Millénarisme, révolution et théorie du complot (2/3)
par NICOPOL
mardi 21 septembre 2010
Comme détaillé dans cet article introductif, depuis le temps que je fréquente et, modestement, participe à Agoravox, j’ai été amené à faire quelques constations assez déroutantes à première vue :
1. La prolifération des « théories du
complot » apocalyptiques qui semblent ressortir d’une même mentalité
millénariste ;
2. La nature foncièrement « préscientifique »
de la mentalité conspirationniste au fond de laquelle on peut voir la
résurgence de la mentalité anthropomorphique de l’âge préscientifique
consistant à voir derrière tout phénomène une « intention » humaine ;
3. La tendance commune de l’extrême-gauche et de l’extrême-droite
à voir de tels complots : le « camp du mal » et le « camp
du bien » différent, mais finalement le schéma mental est identique.
Ces trois constatations induisent à penser que, derrière le
« symptôme » de la théorie du complot existe un phénomène social ou
historique plus vaste et plus profond, dépassant les clivages politiques et
idéologiques. Il faut donc pour le
comprendre remonter à la racine du « conspirationnisme », de
l’extrémisme et du millénarisme apocalyptique.
C’est l’objectif de la présente série d’articles, dont
celui-ci aborde la question de l’origine du millénarisme et de la généalogie de
ses ramifications actuelles, tandis que le troisième et dernier article traitera
plus particulièrement des convergences entre millénarisme et théories du
complot.
2. MILLENARISME ET REVOLUTION
2.1. Origine et histoire du Millénarisme
Millénarisme biblique
On appelle « Millénarisme » ou « chiliasme » (en grec, chilias = mille) une doctrine apparue au sein de l’Eglise catholique, puis rejetée au rang des hérésies, consistant à adopter une interprétation littérale de l’Apocalypse de Saint Jean, selon lequel, à l’issu d’une ultime bataille opposant les armées du Christ à celles de Gog et Magog, les Forces du bien triompheraient des forces du mal, prélude à l’instauration d’une ère de paix et de félicité pour une humanité « purifiée » de ses pêchés, le « Millenium », auquel succèdera enfin la « Fin des temps » et le règne éternel du Royaume de Dieu.
De façon plus précise, le Millénarisme repose sur l’enchaînement suivant :
1. 1. Des signes avant-coureurs de la catastrophe (bouleversement de la nature, phénomènes terrifiants, guerres, famines, apostasie universelle, etc.)
2. 2. Une Prophétie annonçant la venue d’un Messie (Messianisme)
3. 3. L’avènement du Messie (Parousie)
4. 4. La guerre contre une coalition d’impies sous la bannière d’un Antéchrist incarnation du Mal absolu, s’achevant par l’écrasement total des coalisés par les armées du Messie
5. 5. Le règne messianique avec une Jérusalem nouvelle, purgée des idolâtres qui la souillaient
6. 6. La transformation du monde par la consumation de ce que l’ancien avait de corruptible et de mortel
Les « millénariste » attendent ainsi le retour d’un « Empereur des derniers jours » qui lèvera les armées du Bien et guidera les « Purs » à la victoire finale. Cette hérésie a pris diverses formes au fil des siècles, l’ « Empereur des derniers jour » étant identifié tour à tour à un empereur romain, byzantin, carolingien, romain-germanique, un grand seigneur, ou de simples meneurs messianiques se prétendant choisis par Dieu pour délivrer le monde. Il s’est exprimé périodiquement tout au long du Moyen-âge au travers de soulèvements populaires, généralement d’une grande violence, prenant la forme de mouvements de foule anti-bourgeois, anti-nobles, anti-clericaux, anti-riches… se fédérant à l’appel d’un « Sauveur » autour de thèmes religieux millénaristes (on peut citer parmi les plus connus Joachim de Flore, l’Empereur des derniers jours, la Croisade des pauvres, le mouvement des Flagellants, des Taborites, la Guerre des paysans de Thomas Münzer, l’expérience proto-communiste et proto-totalitaire des Anabaptistes du Münster menés par Jean de Leyde, et d’autres mouvements similaires en Europe du Nord et Angleterre....), ou plus récemment les Témoins de Jéhovah.
