Mythes et légendes en formation professionnelle

par Didier Cozin
mardi 10 mars 2009

Alors que le Président de la République a annoncé le 3 mars dernier que le législateur réformerait une nouvelle fois la formation continue (alors que la première réforme largement oubliée n’a que 5 ans) nous souhaitons prendre part à cette réflexion en apportant notre éclairage sur la formation professionnelle continue.

L’opinion commune en France est que les TPE/PME ne peuvent former leurs salariés car les grosses entreprises s’approprient le « gâteau » de la formation  

Notre pays n’aime pas les grandes entreprises (surtout quand elles sont privées). Les sociétés comme les individus qui réussissent suscitent la jalousie ou l’envie, rarement l’admiration (si elles réalisent des profits ceux-ci sont rapidement qualifiés d’indécents). Pour des raisons culturelles et politiques la richesse et la prospérité demeurent suspectes en France.

Les malheureuses PME seraient donc étouffées par la règlementation (ce qui n’est pas totalement faux, l’auteur de ces lignes, entrepreneur lui-même, peut en témoigner), malmenées par la conjoncture économique, dépendant de grands donneurs d’ordres (ah cette fameuse sous-traitance) et également privées de formation continue par les grandes sociétés qui s’arrogeraient les dispositifs comme les budgets.

Ce diagnostic communément admis et partagé nous semble caricaturale et bien peu conforme à la réalité du terrain, cette réalité que les professionnels de la formation vivent au quotidien mais qui ne parvient pas toujours à remonter jusqu’aux cabinets ministériels.

Pourquoi les petites structures ne sont-elles guère formatrices ?

La vraie explication du faible développement de la formation dans les PME est plus psychologique qu’économique. En effet le législateur, adoptant le classique schéma redistributif à la française, a institué des taux de cotisation formation différenciés selon la taille des entreprises. Actuellement ces taux sont les suivants :

- 0,55 % de la masse salariale pour les entreprises de moins de 10 salariés,

- 1,05 % pour les entreprises de 10 à 20 salariés,

- 1,60 % pour les entreprises de plus de 20 salariés.

Dans les grandes entreprises ce taux de 1,60 % constitue souvent un plancher et la majorité d’entre elles dépensent bien plus que cette obligation légale. Les grandes sociétés savent pertinemment que leur survie tout comme leur compétitivité passent par la formation et l’adaptation continuelle de leur organisation. Malheureusement le plancher des unes représente bien plus que trois fois le plafond des autres (les PME/TPE).

La principale question que posent encore les patrons des PME quand on leur parle du Droit à la Formation (DIF) est la suivante : « qu’est-ce que je risque si je ne forme pas ? ».
Payer pour former, s’il n’y a pas de sanction, semble superflu pour nombre de patrons de PME qui, absorbés par leur activité (on ne saurait leur en vouloir) se préoccupent rarement de l’avenir professionnel ou social de leurs salariés.

Le sentiment dominant dans les PME/TPE est donc : « Je paie ma taxe et j’ignore cette formation complexe et faite pour les grosses structures. »

 

Que dirions-nous si un pays dépensait 0,55 % de son budget pour l’éducation des jeunes ? nous serions évidemment scandalisés par un si faible investissement pour l’avenir. Pourtant c’est le taux de cotisation et de réalisation dans la plupart des PME pour former tout au long de la vie leurs salariés. Que pèsent dès lors 70 euros face aux 10 000 euros annuels dépensés pour former un lycéen ?

Que peut-on construire avec 70 euros par an alors que nous devons désormais nous former et évoluer tout au long de notre vie ? Ces montants ne sont pas raisonnables et quand d’aucuns déplorent par exemple la faible ouverture vers l’international des PME françaises il faudrait déjà qu’ils s’interrogent sur la maîtrise de la langue anglaise par leurs concitoyens (parler une langue étrangère c’est non seulement pouvoir communiquer avec d’autres personnes mais aussi mieux comprendre d’autres cultures et pouvoir s’y adapter).

La mutualisation des fonds de la formation constituait peut-être une solution valide dans les années 70 mais faute d’évolution ou d’ajustement elle est devenue contre-performante au sein de la nouvelle société de la connaissance et de l’information.

La mutualisation entraîne bien une déresponsabilisation des PME face aux enjeux du développement des compétences de leurs salariés (l’Etat providence étant censé remettre à niveau les moins qualifiés). 

Tout comme l’exonération d’impôts peut entraîner une médiocre implication dans la vie sociale et économique, de faibles contributions patronales provoquent invariablement une faible appropriation des enjeux de la formation professionnelle dans les petites structures.

Les TPE/PME constituent notre premier gisement d’emplois et de richesses, leurs dirigeants travaillent souvent 60 ou 70 heures par semaine pour faire vivre ces sociétés. Mais cette volonté et ce courage ne doivent pas les exonérer de leurs nouvelles responsabilités sociales et d’apprentissage. La formation tout au long de la vie et l’emblématique dispositif du DIF (Droit Individuel à la Formation) dotent tous les salariés du droit d’évoluer et d’apprendre, il faut maintenant généraliser ce droit dans toutes les sociétés, sanctionner la non-formation. 

