Lettre ouverte à Dieu

par quid damned
lundi 18 août 2014

De qui vous savez,

d'où vous savez,

 

À Dieu,

Rue de l'Ubiquité

Faubourg de l'Omnipotence

Canton de l 'Omniscience

 

Terre, jour GM III moins quelques instants.

 

Objet : Avis d'annulation.

 

Dieu,

Il est très vraisemblable que vous ayez un courrier abondant, cependant j'attire tout particulièrement votre attention sur celui-ci tant il devrait se démarquer de la plupart. En effet, vous devez être habitué à des louanges, des prières, le plus souvent des lettres déférentes voire obséquieuses, ou de serviles révérences, de cérémonieuses requêtes, ou encore d'élégants et retenus témoignages de détresse. Si c'est bien le cas, la présente, de nature toute autre, devrait contraster avec votre courrier habituel. Je ne vais pas vous ennuyer avec des suppliques, je serai moins protocolaire et je ne vous demanderai pas de miracle, de sauvetage, de pardon ou quelqu'autre providentielle intervention ou faveur de votre part. Ce que j'ai à vous dire ne vous plaira pas mais ça vous changera un peu. Je vais en effet me permettre quelques critiques.

Les subtiles paraboles de textes sacrés sont supposés nécessiter une lecture fine et approfondie, or sommes-nous tous supposés être des théologiens avertis ou des curés ? Ce n'est pas mon cas. Je vais donc fonder mes critiques sur ce que je connais de la bible, niveau de connaissances qui je crois sont celles du pécheur moyen. De plus, pour me permettre une première remarque, quand on est l'initiateur du destin de l'humanité on choisit mieux ses biographes, ses messagers et leurs scribes. On s'arrange aussi pour donner un mode d'emploi clair et précis. Un service après-don ne serait non plus un luxe.

J'avais prévenu que ça ne vous plairait pas mais en tant qu'esprit suprême vous ne devriez m'en tenir rigueur (quoique les exemples de votre susceptibilité ne manquent pas), mais par dessus tout sachez d'ores et déjà que je ne crois pas en vous. Je ne vous crains donc pas. Mais tout imaginaire que vous soyez, selon moi, je tacherez de modérer mes propos par respect pour ceux qui ont encore la bonté de croire en vous.

Je ne suis pas un athée primaire et à vrai dire je pense possible et serais ravi de l'existence d'êtres transcendants. Pour être parfaitement honnête, la réalité est qu'en fait j’espère sincèrement que vous n'existez pas.

 

Voici dans les grandes lignes les reproches et les remarques que je me permets d’émettre à votre encontre.

On vous présente comme l'Esprit Suprême et le Père de l'Humanité. En cela on s'attend à ce que vous soyez le sage des sages, que vous ayez toutes les qualités morales et intellectuelles les meilleures possibles. De par votre divine essence, on pourrait s'attendre à un père idéal. Un père exemplaire, bienveillant, protecteur, responsable et attentionné. Vous seriez donc l'exemple archétypal à suivre. Certains éléments me font fortement douter du bien fondé de ces espoirs. Voyons cela à travers quelques exemples.

Nous serions tous les descendants d'un premier couple, Adam et Ève (via Noé).Il en résulte que nous sommes tous les membres d'une famille incestueuse.En dehors de cet aspect moral, même le plus novice des soigneurs de zoos vous aurait mis en garde : il est contre-indiqué de faire se reproduire entre eux des individus parents pour tenter de sauver une espèce en voie d'extinction (ou d'apparition pour le cas qui nous concerne). Il faut diversifier le plus possible les souches génétiques. Sinon il y a risque de consanguinité et les conséquences peuvent être très regrettables. Ceci dit ça expliquerait pas mal de choses …

Ce jeune ménage aurait été gracieusement logé par vous dans un somptueux jardin appelé Éden. Il n'avait plus qu'à profiter de ce paradis terrestre sans autre préoccupation pourvu qu'il ne touchèrent à un seul des fruits du pommier.

Ça part a priori d'un bon sentiment, mais le pommier à quoi ça rime ? Vous n'aviez vraiment nul part ailleurs où le planter ? Au pire vous auriez pu mettre un enclos infranchissable. Si c'était pour tester la capacité à de jeunes humains à supporter la frustration … je trouve le procédé un peu pervers. Si c'était pour tester votre autorité, je soupçonne chez vous un zeste de travers totalitaire ou mégalo.

Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. C'était sans compter sur la présence d'un malicieux ver. Pas un banal ver de pomme mais un ver vil et pas qu'à moitié, doué de parole, très persuasif et sachant parler aux femmes. Ces talents il s'en servit pour convaincre Ève d'en croquer et d'en faire croquer Adam. Ce qui resta en travers de la gorge d'Adam, et provoqua vos foudres.

Donc le test fut un échec. Le serpent, que diable faisait-il là si ce n'est rendre encore plus perverse l'épreuve ? Nos deux tourtereaux échouent. Je vous rappelle que c'est vous qui les avez créé, avec leurs défauts. Donc cet échec vous en est pour part imputable, or ce sont ces pauvres créatures qui en paient les frais, sans que vous ne pensiez un seul instant à remettre en question votre capacité à créer des êtres ayant une volonté morale à la hauteurs de vos propres exigences. Donc au lieu de ramener le prototype et la protonénette au bureau d'étude vous les envoyez au casse-pipe. Vous les expulsez sans autre préavis dans un milieu hostile. Pour un peu je vous accuserais de maltraitance morale et physique sur la personne de vos enfants.

Cette sanction ayant un caractère reconductible, les descendants de ce couple de nouveaux pauvres SDF eurent à en subir les conséquences, jusqu'à nos jours. Punition exemplaire. Sens de la mesure et du discernement un peu limite ... pour un divin père.

Avant de poursuivre la chronologie j'aimerais évoquer une certaine affaire délicate. Un certain trafic d'âmes … voyez pas ? Mais si, un chaleureux parc d'atrocités et son diabolique tenancier (dont vous êtes également le créateur soit dit en passant). Et les obscurs contrats qui vont avec, untel en enfer, telle autre au paradis, d'aucuns au purgatoire avec erreurs judiciaires à la clé. De belles et rassurantes perspectives d'avenir pour vos enfants les moins méritants. Si ça c'est pas une preuve d'amour paternel, de bienveillance.

Je ne vais pas faire une analyse exhaustive de toute l'historiographie, ce serait long, et les quelques exemples déjà cités donnent un échantillon significatif des anomalies qui m'interpellent dans votre œuvre. Même si vous seriez capable d'une telle lecture en un battement de cil, c'est une lettre ouverte, je pense donc à d'autres éventuels lecteurs qui n'auraient pas vos super-pouvoirs et pour qui le temps est compté.

Cependant je ne peux pas laisser passer l'affaire Noé qui en dit long sur votre impartialité et votre bienveillance paternelles.

Quel enseignement tirer de l'épisode de Noé et du déluge ? Un bon point pour vous, vous rendez compte que vos joujoux ne tournent pas rond et qu'il va peut-être falloir revoir la copie. Mais là encore déception. On repère un petit chouchou (Noé) et on noie tous les autres (cruauté, favoritisme), au lieu de faire quelques modifs ou réglages pour corriger les défauts. Et après on s'étonne que ça recommence. Pas plus tard qu'avec la descendance directe du fayot, qui au passage n'a pas beaucoup d'humour, n'aime pas les petites moqueries et est prompt à la sanction démesurée (pas étonnant que ce fut le préféré). Et c'est reparti pour la consanguinité et l'inceste.

Passons les magouilles avec Abram, encore un chouchou. Quoiqu'il fut un peu un souffre douleur psychologique pour éprouver sa foi en vous. Sadisme, narcissisme. Si je comprends bien vous faîtes des enfants pour qu'il vous adulent, qu'ils vous témoignent leur reconnaissance et leur gratitude. Belle mentalité.

Terminons ce passage en revue par l'épisode probablement le plus marquant. Jésus.

Naît d'une mère vierge. Je ne saisis pas très bien le message, s'il y en a un.