On peut ajouter que dès le début, une tendance « apocalyptique » s’est développée au sein de cette mentalité millénariste, réduisant la perspective à une sorte de « fin du monde » à attendre et même à favoriser, dans tous les cas objet d’une fascination touchant à la folie : c’est par exemple le cas de Joachim de Flore qui, reprenant le chiffre de 1260 dans l’Apocalypse de Saint Jean, avait annoncé l’Harmaguédon pour l’an 1260 ; comme l’an 1260 n’a rien donné de particulier, certains de ses disciples (dont le fameux Fra Dolcino popularisé par le Nom de la Rose) finirent par penser qu’ils devaient faire Harmaguédon et répandre la terreur eux-mêmes…
Il est absolument frappant de constater la similitude de cette trame générale millénariste avec la propagande actuelle de l’ultra-gauche révolutionnaire ou, mieux encore, avec certains articles d’Agoravox dont les auteurs semblent se donner le plus grand mal pour reprendre à la lettre cette dramaturgie millénariste apocalyptique et prédire la fin du monde pour les prochains mois…
Socialisme, marxisme et révolution
La période des « Lumières », caractérisé par une profonde remise en question de la religion en général et de l’Eglise catholique en particulier, a vu une forme de « sécularisation » de cette mentalité millénariste. L’Ancien Testament avait déjà marqué la transition entre une conception du temps cyclique et une conception « segmentaire » marquée par un début (la Création) et une fin (l’Apocalypse) au-delà de laquelle s’étendrait, en-dehors du temps (eschatologique), le Règne éternel du Royaume de Dieu. L’idéologie du Progrès continuel d’un Pascal ou d’un Rousseau conduit à ramener dans le temps humain l’avènement de ce « Royaume de Dieu » prenant les traits d’une société parfaite vers laquelle l’humanité, par le seul mérite de la science, peut se diriger petit à petit. L’expression millénariste de cette idéologie du Progrès continuel consiste à souhaiter l’avènement de cette société parfaite non pas progressivement, par une succession d’avancées, mais d’un seul coup et brutalement, par une transformation totale et immédiate de la société ; autrement dit, une « révolution » au lieu d’une « évolution ».
C’est l’âge des grandes utopies (Thomas More…) ; la découverte des « bons sauvages » d’Amérique ou d’Afrique inspire l’idée présocialiste d’une civilisation sans argent, sans division du travail ni commerce, une société fraternelle, collectiviste et égalitariste ; une « société alternative » nécessitant un changement radical, une « révolution ». Le « Millenium » laisse sa place au « meilleur des mondes », les armées de Gog et Magog aux tenants de l’ « Ancien régime » (Noblesse et Clergé), tandis que les « Elus » autoproclamés (ces Philosophes dont le mépris pour la stupidité du petit peuple est bien connue, de Voltaire à Rousseau) se donnent pour mission de guider le peuple vers cet avenir glorieux.
La Révolution française constituera le plus sanglant fait d’arme de l’esprit millénariste. Pas la révolution de 1789, celle inspirée par le libéralisme et l’humanisme de la Réforme et des Lumières et confortant les acquis philosophiques de l’Antiquité et du Christianisme (et qui aurait du conduire comme dans tant d’autres pays à l’instauration d’une monarchie parlementaire) ; mais bien celle, jacobine, de 1793, celle de la Terreur, du Génocide vendéens, de la « Guerre totale » avec l’ennemi extérieur. La nature foncièrement « millénariste » du jacobinisme a été magistralement analysée par Philippe Nemo dans son ouvrage « Les 2 Républiques françaises », illustrée par de nombreux exemples hautement significatifs (Robespierre présenté par la propagande révolutionnaire comme le « nouveau Messie », l’attente et même la provocation d’une « grande lutte révolutionnaire finale » contre les armées du mal représentées par la coalition européenne, la Marseillaise et son « sang impur », le projet de créer, pour reprendre les termes de Danton et Saint Just, une nouvelle race humaine « régénérée » et « épurée »…).
On peut suivre tout au long du XIXe siècle les faits d’armes des « héritiers » millénaristes de 1793 : les Communards (qui se présentaient eux-mêmes comme « l’avant-garde de l’armée qui marche pour la délivrance du monde entier »), Auguste Blanqui, Louis Blanc… Sur le plan plus théorique, on retrouve l’esprit jacobin millénariste dans les premières doctrines socialistes des années 1820, inspirées par Rousseau ou Baboeuf (Saint-Simon, Fourier, Proudhon, Spence, Owen, Engels…), puis dans le marxisme lui-même. La continuité généalogique de ces idéologies socialistes avec le millénarisme est frappante : Engels a lui-même soutenu dans « La Guerre des paysans » que la lutte du prolétariat moderne était le prolongement des mouvements millénaristes et des violences fanatiques du Moyen-âge, et Marx faisait déjà référence à l’émancipation révolutionnaire de Münzer en y reconnaissant une généalogie de sa révolution. Marx emploiera d’ailleurs à propos des derniers jours de la Commune (« holocauste », « martyrs »…), du prolétariat paysan (les « damnés de la terre ») ou de la « prédestination sotériologique » de la classe universelle des prolétaires des formulations qui ne trompent pas. Un auteur comme Guy Debord (La société du spectacle) voit également une « généalogie » entre millénarisme et lutte des classes révolutionnaires, l’espérance révolutionnaire n’étant que la forme sécularisée de l’espérance chrétienne, dépouillée de son caractère théologique pour être rendu à son essence matérialiste et historique.
