Natacha Polony décrypte les racines de Charlie

par Laurent Herblay
lundi 28 août 2017

Dans « Nous sommes la France  », Natacha Polony se fait procureur. Mais ce livre va bien au-delà et propose une analyse essentielle des raisons qui font que nos sociétés produisent de telles horreurs, refusant l’angélisme des uns et les dérives xénophobes des autres  : une analyse qu’il faut avoir lu !

 

Le vide de nos sociétés, rempli par le djihadisme ?
 
Elle revient sur les incidents qui ont émaillé la minute de silence dans les écoles, qui n’étaient pas que des simples provocations. Elle voit dans l’attaque contre Charlie Hebdo « une attaque contre le patrimoine, contre la culture française, en plus d’une atroce tuerie », contre notre identité. Contrairement à la lecture de ceux qui incriminent la France, elle rappelle que le Pew Research Center souligne qu’ « il n’y a pas eu de réaction violente contre les musulmans dans l’opinion publique française (…) en réalité, les attitudes envers les musulmans se sont légèrement améliorées ». Mais Natacha Polony souligne aussi qu’« il existe une différence majeure entre le fait de dire que les musulmans n’ont pas à se justifier de ces crimes et celui de prétendre que ces crimes n’auraient rien à voir avec l’islam  ».
 
Elle reprend la critique de Caroline Fourest à l’égard des pays anglo-saxons : « au temps de Guantanamo et de la guerre préventive en Irak, les Américains accusent des dessinateurs danois et des journalistes européens de mettre de l’huile sur le feu ». Elle souligne que « rien ne serait pire en effet de voir la peur décider du visage de notre démocratie » et dénonce le fait de « gommer le passé de certains pour accueillir les autres, qui sont invités, eux, à préserver avec ferveur leur ‘double culture’  » et l’état de notre école : « on a réussi ce miracle de transformer un des meilleurs systèmes scolaires du monde en garderie géante où peuvent s’épanouir les pires préjugés (…) à force de mettre sur le même plan savoirs et opinions (…) on a dévalorisé la parole du professeur et interdit toute véritable transmission ».
 
Pour elle, « les djihadistes sont nos monstres. Non pas au sens où l’entend Edwy Plenel. Ce n’est pas notre supposé racisme qui les a enfantés. Mais ils sont les purs enfants de nos sociétés contemporaines (…) La jeunesse qui bascule est tout sauf nihiliste. Elle cherche un sens à son existence et le trouve dans un engagement à la fois exaltant et réparateur (…) Nous n’avons pas limité l’élevage hors sol aux tomates et aux bovins (…) Armée, églises, syndicats, partis politiques, mouvements de jeunesse, corporations… Toutes ces institutions ont perdu peu à peu de leur influence sous l’effet d’une déconstruction promue au nom de l’émancipation des individus (…) L’identité est pourtant invoquée de façon quasi obsessionnelle en une époque où les frontières se brouillent entre affirmation de l’individu et mise en scène narcissique de soi  ».
 
Elle poursuit en évoquant Renan : « une nation, est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ». La France est multiethnique et diverse mais pas multiculturelle : « ce qui a constitué la Nation française, c’est au contraire, la fusion de ces diversités ethniques dans un creuset culturel commun (…) A partir du moment où l’on considère que l’école (…) n’a plus pour objet de transmettre l’héritage mais d’épanouir des individus et de développer leurs compétences pour en faire de futurs consommateurs-producteurs, il ne reste plus aucune possibilité de forger à partir d’individus divers une entité collective ».
 
Pour elle, certains évoquent le respect pour faire taire : « sortir de l’engrenage qui consiste à limiter peu à peu le champ du débat démocratique au nom d’une nouvelle forme de sacralité, celle qui protège l’individu et ses droits devenus illimités (…) la toute-puissance de l’individu est devenue le premier ennemi de la liberté (…) La Nation reste le seul cadre effectif d’exercice de la démocratie (…) Dans le modèle républicain, l’équilibre entre l’individuel et le collectif est sensiblement différent. La puissance publique impose, au nom du bien commun, des limites au déploiement des droits individuels », quand ces derniers peuvent être utilisés pour « faire accepter en France des comportements contraires aux valeurs communes ». Sur la burka, « l’argument n’est pas qu’elles seraient ou non forcées, mais qu’elles n’acceptent pas les règles minimales de respect de l’autre qui permettent la vie en commun  » Et « le voile est parfaitement contraire à toute l’histoire des pratiques religieuses en France, et contraire à certaines des valeurs qui fondent ce pays ». Pour elle, la laïcité, c’est aussi le droit au blasphème.
 
Natacha Polony livre probablement une des meilleures analyses de ces attentats, dont je ne peux donner qu’un aperçu, que seule la lecture du livre permet de vraiment bien appréhender. Dans le prochain papier, je reviendrai sur sa vision de la France après Charlie.
 

 

Source : « Nous sommes la France  », Natacha Polony, Plon

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