Métro parisien : L’axe des communautés disparates (1)

par Georges Yang
samedi 16 mai 2009

Ligne 2 :

Nation – Porte Dauphine

De la place de la Nation à la périphérie du luxueux XVI° arrondissement, la ligne 2 traverse les quartiers les plus populaires de Paris. Elle se distingue par son réseau aérien long de quatre stations permettant une vue tant sur le bassin de la Villette, la Rotonde, qui faillit bien être rasée lors de la construction du viaduc, et le Sacré-Cœur, que sur les devantures de TATI. Mais ce qui fait la curiosité de cette ligne, c’est la diversité nulle part égalée de communautés et de rassemblements ethniques qu’elle franchit. Passer en quelques centaines de mètres de China Town, à Little India ou à la mixité afro-arabe de Barbès est une expérience qui ne se retrouve nulle part ailleurs en France. Nombreux sont les voyageurs qui descendent non là où ils sont nés ou vivent, mais à l’endroit où ils vont retrouver un peu de chez eux dans les commerces et l’environnement urbain.

La ligne 2 est moyennement saturée, septième du réseau, mais avec des pics aux heures de pointe et un entassement souvent proche de la saturation. Ouverte entre 1900 et 1903, environ 95 millions de voyageurs y transitent par an sur ses 12,400 kilomètres, Belleville et Barbès étant les stations les plus fréquentées.

Nation :


La place de la Nation est aussi la place des Antilles, une place sans Antillais en dehors du jour du carnaval.

La Nation, connue pour ses rassemblements populaires et protestataires lors des grands défilés qui viennent de la Bastille, ses cortèges de manifestants plus courroucés que syndicalisés, est le passage obligé de ceux qui vivent en banlieue Est. En surface, en dehors des journées de contestation, il ne se passe guère. L’endroit était surtout connu pour les marcheuses du Cours de Vincennes et les statiques de la place qui attendent le client, assises sur un banc public. La traque policière et les mœurs les rendent moins visible depuis que Sarkozy a oeuvré à l’Intérieur et la place est devenue le point de ralliement furtif de conducteurs de vans immatriculés en Ukraine ou en Moldavie attendant des voyageurs venus récupérer leurs valises et autres bagages qui auraient souffert d’un passage à la douane.


La première communauté ethnique qui s’échelonne tout au long de la ligne 2 est celle des juifs entre le Boulevard Voltaire et Charonne récemment mise en exergue après la pitoyable entreprise criminelle du « Gang des Barbares » qui abouti au meurtre d’un jeune homme. Une des six communautés israélites de Paris, ni la plus ancienne (le Marais, puis Belleville), ni la plus importante en nombre (les Buttes Chaumont).

L’affaire a stigmatisé les antagonismes communautaires bien avant les affrontements entre juifs et noirs dans le quartier des Buttes Chaumont. Et pourtant, en dehors du meurtre des « barbares », les incidents sont plutôt rares dans le quartier et ne méritent pas tant d’alarmisme.

Les juifs, surtout sépharades, sont présents à Voltaire depuis la fin de la guerre d’Algérie et passaient totalement inaperçus jusqu’au regain identitaire dans la communauté.


Avron :


Les Portugais du plateau d’Avron sont arrivés massivement à partir des années 60, remplaçant peu à peu les Espagnols et les Italiens qui y vivaient au début du XX° siècle. L’auberge de Marie Myriam en est le plus prestigieux fleuron, mais de nombreux établissements lusophones y prospèrent en plus de discrétion.


Père Lachaise :


Le cimetière draine quotidiennement son lot de touristes nécrophiles, amateurs de vielles sépultures, de lieux émouvants et attractifs. Le gisant de la tombe de Victor Noir, à la voussure protubérante de son hypogastre captive les amateurs d’érotisme funéraire. La patine du bronze a depuis longtemps disparu de sa bouche et de ses organes nobles, tant s’y étant frottés avec amour et passion.


Par contre, la stèle en granit d’Allan Kardec attire des âmes en mal de spiritisme. Elle ne donne pas à des débordements sensuels, mais à de la piété, de l’espérance de ceux qui attendent une intervention parallèle venue d’un au-delà compatissant.

Jim Morisson n’y gît plus mais son charisme est tel que même quelques Américains s’y laissent prendre et que déjà la deuxième génération de groupies vient méditer devant le cénotaphe du chanteur, espérant pouvoir y fumer un joint symbolique et fédérateur à l’abri des gardiens du cimetière, rodant dans les parages pour éviter les débordements. Seuls quelques excentriques nostalgiques viennent rendre hommage à Parmentier en déversant dévotieusement quelques tubercules sur sa tombe.


Les relents d’intérêt pour la Commune et le mur des Fédérés ne peuvent compenser le fait que le quartier n’a plus grand-chose de révolutionnaire et de contestataire.