Marx donnera finalement une formalisation idéologique achevée et « pseudo-scientifique » à ces doctrines millénaristes au travers de sa « dialectique » de la lutte des classes, la poignée d’Elus messianiques incarnées par les « leaders révolutionnaires » qui, en véritable « tuteurs », doivent conduire le Prolétariat au « Grand soir » et à la victoire finale sur les armées du Démon prenant l’apparence des « capitalistes », et incidemment des Juifs, incarnation du grand capital et de la finance apatride : antisémitisme larvé que l’on retrouvera tout au long de l’histoire du socialisme, de Fourier à Proudhon, de Blanqui à Drumont, et qui se manifestera de façon éclatante au moment de la grande campagne antidreyfusarde orchestrée par les partisans de Blanqui, de Déroulède et des Ligues antisémites.
Les totalitarismes du XXe siècle
C’est également cette période de l’Affaire Dreyfus qui, à la suite de Philippe Nemo, nous donne une clef de compréhension cruciale à l’une de nos interrogations initiales, à savoir la frappante familiarité de l’extrême-droite et de l’extrême-gauche vis-à-vis des théories conspirationnistes. En effet, ce que nous nommons aujourd’hui respectivement « extrême-droite » et « extrême-gauche » ne sont que les deux rameaux d’une même famille de pensée, le jacobinisme millénariste de 1793, qui a éclatée au moment de l’Affaire Dreyfus lors d’une vaste recomposition du paysage politique dont nous héritons encore aujourd’hui des ambigüités : la tendance anticapitaliste et internationaliste du camp jacobin se rapprochant à la suite de Waldeck-Rousseau de l’Alliance démocratique pour former le « Bloc des gauches » (Jaurès, Combe…), tandis que la tendance « nationaliste » de ces mêmes jacobins (celle que, exaltée à l’époque de la « levée en masse », exacerbée par l’épopée Napoléonienne, hypertrophiée par la défaite de 1870, l’on retrouvera chez Gambetta, puis Déroulède, Boulanger ou encore Barrès, tous partisans d’une « guerre à outrance » supposée favorisée le déclenchement d’une nouvelle révolution sociale jacobine), craignant le danger allemand, se rapprochait de la « Fédération républicaine » pour former un « Anti-bloc ». Aussi surprenant que cela puisse paraître aujourd’hui, l’extrême-droite est une émanation de l’extrême-gauche ! On s’explique ainsi mieux la haine viscérale réciproque qui anime ces 2 partis, « fascistes » contre « communistes » : car derrière des différences de forme, c’est le même fonds révolutionnaire millénariste qui se trouve ainsi mis en concurrence au travers de deux projets totalitaires (l’un au nom d’un « peuple », l’autre au nom d’une « classe sociale »).
Ceci permet également d’expliquer la troublante familiarité des deux grands totalitarismes du XXe siècle que furent le Nazisme et le Communisme : le Pacte Germano-soviétique, la grande sympathie de l’extrême-gauche pour le Nazisme et Hitler, dans lesquels elle voyait la réalisation du projet anticapitaliste et socialistes (l’éducation collective, la « voiture du peuple »…), le soutien massif du gouvernement de gauche du Front Populaire à Vichy (¾ des députés socialistes et radicaux ont votés pour Pétain et Laval) puis le soutien apporté à la « Révolution nationale » de Pétain, le collaborationnisme actif de nombreux membres éminents de l’extrême-gauche politique ou syndicaliste (Barrès, Doriot, Georges Sorel, ou encore Marcel Déat, lui qui affirmait que la guerre nazi était une guerre « révolutionnaire » dont il trouvait chez Rousseau et les Jacobins des « pères spirituels »).
Cette origine commune millénariste du Nazisme et du Communisme a été amplement analysée par d’éminents penseurs comme Hannah Arendt (Les origines du totalitarisme), Popper (La société ouverte et ses ennemis), Hayek (La route de la servitude), Adorno (selon qui « les totalitarismes du XXe siècle sont les enfants des Lumières ») ou encore Guglielmo Ferrero (qui soutient que la Seconde Guerre n’est que le prolongement de la guerre jacobine de l’An II) : Nazisme et Communisme ne sont que deux avatars modernes et concurrents du millénarisme de 1793 qui partagent avec celui-ci le même projet d’un « Homme nouveau » purifié (pureté aryenne / révolutionnaire), la même idéologie holiste selon laquelle les individus sont seconds par rapport au groupe (la « patrie », la « race » ou la « classe »), la même désignation d’un ennemi tout-puissant et cosmopolite (les Juifs, les Bourgeois), le même culte de la force et mépris du droit justifié par la guerre sans merci contre le « Mal » et devant se terminer nécessairement par la destruction totale de l’ennemi et l’avènement du Règne du Bien (le règne du National Socialisme devait précisément durer 1000 ans…).
