Natacha Polony s’interroge sur la France après Charlie

par Laurent Herblay
mercredi 30 août 2017

Outre le fait de remettre à leur place certains analystes à courte vue, et d’offrir une lecture particulièrement intéressante des racines du mal, liant l’évolution de nos sociétés aux motivations des terroristes, sans tomber dans le piège de les excuser, Natacha Polony propose une analyse de la France d’aujourd’hui, assez noire, mais dont la richesse mérite amplement la lecture.

 

Une France malade et résignée ?
 
Natacha Polony dénonce le manque de réflexion consécutif aux attentats. Elle cite Marcel Gauchet qui disait en avril 2015 : « ce qui me frappe, c’est la résignation de notre société à ne pas comprendre  ». Elle poursuit : « qu’avons-nous de commun par-delà ces lettres dorées sur un passeport ou une carte nationale d’identité. Cette question, tout le monde se garde de la poser depuis Charlie Hebdo (…) tant que cette question ne sera pas collectivement posée, non seulement ne seront pas comblées les fractures révélées par les attentats, mais pire encore, d’autres arriveront, atroces, brutaux, détruisant un peu plus le peu de cohésion qui tient debout ce pays  ». Elle revient sur le débat sur l’identité nationale et dénonce les « tabous français qui nourrissent nos crises et que les compteurs Geiger du fascisme interdisent d’approcher », et la simplification du débat entre identitaires xénophobes et bobos bien pensants.
 
Pour elle, « la France est malade d’être une nation fracturée, une masse désormais anonyme de gens qui ne savent plus ce que c’est qu’être français. Elle est malade, surtout, d’être peu à peu diluée dans l’indifférenciation que réclame pour s’installer un libéralisme étendu désormais à la planète entière (…) De l’universalisme, nous avons gardé le pire, et sacrifié le meilleur  ». Le seul horizon serait la consommation et l’uniformisation, cette « modernité conquérante qui exige de vendre des produits médiocres fabriqués par des êtres humains exploités  ». Dans une belle synthèse, elle dit que « de l’inégalité, naît la frustration et de l’ignorance naît le rejet, le besoin de se trouver de nouvelles appartenances  ». Pour les classes populaires, les attentats ont été vus comme une confirmation des problèmes d’insécurité, accentuant le décalage avec des élites sidérées, naïves face à l’islam et méprisantes à leur égard.
 
Elle se fait moins pessimiste en citant Pascal Bories, de Causeur : « tant que l’on arrive à marcher en compagnie de gens avec qui ont n’est pas du tout d’accord, on n’est pas morts  ». Elle parle de s’inventer un destin. « Peut-être cette attaque contre les valeurs humaines dont la France, plus sans doute qu’aucun autre pays, a fait une composante de son identité, va-t-elle nous inciter collectivement à comprendre qu’affronter nos contradictions et nos reniements est désormais vital  ». Elle s’oppose à Todd sur la marche pour Charlie en disant que « c’est bien cette morale laïque, dans ses nombreux développements, que défendaient les manifestants dans leur très grande majorité, et au-delà de leurs différences (…) un refus farouche de voir l’intolérance religieuse et la violence barbare s’imposer en France (…) au fond de chacun de ceux qui ont marché et de ceux qui, ne marchant pas, étaient tout de même avec les marcheurs, la conviction que les valeurs que nous partageons sont belles, et qu’il faut les préserver  ».
 
En synthèse, je suis largement d’accord avec le fait que le message des manifestants, dont je faisais partie, était profondément positif. Mieux, je crois que l’épisode que nous avons traversé nous a fait progresser comme société, nous rappelant nos valeurs et tout ce que la France représente. Je suis profondément heureux de voir comment le rapport au drapeau et à la Marseillaise a évolué, comme si les liens qui nous unissent avaient été ressetté à l’occasion de cette épreuve, effaçant une partie de l’acide eurolibéral. Bien sûr, cela ne vient pas d’une réflexion collective, trop peu souvent menée par des élites qui font parfois complètement fausse route. C’est peut-être de l’ordre d’un réflexe, mais même s’il ne s’agit que d’un réflexe, j’ai l’impression que beaucoup d’entre nous ont redécouvert ce que c’est que d’être Français, de vivre dans le beau pays qui est le nôtre, avec des valeurs qu’il faut défendre.
 
Du coup, même si nos dirigeants poursuivent les impasses du passé, je crois que le corps social français est sorti plus fort de ces épreuves, qui ont redonné du sens à ce que nous sommes pour beaucoup. Bien sûr, mille problèmes subsistent, mais voilà pourquoi je reste optimiste. Un grand merci à Natacha Polony pour cette contribution fondamentale à la réflexion sur ce triste épisode de notre histoire.
 

 

Source : « Nous sommes la France », Natacha Polony, Plon

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