Leur rapport de stage
par C’est Nabum
jeudi 20 décembre 2012
En direct de ma Segpa
Vidéo qui atteste que je n'invente pas :
La trace écrite, la corvée dramatique.
Pour nos élèves, revenir de stage est un délicieux moment. Il y a le plaisir des retrouvailles, la rupture avec ce rythme si épuisant de l'entreprise, le retour aux bonnes vieilles habitudes du collège. Tout serait pour le mieux si pour les professeurs il ne fallait rendre compte par écrit de son expérience professionnelle. Et là, la corvée commence…
Nous passerons sur la présentation orale qui a fait l'objet d'un billet précédent. Les progrès furent sensibles et je m'en réjouis. Hélas, l'écrit atteste une fois encore le mal profond qui touche la plupart de mes élèves. C'est si compliqué pour eux que d'ailleurs sept d'entre eux ont « oublié » ce document incontournable et que trois autres plus honnêtes reconnaissent ne pas l'avoir rempli. Que faire ? Attendre qu'ils daignent répondre à cette nécessité pour leur examen final ?
Quant à ceux qui ont apporté ce document, je dois reconnaître mon découragement devant l'indigence des notes et des commentaires. La description d'une journée type relève de la farce, à croire qu'il ne se passait rien alors que nous savons par nos visites qu'ils travaillaient sérieusement. Écrire ce que l'on fait est une épreuve redoutable. Il faut de la distance et une bonne maîtrise de la langue. Au lieu de quoi, je récolte une flopée de « Faire » qui me désespère et de descriptions qui relèvent de l'encéphalogramme plat....
Puis vient la demande qui me semble la plus simple : « Décrivez une activité au choix ! » C'est encore pire, les différentes opérations sont mélangées, les notions de matériel et matériaux utilisés ne sont absolument pas comprises et le mode opératoire échappe à toute logique. Même avec leurs explications, je ne parviens pas à restituer l'action. Ils ne savent d'ailleurs plus eux-mêmes ce qu'ils ont pu mettre en œuvre à ce moment donné déjà si lointain ...
Je constate alors la faillite de notre système éducatif. Les élèves ne donnent plus de signification à ce qu'ils font. Ils subissent au jour le jour des activités qui s'empilent les unes aux autres sans aucune cohérence, sans lien réel. Ils sont les spectateurs passifs d'une formation qui ne les concerne guère. La bataille du sens a depuis belle lurette été perdue.
J'ai pourtant essayé de mobiliser leur capacité d'imagerie mentale, cet outil indispensable à la compréhension d'une action et dont on ne parle jamais dans notre belle maison. J'ai hélas bien plus appris de mes stages de formation dans le monde sportif qu'au sein des gentils rassemblements de cette Éducation Nationale où devenir « Formateur » est souvent une bonne manière d'échapper à la terrible réalité de nos classes…
Il me faut alors faire un retour individuel pour obtenir la description détaillée d'une action qu'ils ont peut-être reproduite des centaines de fois. C'est encore à moi à mettre en mot les « trucs » et les « machins », les « faire » et « refaire » qui émaillent leur description. Ce sera mon rapport et non le leur, j'en ai bien peur.
Je ne me fais aucune illusion, les consignes sont formelles : le rapport ne doit faire que six pages avec obligatoirement un CV et une lettre de motivation. On entérine en haut lieu la médiocrité ambiante et on se refuse à regarder la vérité en face. Il faut plus de quatre vingt pour cent de réussite, alors, n'ayons aucune exigence ! Je ne peux accepter cette mascarade et je leur demande un effort de formalisation qui n'est pas de mise ici.
Je passe bien vite les rubriques dérisoires tant elles n'ont aucun sens pour eux : l'organigramme de l'entreprise est à ce titre le paradigme de la demande scolaire dénuée de connaissance réelle de leur problématique. Hiérarchiser, organiser, distinguer sont des compétences qui leur échappent totalement. Ils vivent dans un vaste brouillard qui éloigne tout ce qui peut structurer une société.
On leur demande également les qualités requises pour effectuer le métier. Je vous dispense de la liste ridicule de leurs réponses. Une fois encore il faut reprendre leur expérience, leur demander ce qu'on a exigé d'eux pour qu'arrive enfin une liste plus précise de savoir-être : disponibilité – politesse – résistance – persévérance – adresse – réflexion – autonomie – initiative – soin – courage – force – réactivité - … Là encore, les mots manquent et il est nécessaire de les leur glisser à l'oreille. Faut-il que nous ayons échoué sur toute la ligne pour que rien de tout cela n'émerge spontanément ?
Il y a encore le questionnement sur les difficultés rencontrées. Là, c'est toujours la même réponse : « Aucune ! » Nos chers élèves immergés pour la première fois dans le monde du travail n'ont eu aucune difficulté, c'est du moins ce qu'il faudrait croire. C'est à la fois le résultat de l'effacement systématique des échecs et des erreurs dans notre pédagogie, c'est encore le refus de se remettre en cause si cher à une société sans aspérité.
Puis arrive le terrible moment du déchiffrage et de la correction orthographique. Là, je dois admettre que les dégâts sont au-delà de l'imaginable. Dyslexie et dysorthographie sont au programme, la grammaire est aux abonnés absents, l'usage des langages codés et simplistes n'a rien arrangé. Nous avons grand-peine à comprendre et parfois à lire des productions cabossées par une scolarité qui n'a pas rempli sa mission première : apprendre à lire et à écrire.
Je suis aussi un rouage de cette immense chaîne de responsabilité qui conduit à ce désastre. Je me bats chaque jour pour que ces acquis incontournables dans la vie soient pansés à défaut d'être guéris. Mais que restera-t-il de mes efforts face à la machine à broyer les cerveaux humains ? Je crains parfois de me battre contre des moulins à vent. Vivement les vacances !
Rédactionnellement leur.