Plus récemment, cette origine commune explique les nombreuses passerelles qui existent entre extrême-droite et extrême-gauche, de Mitterrand à Soral et Dieudonné, et que l’on ne peut comprendre sans cette grille de lecture jacobiniste et millénariste…
Mai 68 et ultragauche
De façon plus contemporaine, l’ « esprit millénariste » se retrouve plus ou moins explicitement dans le mouvement de mai 68 et ceux qui en revendiquent l’héritage. Cette généalogie est ainsi revendiquée explicitement par des penseurs « situationnistes » comme Guy Debord, Raoul Vaneigem ou René Viet ; Sartre lui-même qui, dans une interview au Nouvel Observateur du 19 juin 1968, fait le rapprochement entre la « révolution » de mai 68 et le millénarisme (mentionnant ceux qui ont cru que l’action déclenchée à Nanterre et à la Sorbonne « déboucherait sur une apocalypse sociale et économique qui provoquerait, non seulement la chute, mais la désintégration du système capitaliste »). A l’appui de cette thèse, on peut également citer Raymond Aron qui parle des « Anabaptistes » pour désigner les étudiants contestataires, ou encore Pierre Vidal-Naquet (Journal de la Commune étudiante) qui voit un caractère apocalyptique et millénariste dans le mouvement révolutionnaire de mai 68.
A ce titre, le Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations de Raoul Vaneigem (justement médiéviste spécialiste des hérésies moyenâgeuses) constitue un véritable manifeste millénariste (l’auteur y proclame ainsi que le monde actuel est placé sous le signe du Mal et doit être purifié, et que nul ne peut échapper à la violence inexpiable d’un combat final, en faisant référence à Saint Augustin contre les Manichéens) en même temps qu’un petit manuel de la « guérilla » qui préfigure le fameux tract « L’insurrection qui vient »…
Ecologie radicale
De même, on peut voir une mentalité millénariste « apocalyptique » dans l’écologisme radical, celui qui, héritier du Lyssenkisme et actuellement à l’œuvre derrière le GIEC et les mouvements anti-OGM, anti-nucléaire, « anti-ondes » et autres « anti-vaccins » ; tous ces groupes d’activistes se retrouvant dans une même défiance radicale à l’égard de la technologie, de la science et finalement du monde moderne, nous promettant d’effroyables catastrophes naturelles et humaines si nous ne mettons pas à bas l’ordre mondial capitaliste des « multinationales » et ne retournons pas à une forme de société « précapitaliste » fortement empreinte de traits économiques primitifs (autoproduction locale, commerce de proximité, troc, retour à des méthodes « traditionnelles » de production, comme ce discours délirant de José Bové intitulé « Pour en finir avec l’idéologie du progrès » dans lequel il explique pourquoi les paysans du tiers monde doivent absolument continuer à travailler à la main…).
Tous ces gens partageant une même vision pessimiste du « déclin de l’occident » (livre dont l’auteur, Spengler, disait justement que « l’optimisme était une lâcheté ») et de la nécessaire « décroissance » et, ce qui les rapproches des adeptes du New Age (voir ci-dessous), une même fascination pour une « fin du monde » effroyable popularisée par des écrivains de science-fiction comme Barjavel (Ravage), Rosny (La mort de la terre), Simak (Demain les chiens), ou plus récemment des films comme Le jour d’après, 2012, Prémonition…
New-Age et Ufologie
De façon plus surprenante, on peut trouver une généalogie millénariste dans la nébuleuse New-Age qui, de la Théosophie au Golden Dawn jusqu’à l’ufologie radicale et aux sectes scientologue et raélienne, fantasment sur des « Grands Maîtres cachés » tibétains, l’origine extraterrestre de l’humanité, le retour des « Grands cosmonautes » et (dans la tendance « Next-Age » apocalyptique) la fin du monde…
De façon générale, le New-Age peut être vu comme un phénomène de société remontant aux années 1950 et aux premiers courants « Ufologiques ». Les adeptes du New-Age, de façon générale, rejetaient le matérialisme contemporain et croyaient au mythe d’un retour d’une « race extraterrestre » supérieure pour sauver l’humanité. Les personnes arrivées à une compréhension véritable des lois spirituelles de l’univers seraient alors appelées à devenir les pionniers d’une aire nouvelle, « le New Age ». On voit de façon évidente le côté « millénariste » de cette croyance…
Cette même mentalité millénariste donne un sens à la proximité apparemment étonnante entre nazisme, occultisme et ufologie. La proximité des Nazis avec l’Ordre de Thulé (selon lequel les Aryens seraient les derniers descendants « purs » de la civilisation hyperboréenne…) est bien documentée, ainsi que le léger délire néopaganiste dans lequel baignait le nazisme des origines (culte de la nature, Wandervögel, Walkyries et autre Walhalla…). Dans la même veine, on ne s’étonnera pas du penchant néonazi du premier et plus célèbre « contacté », George Adamski (membre du mouvement théosophique et fondateur dans les années 30 en Californie de « l’Ordre Royal du Tibet », il affirmait que les apparitions dans le ciel seraient le signe du retour des « Seigneurs de la Flamme » qui descendirent pour la première fois sur Terre, il y a dix-huit million d’années, pour transformer les antiques races terrestres inintelligentes en êtres pensants ; il prétendit par la suite être rentré en contact avec un Vénusien d’une angélique beauté typiquement aryenne, grand, blond aux yeux bleu, et dont l’empreinte de ses semelles dessinaient… un swastika), et les liens troubles de certains des plus fameux ufologues avec une certaine extrême-droite fascinées par le nazisme (par exemple Robert Charroux qui dans Le livre des secrets trahis reprend l’idée de l’origine hyperboréenne et extraterrestre des Aryens menacée par le complot de la « race bestiale » des Juifs). Encore aujourd’hui, toute une frange de l’extrême-droite reste fascinée par le paganisme et les vieux cultes préchrétiens, tandis que l’une des figures les plus marquantes de l’extrême-droite de l’après-guerre, Serge de Beketch, était un soucoupiste convaincu (comme les auditeurs de Radio-Courtoisie ont pu le remarquer les mercredis soirs...). .