Qui n’aime le funéraire évite le Père Lachaise. A moins d’y rechercher des veuves éplorées, tout de noir vêtues qui vous entraînent moyennant finance dans une chapelle ou un mausolée désaffecté pour vous y pomper funèbrement. Hélas, cette situation équivoque tient plus de la légende urbaine que de la réalité quotidienne et les amours furtifs sont de plus en plus risqués du fait de la vigilance accrue des gardiens du cimetière. Le Père Lachaise n’est pas le cimetière idéal pour la pratique du satanisme et de la messe noire, la surveillance y est trop intense pour permettre des égarements nocturnes au milieu des tombes.

Et depuis la fermeture de la prison de la petite Roquette, plus personne ne sort du métro pour aller visiter les détenus.


Ménilmontant :


Non, ce n’est plus Ménilmuch’, le Paris canaille des années trente de Maurice Chevalier et de la môme Piaf. Les artisans disparaissent et les caf’conc’ sont fermés depuis longtemps tout comme les ateliers, les fonderies et les porches n’abritent plus les travailleurs. Les bobos remplacent les populos à la vitesse du prix du mètre carré. La rue d’Oberkampf et ses alentours, qui virent les premiers émigrés européens juifs, italiens, espagnols et portugais, sont devenus le pré carré des nouveaux branchés.


Cependant, le demi de bière s’y maintient à des prix raisonnables. La première gorgée de bière est souvent la dernière pour une cohorte de fauchés qui a mal supporté le passage à l’euro et du demi de 10 francs à 2 euros 50 minimum dans les quartiers de pouilleux alors qu’il dépasse largement les 4 ou 5 euros aux terrasses de la ville bourgeoise. Dernier vestige, relent historique du temps où comme à la Courtille, le quartier, hors les murs était au-delà de la barrière d’octroi et servait un vin, une piquette plutôt bien moins onéreuse qu’intra muros.

 

La deuxième butte de Paris a perdu de son attrait et est boudée par les touristes qui lui préfèrent Montmartre et plus récemment la Butte aux Cailles, autre haut lieu de la Commune.

Ménilmontant, et oui Madame, Casque d’or est partie et ne reviendra plus, les blondes sulfureuses se font rares dans les rues de la butte. Quant aux apaches moustachus en gapette, ils ont fait place aux loubards et aux « racailles » les cités HLM des Amandiers.


Couronnes :


Malgré la pénétration progressive et insidieuse de Chinois qui arrivent à pas de loup depuis Belleville, Couronnes est encore le fief des communautés noires et magrébines. Longtemps implantés dans le quartier, dans des foyers de travailleurs comme celui de Fontaine au Roi ou dans de petits hôtels meublés, Africains et Arabe cohabitaient depuis des lustres. Le paysage vestimentaire et pileux s’est graduellement modifié au cours des années 90 avec l’implantation de mouvements radicaux islamistes, souvent salafistes, avec leurs lieux de cultes, leurs associations et leurs boutiques spécialisées.

Les Arabes qui buvaient des bières dans les bistros du coin se font rares et ont migré vers Belleville et Zorba. L’intégrisme les touche frontalement et la crainte d’être désavoués et couverts d’opprobre les envoie boire ailleurs ou les fait s’asseoir devant un thé tièdasse dans les cafés du coin. La lutte contre le tabagisme atteint les traditionnels fumoirs de chicha qui attiraient autant d’orientaux que de français du cru. Et ceux qui ne sont apeurés par la propagande anti-islamiste s’assoient désormais devant une pâtisserie orientale dégoulinante de miel. Ils ont été remplacés par des porteurs de barbes et vêtements traditionnels. Corans, posters de la Mecque et livres religieux fleurissent aux vitrines des librairies spécialisées tout au long de la rue Jean-Pierre Timbaud et la petite place devant la Maison des Métallos en voie de devenir « l’Esplanade de masquées ». Couronnes est probablement le seul endroit de Paris ou bien qu’encore rares, les femmes intégralement voilées, ne montrant de leur visage que le trait de leurs yeux quelquefois maquillés, ne sont pas outrageusement anachroniques et s’intègrent presque dans le paysage urbain. Bien plus qu’à Barbès, très commercial, multiethnique et multiconfessionnel, les alentours de Couronnes prennent des allures festives au moment du Ramadan. Les étals de sucreries, de laitages, de dattes indispensables à la rupture du jeûne foisonnent, encombrant les trottoirs d’un joyeux mélange de fidèles et d’occasionnels pratiquants. Les restaurants et cafés, d’ailleurs, baissent le rideau pendant les heures de restriction car n’étant fréquentés par des coreligionnaires, ils n’auraient point de clients.


Les Arabes ont certes encore la haute main sur les petits restaurants à couscous, l’épicerie, l’électroménager, les petits bazars et gâteaux à emporter. Activités qu’ils partagent avec les sépharades, se repartissent grossièrement entre juifs sur le trottoir nord et arabes sur celui du sud du boulevard. Une clientèle juive d’habitués prend la boukha et les olives en rêvant de la Goulette comme si le temps s’était arrêté aux années 60.

Tout près de la rue Ramponeau, on peut encore admirer les vestiges de l’épicerie juive du Grand Pardon, le film d’Alexandre Arcady où l’on voit un gang de « bédouins » étouffer allègrement un petit juif dans un tonneau d’olives. Cependant la cohabitation pacifique entre noirs, arabes et juifs sépharades ne date pas d’hier.


