Lettre ouverte ŕ Mme le Ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol TOURAINE

par Laure Ribal
vendredi 11 juillet 2014

 Psychologue en EHPAD, service public, et libérale dans le 04, département démuni de psychiatres, pédopsychiatres et médecins, je me permets de vous interpeler, car la politique actuelle en matière de santé et dans le champ du médico-social rend dingues les professionnels contraints à accompagner aussi pitoyablement leurs patients, pensionnaires, clients, résidants, sur la base d’un postulat économique qui nie l’humain. Vous aurez reconnu l’hôpital, la psychiatrie, les services du CG, les EHPAD. Et la société toute entière, bref, le monde gouverné par une logique déshumanisante qui commence à fatiguer grave les peuples soumis et si bons élèves, à toujours courber l’échine pour faire avancer la galère.

Les personnels épuisés s’évertuent à respecter le rendement qui est exigé de leur part, sans y parvenir. Ils sont dégoutés de devoir traiter des personnes humaines comme des objets, au nom d’une logique comptable, alors que l’HAS, l’ARS, sucrent les budgets et l’Anesm édicte des recommandations de bonnes pratiques qui ne peuvent être tenues.

Bien sûr qu’ils souhaiteraient bien pratiquer : on ne travaille pas dans le secteur public de la santé ou du médico-social par gout d’une logique capitaliste, pour s’enrichir mais parce qu’on en épouse les valeurs de « liberté, égalité, fraternité ».

On compte leur pas, leurs poignées de mains, le temps d’une toilette, d’un sourire, d’une parole : ce qui doit être tracé et mesuré (évaluation). On doit rentabiliser, gagner du temps, de l’argent. Dans l’EHPAD où je travaille, la Directrice, avec sa calculette, m’a annoncé le temps de chaque Aide soignante auprès des personnes : moins d’une heure par jour et par an. Je me demande si elle a compté les 20mn de pauses réglementaires, je ne crois pas. Et je sais aussi que certaines de mes collègues n’en prennent que 10, à tout casser !

Oui, je suis fort inquiète, irritée, énervée. Et je souhaite à tous les citoyens de s’énerver contre les logiques de marchandisation de l’humain qui sont mises en œuvre, dans le joli discours paradoxal des bonnes pratiques où nous ne sommes jamais assez bons ni performants ! S’ils sont des marchandises, si la Shoah n’a rien appris à notre génération, TUEZ les tous, les fous, les vieux et les malades. Les enfants, les femmes et les hommes. Tuez-les comme vous tuez les animaux, les ressources, sans jamais nous entendre. Tuez le vivant, et qu’on n’en parle plus !

Arrêtez de nous faire le coup de « Français encore un effort », Humains, encore un effort. Un effort pour une république qui n’en n’est pas une ? Un effort pour un discours mensonger ? Le trou de la sécu, la réforme des retraites, le fric qui manque ? Travaillez plus, travaillez, ne pensez qu’à ça, au détriment de vos vies ? Et quand vous avez bien travaillé, servi l’économie, devenu vieux, croupissez dans votre détresse ? Vos problèmes de peau souillée par l’urine, vos escarres, votre cerveau qui déconnecte ? Et comment ne déconnecterait-il pas face à autant d’ignominie ?

Modérez mon propos, en forme de « j’accuse style Zola, ce n’est pas vous personnellement qui faites cela, mais c’est la logique utilitariste qui nous mène là. Je m’adresse à vous, je vous interpelle, car ce gouvernement pourrait agir, je ne vous accuse pas personnellement.

Je sais comment on manipule les gens en les décervelant avec « l’opium du peuple ». Mais chaque être rencontré, et j’en rencontre beaucoup, est créatif. Beau dans sa singularité. Mais serf de ce qui s’édicte comme normes sociales. Ceux qui les contestent sont, limite comme on dit sous Poutine, des terroristes.

A Villejuif aussi on les traite de terroristes, alors qu’ils dénoncent un dérèglement mortifère dans l’accompagnement de gens ayant besoin de temps, de confiance, les psychotiques, ça vous dit quelque chose ?

On passe à l’acte quand on n’est pas entendu. Ils savent très bien le faire, eux.

J’en ai assez de cet irrespect du vivant et de son nivèlement pour des prétextes que je dirai, furtifs, comme les instruments de l’armée.