Plus généralement, un même millénarisme « New-Age » sous-tend et explique le fréquent télescopage de références aussi diverses que l’ésotérisme nazi, la kabbale, le celtisme, la Golden Dawn, la théosophie et les théories sur l’origine extraterrestre de la civilisation humaine, fourre-tout délirant qu’incarne à l’extrême le livre à succès Le Matin des Magiciens de Jaques Bergier et Louis Pauwels (qui reprend notamment cette idée conspirationniste selon laquelle les nazis possédaient une science « magique » s’opposant à la science « judéo-libérale » et promotrice d’une nouvelle civilisation allant vers l’apparition d’un « surhomme », idée qui a inspirée toute une nébuleuse néonazie persuadée que les nazis avaient des soucoupes volantes…) ou encore un personnage comme Jean-Claude Monnet, petit neveu du peintre Monnet, fondateur de divers groupuscules pseudo-druidiques influencées par un occultisme nazifiant, dont une Organisation des Vikings de France et un Parti Prolétarien National-Socialiste…). Lire à ce sujet Emmanuel Kreis et Stéphane François, Le complot cosmique.
On verra par la suite que cette évocation a priori pittoresque de l’ufologie est de première importance dans la généalogie entre millénarisme et théorie du complot puisque c’est dans ces cercles que vont naître dans les années 50 les premières « théories du complot » contemporaines…
Islamisme
Enfin, last but nos least, l’islamisme, ce « troisième totalitarisme » du XXe siècle, représente une autre expression moderne particulièrement pathologique du millénarisme : non seulement la branche chiisme et son « Imam caché » dont on attend le retour, mais de façon plus générale cette conception manichéenne d’une lutte des « Purs » contre les « Infidèles », guerre totale qui ne peut s’achever que par la conversion ou l’élimination totales de ces derniers et l’instauration définitive d’un Grand Califat…
Tout ceci peut surprendre au premier abord, mais devient presque évident quand on veut bien considérer les rapprochements sinon incompréhensibles entre les Nazis et les Islamistes des Frères Musulmans, ou plus récemment entre des mouvements d’extrême-gauche, d’écologistes radicaux et d’islamistes tout aussi radicaux (comme on l’a vu dans les manifestations « pro-palestiniennes » ou dans le cadre de ce sinistre « Parti anti-sioniste »).
2.2. Structure du Millénarisme
Après ce trop bref panorama historique, il est temps de dégager une synthèse de ce « crypto-millénarisme » que nous avons vu à l’œuvre encore aujourd’hui sous des incarnations aussi diverses que l’extrême-gauche révolutionnaire, l’écologisme radical, l’islamisme, le New-Age et l’extrême-droite.
Renversement brutal et définitif de l’ordre du monde
Le caractère le plus fondamental et frappant des différentes formes du millénarisme, c’est l’attente active d’un grand bouleversement, d’une destruction brutale de l’ordre établi, et de l’avènement définitif d’une nouvelle société parfaite. Ce mythe d’un renversement complet de l’ordre du monde fonde la dramatique millénariste du passage brutal et instantané du « rien » au « tout », l’ivresse idéologique d’un « Salut » total et imminent, le fantasme eschatologique d’une « fin de l’histoire ». On ne saurait définir mieux la mentalité « révolutionnaire » qui, de la révolution française à l’extrême-gauche actuelle en passant par les mouvements révolutionnaires asiatiques ou sud-américains, a nourrit autant de fantasmes et d’abominations.
Cette utopie révolutionnaire de l’avènement brutal et définitif d’une « société parfaite » universelle et eschatologique est en rupture totale avec la sagesse antique, celle en particulier des Grecs, qui, consciente du cours imprévisible de l’histoire, enseignait la prudence et le refus de la « démesure », l’acceptation de la nécessité et la recherche du « meilleur régime » adapté à un lieu et une époque spécifique. Elle est en rupture également avec la Philosophie du Progrès continuel celle de Descartes, des Lumières et de la Révolution de 1789, qui ambitionne pour l’humanité un progrès progressif et pacifique, fruit d’un patient labeur et porté par les découvertes de la Science. Pour les Révolutionnaires, au contraire, l’avènement de la société parfaite et du bonheur de l’humanité doit se faire d’un seul coup, brutalement et de manière conflictuelle et violente, par anéantissement d’un « ennemi ».
