Lettre ouverte aux journalistes : à quand la fin de la Djihad Académie ?
par Laurent Herblay
jeudi 19 novembre 2015
Des visages de jeunes hommes, souvent souriant, qui s’étalent dans les média. Des récits de leur vie, des interviews de leurs proches, des vidéos de réseaux sociaux où ils se mettent en scène reprises jusque dans les journaux télévisés. Les participants au dernier casting musical télévisé ? Non, les terroristes qui ont décimé les rues de Paris vendredi. Réflexion sur une dérive médiatique.
Exhibitionnisme et sens de la mesure
Bien sûr, la large diffusion des photos d’un terroriste en cavale peut permettre son arrestation. Et, à ce titre, elle est légitime. Mais même si cela intéresse et buzze, quel est l’intérêt de diffuser si largement les photos, souvent insouciantes, d’assassins sanguinaires ? Bien sûr, il n’est pas inintéressant, pour notre société, d’essayer de comprendre ce qui peut amener ces jeunes, souvent passés par l’école de la République, à se transformer en monstres criminels. Mais au final, surtout dans de telles circonstances, ces « informations » sont relayées le plus souvent à plat, sans toujours de remise en perspective, d’une manière étonnamment proche de celle dont les émissions de télé-réalité présentent leur candidats. En somme, ils sont présentés comme les héros de ce qui serait la Djihad Academy.
Le plus effarant, pour ne pas dire écœurant, était la diffusion de vidéos, certes floutées, de celui qui serait l’organisateur de ces attentats, tout sourire, rassemblant des cadavres qu’il transporte. Et finalement, on se demande quel est l’intérêt de diffuser de telles images, qui, si elles sont profondément révoltantes pour la grande majorité de ceux qui les voient, pourraient aussi représenter une forme de promotion de la vie au sein de Daech, présentée d’une manière assez troublante. Quel est l’intérêt réel de diffuser ces images, si ce n’est le buzz et l’audience ? Au final, j’ai un peu l’impression que cela revient, quelque part, à présenter les djihadistes comme des héros des temps modernes, même s’ils sont les méchants, d’autant plus qu’ils sont souvent présentés de manière un peu trop neutre.
Des ruisseaux et du fleuve terroriste
Plus globalement, même s’il est bien évident que ce n’est pas ce traitement médiatique seul, qui explique qu’ils aient fait les choix qu’ils ont faits, ni même que ce soit un facteur majeur de leur dérive vers l’horreur, on peut quand même se demander si cela ne joue pas quand même un petit rôle. En effet, dans un monde individualiste, qui a perdu le sens du collectif, la télévision expose des exemples de réussites individuelles dans ses émissions, au point que certains finissent par reproduire cela sur les réseaux sociaux, où l’on peut être le héros d’une vie plus ou moins amendée. Et il est tout de même frappant de constater à quel point ces jeunes djihadistes jouent avec les codes de la communication moderne et il devient très troublant que les médias diffusent leurs vidéos d’auto-promotions.
En effet, dans une société dure où certains ont du mal à trouver leur place (notamment ceux qui finissent par gonfler les rangs des djihadistes), n’offrons-nous pas, à notre insu bien sûr, une forme de médiatisation très malsaine à la communication de Daech ? Ce traitement médiatique ne normalise-t-il pas un peu ce qui ne devrait pas l’être, d’autant plus que ces images ou vidéos peuvent peut-être donner envie, les djihadistes ne semblant pas malheureux. C’est notamment le cas du commanditaire supposé des attentats : les images que l’on diffuse de lui ne le présentent-elles pas un petit peu comme un Che Guevara moderne ? Ce faisant, Daech offre aux candidats au djihad un cadre communautaire et aussi une forme de réalisation individuelle, à travers les réseaux sociaux, surtout quand on les reprend.
Voilà pourquoi, dans notre société un peu myope, et malgré toutes les difficultés du métier de journalistes, que je reconnais bien volontiers, je pense que nous devrions adopter beaucoup plus de mesures dans la diffusion de certaines informations, les noms, les photos ou les vidéos des terroristes. Ne nourrissons-nous pas le mal en starifiant de la sorte les terroristes, au point de favoriser marginalement le recrutement de djihadistes en mal de reconnaissance ?
Je publierai demain la suite du papier d’hier