Se bat et souffre toute sa vie pour défendre vos intérêts. Vers l'âge de 33 ans il se fait serré par les romains pour des raisons vaguement politiques, il est condamné au piquet. Torturé, lynché, puis clouté sur la croix. Et papounet laisse faire. Pour prouver son amour pour l'humanité. Décidément les infanticides c'est votre truc. Je ne saisis aucunement l'éloquence de ce choix, son exemplarité, et y vois encore moins une preuve d'amour. Pire : vous vous rendez compte des dégâts que ça peu causer dans le psychisme d'un enfant lorsqu'on lui raconte cette scène ? … Dieu est humour.

Je pense que ces exemples sont suffisants pour illustrer l'ampleur de mon désarroi et de mon scepticisme.

Mais que vaut une critique si elle ne s'accompagne pas de conseils ou de remarques constructives. Mes critiques jusque là n'ont rien fait d'autre que démolir ou moquer. Ai-je le choix ? En tant que mortel, oser formuler quelque suggestion ferait de moi en plus du sombre hérétique pour lequel je vais passer, un outrecuidant prétentieux. Sauf qu'en tant que mortel j'ai droit à tous les défauts me semble-t-il. Alors allons-y.

J'écrivais plus haut que le choix de vos messages et de vos scribes n'étaient pas très heureux. En effet, vos saintes paraboles valent peut-être d'être mieux comprises. Reprenons l'épisode d'Adam et Ève. Je ne prétends pas que ce qui suit est ce qu'il faut en comprendre, mais ainsi formulé je l'aurais mieux accepté :

Adam et Ève sont dans un lieu paradisiaque. En tant que père bienveillant vous vous arrangez pour qu'il ne manquent de rien, que leur confort soit optimal y compris leur confort psychique. Pour cela vous bridez leurs consciences et les préservez des affres d'une conscience plus éclairée, la difficulté d'assumer une trop grosse part de vérité. Mais votre conscience vous taraude, un sentiment de culpabilité vous hante car vous ne leur laissez in fine pas le choix. Et avouez-le vous aimeriez un peu plus partager votre savoir avec vos enfants, les voir grandir et s'émanciper. D'un autre côté vous redoutez de les voir quitter le cocon familiale. Que faire ? Les laisser choisir, mais en connaissance de cause. Avec tous les avertissements possibles. Pour les aider dans leur choix vous missionnez quelqu'un en qui vous avez confiance, qui en sait un peu plus qu'eux mais pas trop. Cet être à double langage et donc à langue fourchue, est chargé de les aider à choisir et pour que ses avis ne soient pas pris à la légère, qu'il soit prudent dans ses propos, il devra partager leur sort. Vous mettez donc le dispositif en place. Ils optent finalement pour une vie moins confortable mais moins monotone. Moins tranquille mais plus authentique. Et ce n'est pas de votre colère qu'ils vont être secoué mais de leur dégrisement. (…) D'après « Transitus Delonis » selon Saint-Françis Lalannae d'Assois in Anathemae Ruptura Genesis .

C'est une interprétation libre, succincte mais qui est moins gore que l'original et qui soigne bien plus votre image.

Même une interprétation plus prosaïque m'aurait moins dérangé, par exemple :

Vous installez nos chers amoureux sur ce trône paradisiaque, tout juste si vous ne leur déroulez pas le tapis rouge. Nos deux comparses sont avertis que vous avez planté, pour parfaire la déco un arbre dont les fruits, bien que fort savoureux, sont peu digestes et pour certains véreux. Que nenni, les pommes sont trop appétissantes, et puis chacun sait, lorsqu'on interdit quelque chose aux enfants ils ne peuvent pas s'empêcher. Un véritable gueuleton de reinettes ou d'api. Évidemment, leurs frêles appareils digestifs n'y résistèrent pas. Et ce n'est pas votre colère qu'on entendît gronder ce jour là, mes des grondements d'une toute autre nature, des secousses plus intestines. Et ce ne fut pas un tapis gris, mais des émanations plus brunes qui épaissirent l’atmosphère désormais irrespirable et souillèrent irréversiblement les rêvés lieux. Sous votre regard consterné, ils filèrent en douce au devant d'une punition qu'ils avaient eux-même provoqué. (…) D'après « Aedenus Vibratum In Petto , Parcheminae Derulum » selon Saint Jean-Maria Bigardem in Aeschatolgia scatologium Genesis .

Rendez-vous un peu compte des images que l'on peut trouver dans les saintes écritures.