Ecoutez donc Franck Lepage. Madame la Ministre, et vous ce gouvernement pour lequel j’ai engagé ma voix de citoyenne, vous me décevez. Gravement.

Et que Valls la ramène pas, je suis fille de réfugiée Catalane, dont le père, anarchiste espagnol est mort dans un camp. Alors, là, les reconductions à la frontière…

Oui, le bordel est mondial. J’en suis consciente. Mais si personne ne fait levier pour ramener le navire dans un cap de survie, on se laisse couler ? Si tous les cris d’alarmes ne sont que des cris de contestataires, d’artistes ou d’allumés, on dévalue aussi la parole et on trafique le langage.

Mais la base, énervée, pourrait bien foutre le bordel pour inciter les gouvernements à plus de jugeote.

J’ai 50 ans, je suis psychologue, je ne suis pas une « allumée », j’ai les pieds sur terre, et vous savez quoi ? Grâce à cette politique mondiale de cons que vous tous vous menez, ma petite entreprise connaît pas la crise ! Je pensais œuvrer à l’amélioration du système en adoptant cette voie de « l’insertion » mais là, franchement, je renoue avec mes quinze ans. Ouvrir ma gueule et interpeller une république qui brade ses citoyens au nom de la rentabilité et du profit en bafouant la dignité, ça m’apparaît la seule solution : me désolidariser de la ligne de l’Etat et être solidaire de mes frères, bref : Resistance et désobéissance civile.

Je sais que vous avez des lettres et de la culture et que vous voyez précisément à quelle éthique mes paroles renvoient. Des auteurs que vous pouvez retrouver sur France Culture ou dans toute bonne médiathèque. Genre Lévinas, vous voyez ?

Socialisme ? Quand je parle de dévaluation du langage, j’en vois là toute la portée ! Où elle est la politique sociale ?

Recentrez vous, vous êtes dans le mur ! Je ne suis pas la seule à m’irriter, et cet appel m’a interpellée, je vous en livre quelque extraits. L’intégralité est sur : http://jerpel.fr/spip.php?article287

Catherine Knockaert, gérante de l’EHPAD (Etablissement pour personnes âgées dépendantes) « les jardins d’Eléonore » à Saint-Jean-Le-Blanc dans le loiret

« Pratiquement cela signifie que vos services considèrent qu’un établissement de 70 résidents fonctionnant jour et nuit et 365 jours sur 365 peut être bien traitant avec un ratio de personnel qui oblige à confier à chaque aide soignante le soin quotidien de 15 à 16 résidents ! Ce n’est pas sérieux. Cela laisse en tout et pour tout 16 minutes par résident pour aider au petit déjeuner, faire la toilette, habiller et refaire le lit ! On nous accorde pour cette seconde convention 2 ETP d’aides soignantes correspondant aux remplacements « oubliés » en 2003 ; ceci en 2009, et 1 ETP supplémentaire d’aide soignante en 2010. Nous aurons donc à terme 16 ETP d’aides soignantes dont 2 ETP de remplacement c’est-à-dire 14 postes (2 de nuit et 12 de jour c’est-à-dire 2 équipes de 6 alternant auprès de nos résidents). Cette situation est encore totalement irréaliste puisque nous en sommes désormais à un ratio d’une aide soignante pour assurer les soins quotidiens de 11 à 12 résidents ; ce qui est encore beaucoup trop élevé. De tels ratios engagent directement la responsabilité de l’Etat, car ils sont mal traitants pour les résidents et pour le personnel.

Evidemment les établissements ne peuvent être à ce point irresponsables. Heureusement pour nous, les prix de journée hébergement étaient en 2003 suffisants pour permettre de financer les postes indispensables pour n’être mal traitants ni pour les résidents, ni pour le personnel. Mais comment donc font ceux qui dépendent à 100% de décideurs irresponsables ? ….

Plutôt que de disserter sur la maltraitance, l’absence de maltraitance ou la bientraitance très tendance actuellement au ministère, nous engageons les responsables de la politique de médicalisation des EHPAD à venir eux-mêmes dans notre établissement afin de prendre connaissance de nos contraintes et de la réalité du travail de nos équipes. Ce serait plus utile …pour promouvoir la bientraitance sur le terrain plutôt que sur le papier. Nous nous proposons comme terrain de stage.

