Les savoirs ontologiques, la civilisation et l’enjeu majeur du 21e siècle...
par Bernard Dugué
mardi 8 janvier 2008
Trois questions ontologiques
Les différents champs scientifiques, physique, biologie, sciences humaines, ont engrangé une somme considérable de résultats. Cette situation est due à la puissance d’investigation des sciences de la nature avec leurs laboratoires peuplés de chercheurs, expérimentateurs, théoriciens et dotés de dispositifs de très haute technologie. Les résultats sont consignés dans des journaux spécialisés alors que d’autres revues proposent des synthèses sur des thèmes précis ; enfin, quelques scientifiques doués pour la synthèse écrivent des livres faisant le point sur les connaissances dans un champ élargi, et ce à destination des étudiants ou même des chercheurs. Les licenciés en biologie se souviennent tous de ce pavé roboratif de Léninger censé décrire tout ce que la machinerie moléculaire peut produire dans une cellule. Les étudiants en physique connaissent le livre de Feynman sur la mécanique quantique, un classique. Quant au grand public, il a accès au savoir scientifique à travers des ouvrages conçus de manière plus littéraire et dépouillés des détails techniques, ce qui rend leur lecture plus agréable et rend l’accès au propos plus aisé.
Ainsi se forgent des représentations de la matière, la vie, l’être humain, la société. Ces représentations divergent peu sur le fond dans la mesure où un large consensus règne dans les savoirs que fournissent les scientifiques dans leurs champs respectifs. Nous avons tous en tête une certaine idée du cosmos, de la relativité, du comportement étrange des particules, de la chimie moléculaire dans les structures vivantes, des processus neuronaux, de l’évolution, des fonctionnements du gène, de la double hélice, des institutions, du psychisme humain, de la notion de civilisation. Ensuite, selon le degré de pratique d’une spécialité, la précision augmente ainsi que la compréhension des détails complexes d’une discipline. Etablir l’équation de Schrödinger en suivant pas à pas son raisonnement nécessite quelques connaissances en mathématiques. Chaque domaine présente ses difficultés spécifiques alors que l’esprit de chapelle se refuse trop souvent aux dialogues entre disciplines. Pourtant, ce dialogue est nécessaire car, et c’est mon point de vue, aucune conception des réels n’est satisfaisante. La Nature, l’Homme, la Société, ces choses nous sont partiellement connues, à travers leurs manifestations, dans les appareils scientifiques ou dans le monde, mais nous ignorons quelques processus fondamentaux. Autrement dit, il y a dans le monde naturel, l’être humain, la société, quelques boîtes noires que les scientifiques et savants n’ont pas pu encore décrypter.
Il y a donc trois grands ensembles à explorer, celui de la Nature, comprenant le monde physique inerte et celui organisé de la vie. Puis l’Homme, avec son cerveau, ses facultés mentales qui le distinguent de l’animal avec les résultats de sa socialisation ; le langage, la raison, l’esprit, les facultés supérieures de l’imagination créatrice, sa conscience et sa zone sombre inconsciente. Enfin, partant de la condition corporelle, mentale et spirituelle de l’homme, il nous faut comprendre les processus et mécanismes en jeu conduisant vers la société et son état de civilisation. Etant entendu que l’on comprend assez aisément qu’il y ait une germination, une naissance de civilisations, et le cas échéant, des fins de civilisations, avec l’étrange destin de l’Empire maya, achevé du reste par les Conquistadors et, sans aller jusqu’à parler d’une fin de l’Empire romain, disons sa lente métamorphose après une longue agonie et s’il y eut crise de civilisation, c’est bien en cette période romaine. Le sort des civilisations ne suit pas un cours universel. Et s’il épousa en des temps reculés les empires, il se maria avec les nations à l’époque moderne.
Pourquoi l’ontologie ?
Résumons la situation des savoirs contemporains avec trois formules fondamentales ayant une valeur programmatique autant qu’herméneutique :
La technique (physique, molécule) produit la nature, les êtres vivant et leur évolution ;
L’homme naturel s’organise en société, produit les langages, les savoirs, les techniques. Il devient un être social, avec sa transformation ;
Les ensembles organisés d’hommes engendrent plusieurs types « d’état collectif », ceux, qui du reste se recouvrent, d’empire, de société, de nation, de civilisation, et leur histoire.
Chacun des trois volets ontologiques mérite un billet, un long article et certainement un livre complet pour être développé jusqu’aux limites de l’entendement. Mais qu’est-ce que l’ontologie ? C’est la science des fondements, non plus de l’être car les fondements se transforment en relation avec le domaine des objectivités et des expressions. Les savoirs ontologiques ont une dimension compréhensive, plus que positive et descriptive. Et c’est ce qui fait leur valeur non pas dans le savoir-faire mais le savoir-penser. Et être ! Encore faut-il les développer et pouvoir les transmettre. La science de l’être nécessite des efforts, comme la mathématique ou la médecine. L’ontologie du social se voudra une sociologie compréhensive, opposée à la sociologie descriptive. Ainsi que le souhaitait Max Weber qui n’a pas su prendre le large avec la description mais a tenté quelques succès d’estime, notamment sur le lien entre ascétisme protestant et naissance du capitalisme. Une œuvre qui se discute mais qui a ouvert la voie à une sociologie que je préfère désigner comme explicative et qui, avec une exploration plus profonde, pourra devenir une ontologie de la société et de la civilisation. Expliquer la société, mais avant l’homme et avant la nature. Un vaste enjeu pour ce millénaire encore tributaire du positivisme et du rationalisme étriqué du 20e siècle, autant que de ses tentatives échappatoires menées par la french touch post-moderne, la systémique holiste et le new age.
Le développement des savoirs ontologiques n’est pas étranger à l’Art. La connaissance des réalités et leur explication ontologique revêtent un côté non pas ludique mais carrément une joie aussi intense que celle procurée par la réception d’une œuvre d’Art. Encore faut-il avoir accordé son entendement pour accéder à cette joie. Il y a une part d’inspiration, paraphrasant Picasso, et une bonne dose de transpiration, autrement dit suer des neurones pour débroussailler le chemin vers la lumière de l’explication de certaines choses, de plus de choses et qui sait, de toutes choses. Monde naturel, être humain, conscience, civilisation... pour l’essentiel.
Maintenant, la question de l’utilité sera posée certainement, bien que le savoir ontologique soit authentiquement et divinement libre et dépourvu de tout intéressement si ce n’est la joie d’accéder aux fondements et de comprendre le sens de tout ce qui arrive. Trois questions vont être posées eu égard au triptyque ici proposé. Pour ce qui relève du monde naturel, l’ontologie permettra de trouver des alternatives aux solutions mécanistes pour autant que celles-ci existent mais une chose est sûre, si on n’y croit pas, on ne les trouvera pas. Ensuite l’homme. Inutile d’exposer ce qui est évident en termes de développement humain et qui fait l’objet de disputes entre les médecins de l’âme, cognitivistes et psychanalystes... là aussi, aucun développement pour ne pas alourdir ce billet. Enfin, la question de la civilisation. Et aucune piste, si ce n’est que de rappeler que ce questionnement, idiotement (au sens de Dostoïevski) lancé par Sarkozy et récupéré non sans vanité par Morin, sera à l’ordre du jour en 2008 !
Dommage que la question du développement de centres d’ontologie ne soit pas à l’ordre du jour. En plus du bien culturel et scientifique qu’ils peuvent apporter, des solutions inédites pourraient émerger, en médecine, en développement humain, en avènement de civilisation ; mais qui ne tente rien ne trouvera rien ! A suivre si vous le voulez bien...