Dire que la nation la plus influente du monde fait prêter serment sur la bible à ses présidents et que leur devise est « in God we trust ». Pas étonnant que ce soit le pays le plus belliqueux, le plus meurtrier et le plus néfaste de la planète. Qui a participé à toutes les guerres depuis des décennies, qui les a même toutes provoquées directement ou indirectement. Qui a plus de budget militaire que tous les autres pays réunis. Non sérieusement, justifier votre non-interventionnisme me paraît très compliqué. Ayez confiance en vous, vous avez bien séparé les eaux d'une mer en deux. Vous pourriez au moins neutraliser les cinglés qui nous gouvernent, de façon discrète pour préserver le doute que vous jugerez nécessaire, si vous voulez. Mais trop c'est trop. N'y voyez pas une requête masquée, je vous ai dit que je n'en formulerez pas, juste un avis voire un conseil. Et puis, l'humain a bon cœur, il pardonne tout (lui) pour peu que vous admettiez votre responsabilité, « du moment que vous ne vous foutez pas de sa poire c'est une bonne pomme » (de « Scubidus Mercatum » in Scubiduvae Evangilum selon Saint Sacha . Croyez-moi, ça vous ferez du bien. Et puis il y a des bons psy sur Terre. J'ai dans l'idée que si vous laissez faire tous ces massacres, c'est que vous avez un problème avec la mort. Comme une fascination morbide, un rapport malsain, une frustration. Aaah... l'immortalité.

Je pense que ces remarques peuvent se transposer à d'autres religions, mais je me suis basé sur celle (la catholique) que je connais le moins mal. Je ne voudrais pas tomber dans le piège du cliché (jihadisme etc). Cependant, il y en a une, dont, par prudence je n' aurais quoiqu'il en soit pas parlé, j'aurais trop peur que B.H.Botul demande aux forces de l'Otan de venir me bombarder chirurgicalement la gu... et ce le plus moralement du monde.

Pour conclure, je veux bien considérer la possibilité que je n'ai rien compris, et que j'ai mal interprété. Mais apparemment, vu le foutoir sans nom qu'il y a sur la planète, je ne dois pas être le seul. Quoiqu'il en soit tout ceci est trop tordu pour moi, c'est pourquoi, comme précisé dans l'objet de la présente, je vous somme, si vous existez, au moment de ma mort, de ne point tergiverser entre paradis ou enfer : détruisez, annulez purement et simplement mon âme. Je n'ai pas envie de participer plus longtemps à toute cette mascarade. Toute cette moralité emprunte de culpabilité, de narcissisme, de népotisme et autres favoritismes, de sadisme, d'inceste, de cruauté, de magouilles, de chantage affectif, de terrorisme, sans oublier une gestion déplorable des espaces verts, incapacité de se remettre en question … un vrai politicien, à peu près tout l'inverse de l'image que je me fait d'un être hautement spirituel. Vos ouailles ont bien du mérite de continuer à vous suivre, je soupçonne que certains ont du mal à se convaincre, sinon pourquoi tant de pleurs au lieu de se réjouir de la félicité qui l'attend, lors du décès d'une personne aimée. Sans parler de ceux qui prétendent croire en vous et qui votent pour des partis plutôt acoquinés aux marchands du temple. Donc n'oubliez pas, à ma mort, suppression pure et simple de mon dossier, annulation totale de mon existence sous quelque forme que ce soit. N'allez pas croire que j'ai peur d'aller en enfer, au contraire, à tout prendre c'est la destination qui me déplairait le moins, c'est d'ailleurs celle à laquelle on est le mieux préparé ici bas. Non sincèrement, suppression totale et définitive ça vaudra mieux pour tout le monde.

 

Dans l'attente de vous lire ou de toute autre manifestation, veuillez agréer, Dieu, mon sincère scepticisme et ma légitime circonspection.

Je ne vous dis pas adieu.

Neutres Salutations.

 

Qui vous savez.

 

PS : Tout ceci n'engage que moi. Si j'ai heurté votre susceptibilité, prenez un calmant et réprimez toute velléité à vouloir vous venger sur ma descendance pour des générations et des générations. À tous les travers dont je vous soupçonne, n'ajoutez pas la répression hystérique de la liberté d'expression.


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