Liberté d’importuner et capacité à débattre sereinement

par Laurent Herblay
mardi 16 janvier 2018

La tribune de 100 femmes défendant une « liberté d’importuner  » a déclenché une belle polémique (et des dérapages de certaines de ses co-signataires), jusqu’à l’étranger où certains ont souligné, admirativement, que seule la France pouvait s’attaquer à #moiaussi. Malheureusement, la polémique est tellement vive qu’il est souvent très difficile de sortir d’un débat en noir et blanc.

 

Importuner ou draguer n’est pas harceler
 
Je pense démontrer depuis plus de dix ans un souci de la condition féminine et n’avoir jamais donner prise à la moindre critique venue de féministes. J’essaie de ne me prononcer sur un sujet qu’après y avoir assez réfléchi et je ne me soucie que du fond, sans me soucier des personnes qui défendent les idées auxquels je crois, comme je l’ai montré en défendant par exemple le mariage pour tous. Si je ne me définis pas comme un libéral, je ne me pense pas non plus anti-libéral, l’époque tendant trop souvent à mettre en place une liberté excessive pour les plus forts et de plus en plus restreinte pour les autres. Si en 2013, je m’étais opposé aux défenseurs de la liberté d’aller aux putes, cette fois-ci, je rejoins la prise de position d’Elisabeth Lévy, une des principales signatrices de la fameuse tribune.
 
Sur les réseaux sociaux, un très ancien commentateur du blog a exprimé sa déception à l’égard de ma prise de position, affirmant que « cette tribune fait l’apologie des agressions contre les femmes », qu’elle ferait « du harcèlement quelque chose de carrément souhaitable », qu’elle viserait à « faire taire les femmes qui dénoncent les harceleurs et les agresseurs », allant jusqu’à faire de la publicité à des personnes évoquant carrément une « apologie du viol ». J’ai lu et relu cette tribune et je ne vois toujours pas ce qui permet de faire de telles affirmations. Comme écrit vendredi, les signataires commencent au contraire par rappeler que « le viol est un crime » et se réjouir « de la légitime (et nécessaire) prise de conscience des violences sexuelles exercées sur les femmes  » après l’affaire Weinstein.
 
Bref, comment oser évoquer une « apologie du viol  », ou même des agressions, ou affirmer qu’elles visent à « faire taire les femmes qui dénoncent les harceleurs  » ? Cela n’a aucun sens sachant que cette tribune juge légitime et souhaitable la prise de conscience des violences sexuelles exercées sur les femmes. Comme bien vu par Marianne, sans épargner les dérapages regrettables de certaines signataires, cette tribune pose des questions parfaitement légitimes, du caractère expéditif de la justice médiatique moderne, ou des excès poussés par certains, qui pourraient aboutir à refuser la moindre drague. Ce faisant, elles dénoncent un excès de puritanisme qui pourrait dessiner une frontière excessivement sévère entre harcèlement et une simple « drague maladroite qui n’est pas une agression sexuelle  ».
 
Après tout, ce n’est pas parce que l’on se réjouit de cette libération de la parole et que l’on souhaite tout faire pour mettre fin à ces agressions que l’on ne peut pas s’interroger sur la frontière à mettre et s’inquiéter que l’on mette une frontière trop restrictive. Pourquoi un tel débat ne serait pas légitime et pourquoi faudrait-il l’accueillir d’une telle manière, en accusant les signataires de la tribune de propos qu’elles n’ont absolument pas tenus  ? Encore une fois, le débat se crispe excessivement, rendant impossible de voir les nuances de gris, comme si la réalité devait forcément être noir ou blanc. Heureusement, certaines réactions à l’étranger sont beaucoup plus apaisées et positives pour cette tribune.
 
 
Malheureusement, le débat moderne se limite trop souvent à des caricatures et des clashs bien superficiels, comme le montre la réaction de Causette. Quelques jours après, je persiste à penser que cette tribune est parfaitement légitime, que son propos est beaucoup plus équilibré que ses détracteurs ne le disent et pose des questions extrêmement actuelles sur l’évolution de nos sociétés.

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