Il est inexact de dire que la France manque d’argent. Dans notre secteur d’activité comme ailleurs l’argent public est dilapidé par ceux qui devraient le gérer et veiller à sa bonne utilisation. La preuve de l’inefficacité de nos gestionnaires publics est leur volonté de faire gérer à leur place le coût de la dépendance, et même les soins médicaux, par les EHPAD. … Qui ne fait pas son travail ? On nous promet la gestion des médicaments pour l’an prochain. Les mêmes causes produiront les mêmes effets puisque nous, nous gérons. Toutefois les seuls EHPAD ne redresseront pas les comptes de la sécurité sociale. Nous assumons nos responsabilités et faisons des efforts d’adaptation permanents ; nous souhaiterions ne pas être les seuls dans ce cas. En outre, nos ratios actuels de personnel (ceux que nous nous sommes donnés, pas ceux que nous alloue la convention tripartite) , s’ils nous permettent une prise en charge soignante de qualité, sont insuffisants pour mettre en œuvre une véritable politique de prévention qui nécessite un suivi de nos résidents incompatible avec le temps dont disposent nos personnels (bien manger plutôt qu’avoir recours aux compléments alimentaires, bouger, être entouré, ne pas prendre de traitements inutiles…). Pourtant seul un encadrement suffisant peut donner à nos résidents envie de vivre malgré leurs handicaps. Or, l’envie de vivre est la meilleure des thérapeutiques. Nous… demandons que l’Etat ne se dérobe pas à ses responsabilités. »

*

Et je rajoute : comment voulez-vous que « le peuple » vous élise encore une fois ? Vous avez écœuré les plus fidèles par votre manque de vigueur, par votre consensus. Par votre manque d’action et de pertinence. Par votre soumission aux dictats du libéralisme et de l’argent, au détriment de l’humain. Par votre absence de combativité pour les valeurs que vous annonciez. Vous avez trahi. Vous ne valez pas mieux que les gouvernements de droite. Et ça nous énerve. Le « peuple », modelé par une culture qui décérébralise, depuis qu’existent les programmes télé débilitants votera FN. Et oui, vous en serez, comme les autres, les artisans du désastre. Et affreusement responsables, car une partie du peuple de la gauche votera FN. Pas moi, soyez-en rassurée, ce n’est pas une menace d’intention de vote, mais juste une analyse de ce que j’entends.

On ne se présente pas sur une liste électorale en faisant des promesses non tenues et en disant, après coup : « ah, j’ai pas le choix. » Non, on fait levier et on se bouge le c**, on se remue, on prend des risques, on chamboule, parce qu’on a eu la confiance des votants, qui ont espéré… cru au changement et on le fait, même si on est dans l’adversité. Ce qui veut dire s’engager et tenir sa parole. On appelle à la solidarité. Là, vous appelez à l’inhumanité et à l’esclavage.

Là, faut vous réveiller, cousins ! Le peuple de l’ombre, le peuple de la santé et du médico social vous dit qu’une chose, Madame le Ministre, s’ils coutent trop cher, si nous coutons trop cher : qu’on crève, vous embarrassez pas. Liquidez l’affaire. Et mes cotisations URSSAF, en tant que libérale, faudra vous gratter pour me faire croire qu’elles servent à une politique sociale. Et mes impôts aussi. L’argent que je vous donne ne sert qu’à nourrir l’argent, à l’heure actuelle.

Et moi, ce que je donne, je veux que ça aille à mes frères. Fraternité, vous vous souvenez ? Mon fric vous l’aurez plus. Je vais donner aux associations.

Cordialement et consciente que votre tâche n’est pas facile. Mais jouez pas les Caliméros, c’est vous toute seule qui vous êtes foutue dans le merdier où vous êtes maintenant interpelée. Avec vos potes. Vu la situation mondiale, je suppose que vous avez misé sur une grosse inertie des peuples. Mais il y a des alternatives aux romans de SF. Bon courage.

Et je reconnais qu’une chose est encore tolérée en France : l’ouvrir et ne pas disparaître le lendemain. On s’appelle des pays développés, où la liberté de parole est tolérée, et même admise. Une grosse chance ! Voyez, tout n’est pas si sombre… Sauf que notre parole, c’est du vent, car elle est dévaluée.

Je souhaite à tous les humains de prendre la parole et de la porter, contre vents et marrées ! Salutations à François…


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