’un des contractants. La raison : la femme a menti sur sa virginité. Coup de tonnerre dans les allées médiatiques. La patrie est en danger ! La religion menace de renverser la République et de remettre en cause l’égalité des sexes et la liberté de la femme.

Voilà un bref résumé de ce qui s’est déroulé ces deux dernières semaines, dans notre bulle médiatico-politique gauloise.

Une caricature ? Hélas, on peut le dire.

Mais que s’est-il réellement passé, dans cette affaire ? Quelles véritables questions de fond a-t’ elle soulevé ?

Prenons le risque d’une analyse décalée.

Trois éléments émergent et suscitent la réflexion.

D’abord, la liberté de choix, pour un individu, de ses critères, dans son projet marital. C’est la question que semblait poser, avec beaucoup de prudence, Frédéric TADDEI, dans l’une de ses récentes émissions. Ai-je encore le droit de vouloir me marier avec une personne issue exclusivement de mon milieu, partageant les mêmes valeurs et poursuivant les mêmes objectifs de vie, que moi ?



Le second élément concerne la confiance. Est-elle encore, avec le consentement, l’une des deux conditions indispensables d’une union maritale ?

Dernier point, la religion, convoquée, à son corps défendant, dans la polémique. Avec cette question essentielle : le respect de l’institution religieuse du mariage, et de ce qui la fonde, à savoir la référence à des valeurs morales, fondées sur Dieu, sont-ils encore possibles et acceptables, pour l’individu et la société ?

Toutes ces questions seront restées sans réponses. En lieu et place d’un débat, nous avons assisté à l’une de ces manifestations publiques de haine et de stigmatisation, dont la France a le secret. Une campagne publique qui n’est pas, loin s’en faut, l’expression unanime de l’opinion publique, nationale ou populaire, de ce pays. Seulement celle de ses élites politiques et médiatiques.

Pas de débat. A la place, une atmosphère de maccarthysme ambiant, de procès en sorcellerie. Des cris de rage ont émergé et les mots de fatwas et de répudiation, ont fusé à tout bout de champ.

De ce point de vue, le spectacle auquel nous ont conviés les grands médias nationaux est véritablement inquiétant.

La manière dont on a été brossé, quotidiennement, un portrait sombre, effrayant et révoltant, d’une religion, l’islam, redevenue l’ennemie publique numéro un, par la grâce morbide d’un coup de crayon médiatique, doit nous faire réfléchir sur les processus de production de l’opinion, à l’ère de la révolution technologique.

Le débat a été tranché, avant même d’avoir existé. Les musulmans ont été sommés de s’excuser et de se rétracter derechef, d’avouer leur culpabilité et de rejeter en public, d’abjurer, leur foi et leurs valeurs morales, jugées moyen-âgeuses.

On peut tout à fait, sur ce point précis, parler de la vocation et de l’émergence, nouvelles, d’un ordre immoral, à savoir un ordre fondé sur le rejet des valeurs morales comme obstacle à la frénésie jouissive de l’individu et de ses désirs, ordre tout aussi répressif que son pendant inverse, l’ordre moral.

Ni Putes, ni soumises est au charbon et Caroline FOUREST veille. La passion impose sa loi d’airain et convoque la raison juridique à la barre. Il faut changer la loi, réclament en choeur, nos nouveaux puritains.

Ce que révèle, au fond, cette affaire est la profonde fragilité de notre société moderne, incapable de gérer, d’accepter et de relever le défi de la diversité philosophique, religieuse et morale.

Une société qui se drape du manteau de la liberté et des droits de l’homme, pour en imposer une interprétation libertaire, amorale, voire athée, allant jusqu’à exiger le renoncement à toute référence morale ou religieuse.

La laïcité, condition politico-juridique indispensable à l’existence d’une société multi-culturelle et multi-confessionnelle, qui a longtemps été définie comme la neutralité religieuse de l’état et de ses représentants, a été, en quinze petites années, vidée de son contenu, dévoyée par différents courants de pensée hostiles à la libre expression publique d’une religiosité, en l’occurrence musulmane.

Cette extension abusive de la laïcité, absente de la loi de 1905, qui a laissé entendre qu’elle signifiait l’interdiction absolue de professer des opinions religieuses ou d’exprimer une pratique religieuse, dans les limites du respect d’autrui, sur la sphère publique, la relayant exclusivement dans la sphère privée, a constitué une violation et une réorientation radicale de la définition et de la signification philosophique et historique, de la laïcité.

Cette interprétation a eu pour effet la remise en cause d’un certain nombre d’acquis, en terme de liberté religieuse et de paix sociale, chèrement payés, au regard de la diversité philosophique et confessionnelle de notre société.

Désormais, aux yeux de la raison médiatique et de son tribunal, il est rigoureusement interdit au citoyen d’invoquer un argument moral ou religieux, pour justifier sa conduite, ses décisions, ses choix.

Les évènements qui se sont déroulés entre 2002 et 2004, la montée en puissance de la fièvre médiatique, qui a trouvé son aboutissement par une loi de circonstance, de stigmatisation social d’un groupe confessionnel, nous avait déjà révélé les rouages d’un processus médiatique profondément destabilisant et dangereux, pour nos institutions.

Aujourd’hui, comme hier, sous l’effet d’une pression médiatique et d’une intimidation politique, conjugués, c’est l’indépendance et les décisions du pouvoir judiciaire qui sont remises en cause. Et sur ce point, l’affaire franco-française de ce mariage annulé, restera sans aucun doute, un cas d’école.


Lire l'article complet, et les commentaires