Les petites filles stars vont au paradis...
par Caroline Courson
lundi 27 août 2012
« L’omniprésence de l’érotisation dans toutes les sphères de l’espace public ne constitue-t-elle pas une violence systémique contre laquelle il faut se prémunir ? Une violence symbolique par la transmission de stéréotypes du genre femme-objet et homme-dominateur ; une violence sociale engendrée par la banalisation de l’univers médiatique ; une violence économique par la glorification de l’acte de consommer et la pression sur les plus jeunes ; une violence politique entretenue par l’incapacité de l’Etat à protéger les enfants et les jeunes des méfaits du capitalisme débridé. »
(Lilia Goldfarb, conférence Y des femmes de Montréal – YWCA)
Il est curieux de constater que le pays (impérialiste de civilisation) qui se vautre avec bonne conscience et à corps perdu (c’est la cas de le dire !) dans le strict puritanisme WASP et la pudibonderie shocking la plus obscène projette parallèlement ses petites- filles- modèles, dès ses premiers pas (perdus eux aussi !), sur la scène malsaine de la séduction obligatoire et grassement rémunérée. Un ami m’avouait dernièrement que, lors de ses séjours Etazuniens, il n’osait même plus complimenter une grand-mère sur la fraîcheur de sa blouse par crainte d’encourir une plainte pour harcèlement. Il lui arrive professionnellement, en revanche, d’assister à des concours de mini-miss hyper-sexy où la plus jeune des concurrentes n’a pas encore trois ans !
Allez fonce, ma chérie, fonce, ravale tes larmes et tes peurs, souris de toutes tes dents de lait immaculées et ondule ta petite croupe de ponette encore sauvage, en récompense tu seras sacrée la plus belle pour aller danser au bal des vampires de la surexposition indécente, c’est pas grave de pleurer, alors souris, l’important c’est de GAGNER, pas de participer, et surtout, de devenir CELEBRE, de faire baver les voisins de jalousie et se rengorger la famille de fierté…
Mais c’est quoi, cet Oedipe à l’envers, récupéré par le marketing triomphant et bien orchestré par des génitrices avides de savourer enfin les exquises délices de cette success-story qu’elles n’ont pas eu la chance de vivre elle-même ? Le syndrome de Munchaüsen par procuration artistement mis en scène par La Société du Spectacle ?
Elles le savent très bien, ces mères-maquerelles encore impunies par la loi que, sous le strass avec stress, par-delà le clinquant des paillettes, derrière ces rouge à lèvres carmin, talons aiguilles crève-cœurs , perruques bouclées et faux-cils interminables, elles mènent leurs petites princesses prétendument adorées jusqu’à l’abattoir où git Méduse décapitée, punie de la peine suprême pour avoir été trop belle : séduite et manipulée par des forces puissantes qui la dépassent, elle subit un terrible châtiment qui la prive de tout véritable contact humain puisqu’elle ne peut plus regarder les vivants sans les pétrifier, et la conduit jusqu’à la mort violente et à la perte absolu de son « moi » intime - lorsque Persée , in fine, utilise sa tête sans vie pour assouvir ses propres desseins malsains de pouvoir personnel… Effrayant, non ?
Eh bien non, semble-t-il, puisque le phénomène prend chaque année une ampleur nouvelle, à tel point qu’en France, toujours prompte à imiter les erreurs grossières de son mentor d’Outre-Atlantique, les pouvoir publics sont contraints de devoir légiférer sur ce problème devenu sociétal. Comme si les récits des dégâts multiples occasionnés sur les enfants par une mise en lumière précoce ne faisaient pas les choux gras des magazines people, comme si personne ne se délectait des malheurs des pauvres petites filles riches et célèbres, sous les infrarouges du coiffeur ou dans l’attente de l’extraction d’une molaire…
Le destin des enfants stars morts tragiquement, ça traîne pourtant partout : rien moins que 15 victimes, dépression précoce et over-dose, de 1980 à 2009, d’Anissa Jones à Ana Plato – lamentable record au regard même de leurs tristes prédécesseurs, victimes de la malédiction des twenty-seven dans les années 70 (mais ils avaient au moins vécu trois fois la table des 9, chiffre magique s’il en est, qu’a même réussi à atteindre Amy Winehouse…)
Mais ces innocents volontairement massacrés ne sont que la partie visible de l’iceberg. Les dégâts multiples causés sur les jeunes, ados, pré-ados, enfants, par la folie de l’hypersexualisation précoce sont multiples et dramatiques.