Belleville :


Les Chinois remplacent progressivement les Arabes et les Juifs du quartier. Jadis, c’est-à-dire avant la fin des années 70, juifs sépharades, pour la plupart originaires de Tunisie et commerçants arabes cohabitaient paisiblement le long du boulevard de Belleville. Les deux communautés subsistent, mais chaque fond de commerce qui ferme est désormais acquis par un asiatique et la physionomie des commerces change à vue d’œil. Par contre, l’ancienne communauté ashkénaze du haut Belleville décrite par Georges Perec a quasiment disparue. Reste le couscous kasher du Boulevard, rassemblement de nostalgiques de leur passé en Afrique du Nord.


Crise économique oblige, les biffins arabes vendant rogatons, guenilles informes et oripeaux se sont installés sur le terre-plein central du boulevard, juste à la sortie du métro pour y vendre rogatons et vieilles fringues à une clientèle encore plus dépourvue que les fourmis de la fable. La police les chasses, mais ils reviennent inéluctablement.

L’Ambiance reste malgré tout bon enfant et beaucoup mois criminogène qu’une certaine presse veut bien le faire croire. Le coup de couteau n’y est pas facile à Belleville.


En dehors des fêtes du nouvel an chinois, les Asiatiques sont très discrets mais de plus en plus visibles à Belleville. Les restaurants foisonnent depuis que le Président a remplacé les Galeries Barbès et son buffet campagnard un peu chiche qui attirait en soirée les ménages modestes en quête de mobilier bon marché.

L’arrivée des asiatiques marque aussi le retour en force de la viande de porc, qu’elle soit laquée dans les restaurants ou aux étals des boucheries.

Entre mosquées et synagogues entre Couronnes et Belleville, la consommation porcine était auparavant réduite à la portion congrue.

Diverses sont les communautés asiatiques. Les Chinois de Wenzhou, terre d’immigration d’excellence de laborieux et discrets travailleurs, y sont nombreux et se réunissent comme les juifs dans des établissements d’élection où ils se sentent à l’aise. Ils côtoient d’autres Chinois venus plus tardivement de régions diverses et depuis la chute de Saigon en 1975, des « pieds-noirs » chinois venus d’Asie du sud-est.

Les prostituées dongbei de la Chine du Nord sont bien plus récentes sur le pavé parisien. Fréquemment ménopausées ou en voie de dépassement de la limite d’âge des galipettes, elles arpentent le boulevard jusqu’à Colonel Fabien. De jour, elles restent tout près de la sortie du métro, de nuit, elles s’aventurent à quelques encablures sur le terre-plein central du tracé du marché à la recherche d’un piéton esseulé. Tristes figures au teint plus pâle que les Chinoises du sud, visage plat et carré, elles déambulent en bottes, pantalon et petit blouson en l’attente d’un peu lucratif client.

La Chinoise qui a sauté par la fenêtre venait de cette région déshéritée du nord de Pékin. Effrayée par un contrôle inopiné de la police, elle demeurait dans cet immeuble maudit du boulevard de la Villette où un américain avait mis le feu. Habitation précaire juste au-dessus d’une agence de voyage spécialisée en pèlerinage à la Mecque qui avait fait faillite à la même époque, laissant un nombre important de croyants dépités privés de Hadj et de leurs maigres économies.

La toute puissance de Western Union s’affirme aux alentours de Belleville. Excellent moyen pour le laborieux loin de ses pénates d’alimenter la famille restée au pays mais aussi des profiteurs éhontés réclamant sans cesse leur pitance qu’ils considèrent comme un du à ceux qui tirent le diable par la queue. Chinois, Africains, Arabes, Turcs et Serbes de l’îlot Sainte-Marthe, s’agglutinent en des queux interminables pour expédier de l’argent au pays, travailleurs réservés et besogneux, petits et grands maquereaux de l’est européen, prostituées, prête-noms rémunérés assistant les sans-papiers et les blanchisseurs de trafics. Les plus modestement vêtus sortant souvent les plus grosses liasses.


Le bistro La Vielleuse est le dernier vestige du Paris populaire et ouvrier, celui des caf’conc’ de Maurice Chevalier et des spectacles de pétomanes. La clientèle est désormais la même que chez Zorba ou dans les bar-tabacs tenus par des Chinois ayant remplacé les Aveyronnais ayant vendu leur fond de commerce.

Mais à la Vielleuse, il reste encore le grand miroir fendu par les bombardements de la Grosse Bertha durant le premier conflit mondial, dernier témoignage objectif d’un Paris ouvrier disparu depuis celui de la Courtille d’avant 1860, où déjà le vin était moins cher qu’intra-muros et des ateliers de l’entre deux guerres. Seuls les immeubles insalubres ont résisté au temps, ils se délabrent avec grandeur, mais sont progressivement voués aux bobos comme la Cour des Bretons dont l’espace se privatise doucement.


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