Mariage pour tous… ou adoption pour tous ?

par Sylvain Rakotoarison
jeudi 18 avril 2013

Depuis mercredi 17 avril 2013, la discussion sur le mariage des couples de même sexe revient à l’Assemblée Nationale en seconde lecture après l’adoption du projet par les sénateurs en première lecture le 12 avril 2013.



La sénatrice UDI de Paris Chantal Jouanno, dans l’opposition mais favorable au projet du "mariage pour tous", a eu raison, le matin du 16 avril 2013 sur Public-Sénat, de s’inquiéter du climat délétère autour de cette réforme sociétale du Président François Hollande. Ces derniers jours, des mots très durs ont été prononcés qui font honte à l’esprit républicain (certaine personne parlant même de réclamer du sang !).

Pour autant, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, en pleine affaire Cahuzac, n’a pas joué l’apaisement en accélérant le rythme parlementaire. Il veut en finir le plus rapidement possible, avant le dimanche 5 mai 2013 qui promet d’être chaud dans les rues de Paris (le vote en seconde lecture devrait avoir lieu le 24 avril 2013 à l’Assemblée Nationale, et si c’est exactement le même texte que celui voté en première lecture par le Sénat, l’adoption sera alors définitive), et on peut le comprendre puisque les opposants sont capables de fortes mobilisations depuis janvier avec deux grandes manifestations qui ont rassembler autour d’un million de personnes les 13 janvier et 24 mars 2013.

L’ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin (sénateur UMP) a, lui aussi, raison de demander au gouvernement un geste d’apaisement pour éviter d’enflammer des éléments communautaristes incontrôlables. L’idée n’est évidemment pas de faire le chantage de la rue (nous sommes en démocratie et les parlementaires ont la légitimité de voter les lois que la majorité souhaite) mais de dépassionner le débat et de "décliver" la société. Ce thème du mariage et de la famille, comme celui de l’identité nationale sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, a brutalisé la cohésion nationale déjà fragile, parce que les citoyens se sentent concernés dans leur part la plus intime.



S’il y a colère, c’est surtout parce que le sujet principal, en fait, ne porte pas sur le mariage mais sur les droits de filiation et sur l’adoption par les couples homosexuels. Or, selon les sondages récents, si l’opinion publique semble encore à peu près d’accord sur le principe du mariage des couples homosexuels, elle est désormais majoritairement opposée au principe d’adoption.

Mais l’adoption n’est pas la seule en cause. Même si ce n’est pas inclus dans le projet actuel, il est prévu d’en parler encore sur une autre loi sur la famille, beaucoup de députés de la majorité sont favorables également à la PMA pour les couples homosexuels. Et au moins un élément majeur dans le financement des campagnes socialistes est favorable à la GPA, en clair, à la location de l’utérus, à savoir, à la marchandisation de l’être humain. La proposition de loi sur l’expérimentation sur les embryons humains (qui a capoté le 28 mars 2013 au Palais-Bourbon) va également dans le même sens, un sens bizarrement bien plus ultralibéral que le gouvernement socialiste ne veut bien l’avouer.

Lors de la discussion sur le PACS (loi n°99-944 du 15 novembre 1999), à savoir reconnaissance formelle des couples homosexuels, la Ministre socialiste de la Justice, Élisabeth Guigou, la main sur le cœur, annonçait qu’au grand jamais, ce PACS n’annoncerait de changement ultérieur dans le droit de la famille et de l’adoption : « Parce que le droit, lorsqu’il crée des filiations artificielles, ne peut ni ignorer, ni abolir la différence entre les sexes (…). Je veux être parfaitement claire : je reconnais totalement le droit de toute personne à avoir la vie sexuelle de son choix. Mais je dis avec la plus grande fermeté que ce droit ne doit pas être confondu avec un hypothétique droit à l’enfant. (…) Je soutiens comme de nombreux psychanalystes et psychiatres qu’un enfant a besoin d’avoir en face de lui, pendant sa croissance, un modèle de l’altérité sexuelle. » (Assemblée Nationale le 3 novembre 1998).

Aujourd’hui, quatorze ans plus tard, les socialistes, toujours la main sur le cœur, annoncent que le "mariage pour tous" (qui est en fait le droit à l’adoption pour tous) est une finalité et pas une étape vers la PMA (qui sera peut-être votée fin 2013 ou en 2014 ?) et encore moins vers la GPA (qui sait dans dix ans ?). Jusqu'où ira-t-on ? On fustige avec raison le mensonge de Jérôme Cahuzac, mais que dire de ces mensonges la main sur le cœur devant la représentation nationale ?