Envolés, les jeux d’enfants sages ou de gamines turbulentes… Dépassés, la marelle et les osselets, les jongleries à cinq balles et les Mistral gagnants, les cordes à sauter et les batailles aux prisonniers, les rondes à chanter et à enchanter, Il était une fermière qui allait au marché…Et ça n’est même pas Mozart qu’on assassine, c’est simplement Nannerl !
Habillement suggestif, jeu de la séduction, banalisation de la sexualité, conditionnement à des standards de beauté uniques : c’est la monarchie absolue du « look parfait », faut avoir l’air « cool » et « sexy », cocotte ! La dignité et le développement harmonieux de l’enfant s’y trouvent totalement occultés.
L’économie capitaliste est fondée sur la consommation effrénée et sur la monétarisation des rapports sociaux : le groupe de base est défini par un style, une manière de vivre qui s’achète. Pour donner un sens à son existence, la condition nécessaire et suffisante est de « faire les magasins » : un système réfractaire aux considérations éthiques les plus évidentes…
L’économie marchande, recherchant sans cesse de nouvelles pistes de consommation, les élargit vers des cibles de plus en plus jeunes. En achetant toute une panoplie de produits allant bien au-delà de la simple satisfaction des besoins primordiaux, on calme sa crainte de ne pas être à la hauteur des modèles véhiculés par les médias et on transmet très tôt à ses enfants cette exigence du toujours plus : toujours plus belle, plus séduisante, plus enviée, le bonheur est dans l’image, et on fait de ce cliché le but ultime de ces stupides concours de chair fraîche (et si Barbe-Bleue était passé par là ?), qui ne sont pas sans lien avec le comice agricole de Bazoches-les-Gallerandes.
A qui profite le crime ? A l’industrie de la mode et des produits de beauté, à celle des médias (télévision, internet, musique, cinéma, presse magazine…) et à celle du marketing qui scrute au microscope les habitudes des jeunes pour leur inventer de nouvelles envies. Et ne parlons même pas de l’industrie du sexe qui récupère avec avidité les pots (peaux ?) cassés des poupées brisées…
Dans le modèle relationnel véhiculé par les médias, on trouve des rapports hommes/femmes stéréotypés (femme sexy mais soumise, homme forcément dominateur) : des images de femmes-objets adultes, dénudées et sensuelles, ou de très jeunes femmes sous les traits de petites filles aguichantes : « Viens me chercher ! » crient-elles implicitement – ou explicitement dans les clips de Shakira ou Christina Aguilera. Certaines publicités utilisent même l’image de jeunes corps féminins sans montrer leur tête, rejoignant là le terrible symbole de Méduse décapitée.
La formation identitaire des filles se fonde essentiellement sur l’apparence : ce qui compte vraiment, c’est ce que l’on « a l’air d’être », au détriment de ce que l’on est ou de ce que l’on fait. Et le retour aux vieux présupposés masculin/féminin privilégie les projets reliés au corps au détriment des intérêts intellectuels. Le souci de l’image corporelle, la tenue vestimentaire, la volonté d’imiter le monde de la femme-objet adulte « vendue » par les médias dépassent en importance les préoccupations scolaires et culturelles. La tête bien faite ou bien pleine ne pèse plus lourd au regard du corps bien habillé et du visage bien maquillé !
On sait bien depuis Freud que la sexualité enfantine existe, qu’elle est vivante et active, mais elle n’a rien à voir avec le monde des adultes et ne doit surtout pas être mise en scène pour le plaisir pervers des parents et des spectateurs putatifs. Lorsque, dès leur plus jeune âge, les filles considèrent qu’il est de leur rôle de susciter l’excitation par des comportements lascifs « c’est comme s’il y avait en elles une sorte de clivage entre l’affectif et le sexuel. » (Marzano et Rozier)
Et voilà comment des impératifs économiques entraînent Alice au pays du porno – et le Lapin Blanc est partout, à simple portée de portable !
Alors, les pistes, les solutions ? Yaka… croire à la capacité des petites filles à résister aux pressions… améliorer leur estime et leur connaissance d’elles-mêmes… les aider à mettre en contexte leurs expériences… développer leur sens critique envers la culture médiatique… remettre à l’honneur l’immense créativité enfantine bien oubliée (à l’école par exemple)… et compter sur une répression judiciaire mise en place par l’état (mais n’est-ce-pas terrible de devoir en arriver là ?)
Et en premier lieu, éviter de balancer d’innocentes gamines sur les scènes et les podiums, déguisées en « Sexy Barbie Girl Design Paillettes », dès l’âge de la maternelle et pour la seule satisfaction de la société de consommation !