Le DIF, cette géniale avancée sociale dont nous n’avons pas encore tiré partie, doit permettre de combler les écarts entre grandes et petites organisations. Les petites structures peuvent désormais former leurs personnels hors du temps de travail et cela change la donne.

En janvier 2009 les partenaires sociaux ont encore simplifié le droit de la formation et désormais seulement deux catégories d’actions de formation subsistent (l’adaptation au poste de travail et à l’emploi d’une part et le développement des compétences d’autre part). Le DIF est donc occasion unique pour les salariés des petites structures de se réapproprier leurs apprentissages, de s’auto-former tout en étant soutenus et accompagnés par leur employeur (la plupart des enquêtes démontrent que le DIF diminue les écarts en formation dès lors que la PME joue le jeu de l’employabilité et du développement des compétences).

Les nouvelles modalités de la formation continue permettent donc de lever le seul vrai obstacle à la formation dans les petites structures : le remplacement des salariés en formation. Ce remplacement n’a plus lieu d’être si l’on se forme durant son temps libre (congés, RTT, Week end, soirée…). La formation hors temps de travail présente donc le double avantage de ne pas désorganiser le travail mais aussi de démontrer l’implication et la mobilisation des salariés dans leur propre projet de formation. 

La formation est un effort collectif, effort de la Nation (« La formation professionnelle tout au long de la vie constitue une obligation nationale » article L 6111-1 du code du travail), pour les entreprises, mais aussi pour les salariés, ces derniers doivent intégrer qu’ils ne seront pas perdants s’ils se forment hors de leur temps de travail, que le temps de formation n’est pas un temps contraint ou perdu mais la naissance d’un nouvel espace de liberté : celui d’apprendre, de comprendre et de s’approprier les apprentissages et de développer ses propres compétences. 

La Loi de Mai 2004 a instauré une co-responsabilité en matière de développement des compétences, les entreprises doivent construire un cadre facilitateur et bienveillant face aux apprentissages mais les salariés doivent en échange donner de leur temps pour se former. C’est un enjeu vital pour les moins qualifiés s’ils veulent continuer à jouer un rôle social et professionnel dans la nouvelle société cognitive du XXI ème siècle.(les plus qualifiés savent depuis toujours se former en tout lieu et à tout moment).

Manifester pour une nouvelle promotion sociale et professionnelle ne suffit pas si personne n’est prêt à en assumer les coûts. Coûts financiers pour les entreprises et la collectivité mais aussi investissement personnel des salariés qui doivent s’impliquer dans leur projet de formation. On ne se forme pas sans projet et sans persévérance et dans une époque marquée par le zapping et l’hyperconsommation (« parce que je le vaux bien) » s’impliquer dans la durée tiendra de la reconquête, de la responsabilisation et de l’autonomisation des individus.

Jean Boissonnat estimait en 1995 qu’au XXI ème siècle il faudrait se former au moins 10 % de son temps de travail. Il n’est guère envisageable que les sociétés financent et organisent 15 ou 20 h de formation par mois pour chacun de leurs salariés. Ce nouveau temps professionnel, celui du développement des compétences, doit donc se déployer en partie sur le temps libre des travailleurs.

Les travailleurs doivent donc apprendre à s’orienter, apprendre une langue étrangère (même s’ils sont ouvriers), maîtriser l’informatique et l’internet, savoir bien s’exprimer en français par écrit, apprendre à communiquer à l’oral, à travailler en équipe et aussi et enfin apprendre à apprendre. 

Les schémas qui ont prévalu depuis l’après guerre éclatent tous les uns après les autres et plus personne ne peut se reposer sur les acquis de la primo éducation pour déployer son intelligence et ses compétences. La Loi pour la formation tout au long de la vie va donc être reconstruite dans quelques semaines et notre pays doit désormais ne plus perdre de temps.

Trois priorités doivent être mise en œuvre très rapidement :

- Prévenir le déclassement professionnel en développant la formation dans les petites structures par une politique fiscale incitative forte (il est moins coûteux pour la collectivité de prévenir les déclassements que de financer des plans sociaux)

- Mettre en œuvre une authentique sécurisation professionnelle des salariés au moyen d’un compte épargne formation financé comme les congés payés tous les ans et intégralement transférable tout au long de la vie professionnelle.

- Accorder de vrais droits financés (et transférables) aux travailleurs précaires (saisonniers, intermittents, salariés à temps partiel ou en CDD…) afin que la sécurisation professionnelle ne soit pas un vain mot pour ceux qui en ont le plus besoin.

Sans ce redéploiement de la formation vers les moins qualifiés notre pays aura le plus grand mal à reconstruire son économie et son modèle social une fois la crise passée.

 

Didier Cozin

Auteur des ouvrages « Histoire de DIF » et « Reflex DIF »
tous deux publiés aux éditions Arnaud Franel.

 

Ps : une quatrième piste pourrait être explorée : alors que le monde du travail cherche des financements pour la formation, les partenaires sociaux avaient en 2003 imaginé la mise en œuvre d’un titre formation sur le modèle des tickets restaurant. Ne pourrait-on impliquer les Comités d’Entreprises afin qu’ils proposent de tels titres aux salariés. Par gros temps économique n’est-il pas plus important de se former et de conserver son employabilité que de partir en vacances ou d’emprunter des DVD ?


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