Il y a pourtant un principe simple, fondamental, que pour l’instant, les progrès de la médecine sont incapables d’éviter, c’est qu’un bébé ne peut naître que d’un père et d’une mère. Biologiquement, c’est un fait, têtu, implacable. Refuser ce principe profondément injuste (eh oui, il faut un homme et une femme pour procréer), c’est refuser la réalité biologique.

Cela me fait penser à une fausse conférence de presse de François Mitterrand en automne 1984. Écrit par l’humoriste Bernard Mabille, le célèbre imitateur Thierry Le Luron proposait ainsi à son auditoire, sous les traits présidentiels de l’homme de Latché, pour réduire les déficits publics, de réduire la durée de la grossesse de neuf mois à six mois. C’est un peu cela que la majorité parlementaire veut décider, changer les règles de la nature. Arbitrairement. Artificiellement. Simplement parce qu’elle est majorité parlementaire pendant quelques années.



Il ne faut pas non plus se faire d’illusion sur les possibles retours sur cette loi : une fois promulguée et surtout, appliquée, cette nouvelle loi ne pourra jamais être remise en cause, même par une autre majorité dans une autre législature. Ceux qui auront bénéficié de cette loi devront bien être respectés par la République. Impossible donc de revenir en arrière.



Cette adoption d’enfant par des couples homosexuels n’est d’ailleurs pas une lubie de progressistes en mal de créativité. Elle répondrait aussi à un besoin réel, celui d’enfants qui vivent déjà au sein d’un foyer composé d’un couple homosexuel et qui ont besoin d’être sécurisés dans leur avenir et dans leur éducation (notamment en cas de décès ou de séparation).

Mais cet enjeu n’est pas valable seulement pour les couples homosexuels : tous les couples ont ce problème, et pas seulement les couples mariés. La complexification des relations affectives, les recompositions familiales, font qu’il existe maintenant beaucoup de demi-frères ou demi-sœurs et qu’il existe aussi beaucoup de "beaux-parents", pas dans le sens "parent du conjoint" mais "conjoint du parent".

Si le gouvernement voulait réellement répondre à un sujet essentiel dans la société actuelle, c’est-à-dire, adapter le corpus législatif à l’évolution actuelle des mœurs (qui est ce qu’elle est, sans la juger mais en cherchant à bien l’analyser), il ne proposerait pas ce "mariage pour tous" avec ces droits à l’adoption qui ne concernerait que quelques dizaines de milliers de cas tout en révolution tout le droit de la famille. Il proposerait une nouvelle sorte d’adoption, une troisième sorte (il en existe actuellement déjà deux).

Cette adoption serait ainsi spécifique. Elle pourrait s’appliquer au beau-parent pour l’enfant du conjoint qui vit chez lui et qu’il éduque par la force des circonstances (quelle que soit la sexualité des adultes du foyer, l’État devrait se moquer de ce qui se passe dans les chambres à coucher ; et quelle que soit leur situation matrimoniale). Cette adoption ne remettrait pas en cause les droits de l’autre parent (biologique ou même adoptif d’une précédente union) qui ne vit plus avec l’enfant.

À une situation spécifique (sans rapport avec la sexualité), celle des familles recomposées, une adoption spécifique, celle adapté à un beau-parent qui doit être capable d’assumer la responsabilité éducative quotidienne et qui, en cas de séparation, pourra demander, autant que les deux autres parents déjà séparés, la garde de l’enfant, selon le principe de l’intérêt de l’enfant (intérêt et, en fonction de l’âge, choix de l’enfant).

Bref, ce sujet, très complexe et que je ne souhaite évidemment pas réduire à quelques phrases, aurait mérité un véritable débat, qui concernerait toute la société (plus d’un enfant sur deux est né hors du cadre conjugal) et n’aurait pas été l’otage de groupuscules minoritaires et identitaires qui n’ont jamais cherché l’intérêt général mais seulement catégoriel.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 avril 2013)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Deux papas ?
L’embryon humain comme matériau d’expérimentation ?
François Hollande.
Affaire Cahuzac.

Texte du projet de loi (site de l’Assemblée Nationale).
En route vers le trouple pluriparental (21 mai 2012).
Projet de loi inutile : la réponse est dans le Code civil (18 novembre 2012).
Réflexion avisée de Hervé Torchet.
La délégation partage de l’autorité parentale existe déjà pour les couples homosexuels (7 janvier 2012).
Le premier mariage lesbien (à Nancy en juin 2011).
L’homosexualité malmenée en Afrique.
Mariage gris.
Mariage nécrophile.
Mariage annulé pour musulman.
Le coming out d’une grande star du journalisme.

(Les deux tableaux sont de Pablo Picasso).


 


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