Manichéisme et violence
Une autre grande caractéristique de ces mouvements est son manichéisme primaire : le monde se résume à la lutte de deux camps, le « Bien » et le « Mal », qui doit se terminer par l’anéantissement du « Mal » et au règne définitif des forces du « Bien ». Une telle vision, qui n’est pas spécifique au millénarisme, est une schématisation sommaire mais psychologiquement très opérative qui permet de donner à peu de frais un sens au chaos apparent du monde et à sa propre existence, de se valoriser en s’identifiant de facto au camp du Bien. Il conduit hélas en corolaire à une « diabolisation » de ceux auxquels on s’oppose : rejeté dans le camp du « mal absolu », les adversaires du Millénarisme ne méritent ni respect, ni considération, mais doivent être systématiquement et totalement anéantis. Dans cette conception manichéenne, la politique cesse d’être un affrontement d’intérêts et d’opinions, mais prend la forme d’une Terreur, d’un combat inexpiable contre un ennemi absolu, diabolisé, satanisé. En position d’infériorité, ceci se traduit par un recours caricatural à la « reductio ad hitlerum » (« fasciste », « libéral » ou « capitalise » étant des qualificatifs suffisant pour vous exclure définitivement du débat et vous refuser le droit à la simple parole) ; en position de supériorité, par l’élimination politique, mentale et même physique totale des « ennemis », comme l’illustrent les massacres et exterminations hallucinantes de la Terreur révolutionnaire, du Stalinisme, du Nazisme, des Khmers Rouges…
Dans les deux cas, il n’y a pas de « camps du milieu » : toute personne qui n’adhère pas entièrement au projet millénariste ne peut être qu’un suppôt du mal et doit être combattu et éliminé en tant que tel (il est facile de vérifier ceci sur Agoravox : osez dire que vous n’êtes pas convaincu de la réalité de certains complots délirants, comme le projet d’élimination de la population des USA par un vaccin mortel, et vous voilà dans le camp de ceux qui soutiennent la guerre en Irak !). Cette idéologie totalitaire ne laisse pas de place aux « libres penseurs », aux modérés, aux adeptes de la rationalité tranquille des grands philosophes de l’Antiquité...
On comprend ainsi pourquoi les différents mouvements millénarismes se sont traduits systématiquement par le recours à la violence, légitimée par la certitude d’appartenir au « camp du Bien » et d’accomplir une Prophétie divine ou universelle ; pourquoi les différents mouvements révolutionnaires, des Jacobins aux Bolchéviques, ont pris le pouvoir par la force, l’intimidation et le dénis des plus élémentaires principes démocratiques ; et comment, aujourd’hui encore, inspirés par les slogans de Mai 68 repris depuis de Moscou à Pékin (« L’humanité ne sera heureuse que le jour ou le dernier bureaucrate aura été pendu avec les tripes du dernier capitaliste »…), nombreux sont les partisans de l’ultragauche à prophétiser des embrasements de violence, voire à la prôner ouvertement comme dans ce petit manifeste que fut l’ « Insurrection qui vient »…
Holisme
Une autre caractéristique du millénarisme est sa nature foncièrement « holiste », c’est-à-dire la prééminence du groupe sur l’individu. Là encore cette mentalité foncièrement primitive s’oppose frontalement à la conception « moderne » des Grecs et des Chrétiens, puis de l’Humanisme de la Renaissance et du Kantisme, qui accorde une place centrale à l’individu, à sa liberté et au droit en tant que protection du « sujet ». La représentation millénariste, au contraire, est celle d’une lutte manichéenne entre deux « camps », deux « classes » abstraites et universelles, dans laquelle l’individu n’a pas d’importance, ne représente aucun enjeu, n’est qu’entité négligeable sacrifiable au « bonheur collectif » (relire SOS Bonheur de Griffo et Van Hamme pour une illustration frappante), un « zéro » dans l’ « infini » social (Le zéro et l’infini, Arthur Koestler), et dans laquelle aucune loi n’est assez forte pour ne pas pouvoir être brisée au nom des intérêts de la « révolution ». Qu’importe donc les morts d’innocents, les sacrifices, les victimes collatérales, si cela est nécessaire à l’anéantissement du « Mal » et à la victoire du « Bien »…
Le Millénarisme trouve ainsi un terrain propice dans cette nostalgie de la société primitive que connait notre civilisation moderne ultra individualiste, nostalgie qui s’exprime par exemple de façon extrêmement révélatrice dans le concept publicitaire en vogue de la « Tribu » ou du « Nomadisme », mais aussi, de façon moins anecdotique, dans les différents courants New-Age qui fantasment sur une « fusion » du groupe, et plus largement de tout ceux qui aspirent à une vie communautaire, égalitariste et plus ou moins influencées par diverses drogues censées favorisées ce « retour au grand tout » (fantasme générationnel dont le livre d’Alex Garland, The Beach, constitue le manifeste symbolique tout autant que prémonitoire…).
Messianisme
Dans le même temps, et de manière apparemment paradoxale avec le point précédent, le combat final sera mené par une petite poignée de « Purs », choisis par Dieu pour lever et guider la masse ignorante et pécheresse : le peuple n’est qu’un troupeau que les « Elus », détenteur d’une vérité universelle connue d’eux seuls, ont pour mission de guider ; et, choisis et inspirés par Dieu, les « Elus » ne pourront avoir tort et seront infaillibles par définition. Les Frères du Libre esprit (XIIIe) déclaraient ainsi : « on peut être à ce point unis à Dieu que, quoi qu’on fasse, on ne puisse pêcher » ; Johann Hartmann, Jean de Brünn, les Pifles d’Arnold, tous pensaient que, choisis par Dieu, ils ne pouvaient agir mal quoi qu’ils fassent. Se plaçant explicitement dans leur continuité, Raoul Vaneigem écrit dans son Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations : « Nos premiers principes doivent être hors de discussion ».
On retrouve ainsi tout au long de l’histoire du millénarisme, de Thomas Münzer à Robespierre, de Che Guevara à Pol Pot, de tels « leaders messianiques », souvent autoproclamés et prétendument infaillibles, qui prétendent détenir une vérité universelle et mener les partisans du Bien à la « victoire finale » contre les forces du « Mal ». Ces « révolutionnaires » font l’objet d’un véritable culte, d’autant plus intense que leur mort violente aura fait d’eux des « martyrs » ; on s’arrache ainsi encore les tee-shirts du Che en dépit du fait que ce fut un assassin sordide et le fossoyeur de l’économie cubaine…
Homme nouveau
Un autre trait particulièrement funeste du millénarisme est l’attente d’un « Homme nouveau » ou « Homme total », ou plutôt le déploiement d’un projet révolutionnaire censé provoquer la « purification », la « régénération » de l’humanité. Projet dont, on l’a vu, on trouve les prémisses dans la doctrine millénariste de l’Apocalypse, reprise chez Rousseau, espérées dans les grandes utopies du XIXe siècle (dominée par le thème de l’ « insularité », île ou communauté expérimentale dans lesquelles doit s’amorcer la création de cette nouvelle humanité) et mise en œuvre pratiquement, avec les résultats que l’on sait, par Robespierre, Hitler, Staline, Pol Pot…
Totalitarisme
Le Millénarisme se propose finalement comme une explication « totale », universelle, éternelle et définitive, du monde et de l’histoire. C’est particulièrement le cas de cette forme pseudo-scientifique du millénarisme que constitue le matérialisme historique marxiste, qui se prétend seule vraie science, accessible seulement à une petite élite intellectuelle chargée, inspirée par la révélation de ce savoir absolu, de guider l’humanité vers son destin inéluctable…
Cette recherche de l’ « absolu » est bien la plus funeste manifestation du millénarisme. Toute la pensée philosophique des Lumières (Locke, Leibnitz, Spinoza, Voltaire, Diderot, Hume…) n’a eu de cesse de mettre en garde contre les dérives totalitaires de toute recherche d’un tel absolu, l’inévitable basculement dans l’exaltation, la folie religieuse et messianique que dénoncera avec un cruel prophétisme Kant (ce qu’il appelait « Schwärmerei » ou « enthousiasme mystique », celui du « Prophète ivre de Dieu » qui lève les foules... Le mot « Schwärmerei » étant justement celui utilisé par Luther pour désigner les Anabaptistes...).
Aujourd’hui, on commence à parler d’un "totalitarisme islamiste" ou d’un "totalitarisme écologiste" tout comme on parle déjà d’un "totalitarisme New-Age"...
Religiosité
Au-delà de toutes ses caractéristiques (révolutionnarisme, holisme, messianisme, totalitarisme…), le Millénarisme, par cette aspiration irrationnelle à l’Absolu, à la Totalité, a une nature foncièrement religieuse (au sens de la « mentalité primitive » analysée par Lévy-Bruhl), y compris dans ses expressions modernes : les Jacobins, derrière une façade de « laïcisme » justifiant la destruction du catholicisme, n’avaient d’autre ambition que d’imposer une « religion de substitution » qui fit de la révolution française, pour suivre Anatole Leroy-Beaulieu, une véritable « guerre de religion » entre les Anciens cultes et cette « religion de la révolution » qui ne peut constituer, pour reprendre les mots d’Edgar Quinet dans l’Enseignement du peuple, que la seule « foi » républicaine…
La nature profondément religieuse des totalitarismes modernes (fascisme, nazismes et communisme) a été abordée par plusieurs auteurs, en particulier Raymond Aron, Spranger, Monnerot (Sociologie du communisme), parlant de « religion séculière » à leur propos. Ces auteurs montrent également comment, en accédant au stade politique, le prophétisme millénariste devient dictature ; on peut à ce sujet se référer à Julien Freund qui, dans l’Essence du politique, analyse le phénomène du prophétisme révolutionnaire et annonce le phénomène contemporain de l’islamisme. Le New Age constitue également par bien des aspects une véritable « religion », pour ne pas dire « secte »…
Encore aujourd’hui, le millénarisme moderne reprend tous les attributs de son ancêtre biblique : l’identification d’une « force du Mal », la recherche de « présages » apocalyptiques dans l’actualité géopolitiques, économiques ou environnementale, l’énonciation de « prophéties » apocalyptique plus ou moins délirantes (guerres, épidémies, effondrements financiers ou économiques, catastrophes naturelles…)…
On comprend la force avec laquelle resurgit actuellement cette mentalité millénariste, dans une société exceptionnellement riche en « moyens » mais incroyablement pauvre en « finalités » et où le « besoin religieux » n’a peut-être jamais été aussi intense… Et, hélas, la violence avec laquelle cette pensée mythique, en déni total de réalité, écarte toute démarche rationnelle et objective, tout esprit de tolérance et de dialogue…
2.3 Origine psychologique et sociale du millénarisme
Il est enfin important de relever ici que les soulèvements millénaristes du Moyen-âge, et jusqu’à la révolution française et à l’émergence du marxisme puis du communisme, se sont concentrés dans des périodes de grandes mutations et / ou de développement civilisationnel et économique, que ce soit vers le XIIIe siècle (fin de la féodalité et développement du droit romain), à la Renaissance (redécouverte de la philosophie grecque, essor commercial et industriel, grandes découvertes, réforme protestante, humanisme…) ou à l’époque de la révolution industrielle. On trouve ainsi souvent à l’origine de ces mouvements des classes sociales ou groupes qui se sentent « perdants » de ces grands bouleversements, et dont le ressentiment constitue finalement une réaction de rejet à l’émergence de la civilisation « moderne » dont ils se sentent exclus ou qui ne répond pas à leurs ambitions.
Ainsi, le scénario général de l’émergence des mouvements sociaux millénaristes peut se résumer de la façon suivante :
1. Dans un état de crise ou de grand changement, un groupe prend confusément conscience d’être du côté des « perdants ». Il compense cette infériorité en imaginant que c’est le fruit du l’action contingente des « forces du Mal », et en projetant une société radicalement alternative dans lequel le mal serait définitivement vaincu, l’humanité régénérée, et ce groupe, par un « renversement » de l’ordre du monde, placé au sommet de la société.
2. La conviction manichéenne d’incarner l’absolu du Bien dans une lutte contre le Mal, l’impatience eschatologique de ce renversement utopique qui n’arrive jamais, l’impression d’une « résistance occulte », suscitent bientôt chez les millénaristes un délire paranoïaque, la hantise du complot, et la sélection d’un « bouc émissaire » sur lequel cristalliser leur frustration et leur agressivité.
Cette frustration doublée d’une aspiration contrariée à la grandeur se retrouve ainsi dans les principaux courants millénaristes actuels : c’est particulièrement net chez les islamistes nostalgiques du Grand Califat, sans doute dépités par l’état de sous-développement crasse de la majorité des pays musulmans, les militants gauchistes qui n’ont pas encore digérés l’effondrement du « bloc de l’Est », ou encore chez les sympathisants de l’extrême-droite qui soupirent à la grandeur passée de la France et ne supporte pas son déclin actuel dans un contexte de mondialisation.
Nous voyons bien finalement à l’issu de ce petit voyage historique du Moyen-Age à nos jours de quelle façon une "mentalité" millénariste s’est maintenue en toile de fonds de l’histoire de la pensée occidentale jusqu’à remonter brutalement à la surface à la fin du XVIIIe siècle sous les traits modernes et apparemment sécularisés de la "révolution", irriguer la genèse du socialisme et du marxisme pour finalement connaître un embranchement étonnant au moment de l’Affaire Dreyfuss pour donner naissances aux deux courants contemporains de l’extrême-droite et de l’extrême-gauche ; comment cette mentalité préscientifique et manichéenne se retrouve également sous certaines formes extrêmes de l’occultisme, de l’ufologie et plus généralement du New-Age, mais aussi de l’écologisme radical ; comment, enfin, elle ressort de façon spectaculaire d’un islamisme radical ayant comme projet d’établir un "Califat universel".
Au terme de ce voyage, nous ne devons plus être étonnés des liens de consanguinité qui apparaissent régulièrement entre extrême-droite et extrême-gauche, extrême-droite et ésotérisme, extrême-gauche, écologisme et islamisme : tous ce petit milieu extrémiste et totalitaire partage en fait le même rêve millénariste d’une "lutte finale" qui inaugurerait enfin un nouvel ordre universel et définitif, une humanité nouvelle et purifiée, une "fin de l’histoire" dont ils seraient, sous une forme ou une autre, les Maîtres absolus...
Nous verrons dans le prochain et dernier article comment cette folie millénariste ne peut que déboucher inéluctablement sur les théories du complot les plus folles...