Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
par Sylvain Rakotoarison
mercredi 4 septembre 2019
« Je relisais il y a quelques jours une lettre que Baudelaire écrivait à sa mère, une nuit où il parlait de son découragement, du caractère insupportable de la vie. Et au milieu de la nuit, il décrivait ce moment, celui où souvent il se mettait à écrire de ce qu’il appelait "le ressaisissement". C’est ce qui est en train de se passer dans la société française, c’est le moment du ressaisissement. » (Emmanuel Macron, le 25 novembre 2017 à Paris).
Au début de l’été, il y a deux mois, le 2 juillet 2019, le Sénat a adopté la proposition de loi contre les violences éducatives. Ainsi adopté définitivement par le Parlement à la quasi-unanimité, le texte a été promulgué le 10 juillet 2019 par le Président Emmanuel Macron, devenant la loi n°2019-721 du 10 juillet 2019 relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires, signée également par Édouard Philippe, Nicole Belloubet et Agnès Buzyn.
Le texte est très court. Il est composé de trois articles mais le principal est dans le premier article. Il rajoute dans l’article 371-1 du code civil ce petit alinéa tout simple, qui est maintenant lu aux futurs époux lors de leur mariage : « L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. ».
Honnêtement et moralement, personne ne peut s’opposer à une telle phrase. Les violences physiques sont assez faciles à définir et à constater, une consultation médicale peut suffire, mais c’est déjà plus difficile de définir les violences psychologiques, comme c’est difficile aussi de constater le harcèlement moral au travail.
L’article 2 ajoute la prévention des violences éducatives ordinaires dans le code de l’action sociale et des familles, ce qui rend obligatoire la formation des assistantes maternelles sur ce thème. L’article 3 prévoit un rapport fourni par le gouvernement sur l’état des lieux des violences éducatives en France et sur l’évaluation des besoins nécessaires pour sensibiliser, accompagner et soutenir les parents. Ce rapport aurait dû être remis avant le 1er septembre 2019 mais, à ma connaissance, n’a pas dû être encore remis à ce jour (3 septembre 2019).
Cette loi est en cohérence avec la Convention internationale des droits de l’enfant que la France a ratifiée en 1990. La France est le 56e État à bannir ainsi explicitement les violences éducatives ordinaires, 26e États de l’Europe. Le code de parentalité et de tutelle en Suède interdit tout « châtiment corporel ou tout autre traitement humiliant » dès …1979 (il y a quarante ans).
Le texte ne prévoit pas de sanction car elles sont déjà prévues par les lois précédentes, le code pénal prévoit jusqu’à vingt de prison pour la maltraitance des enfants. L’article 222-13 du code pénal interdit effectivement « les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail (…) lorsqu’elles sont commises sur un mineur de quinze ans ». Précisons le vocabulaire juridique : "mineur de quinze ans" signifie un enfant de quinze ans ou moins. Mais la jurisprudence reconnaissait néanmoins un "droit à la correction" laissé à l’appréciation des familles.
Le texte est donc le moyen plus de sensibiliser que de sanctionner les parents qui "battent" leurs enfants. Battre les enfants semble être un grand mot mais pourtant, il s’agit bien de cela. Il s’agit certes de donner une claque ou de donner une fessée, mais qu’est-ce que c’est sinon des violences physiques et psychologiques (notamment par l’humiliation de la correction) ?
Ce texte était d’origine parlementaire et pas gouvernementale. Un précédent texte avait été déposé lors de la précédente législature mais n’avait pas eu le temps d’être examiné.
Je me méfie toujours des "modes sociétales". Certaines sont pertinentes, d’autres peuvent parfois exagérer. Sur l’éducation des enfants, il y avait ce sentiment qu’une bonne claque pourrait donner un déclic à l’enfant et montrer la fermeté des parents. J’ai d‘ailleurs toujours pensé qu’une claque était plus efficace qu’une fessée dont je n’aurais pas eu l’idée si elle n’avait pas existé (comme moyen éducatif, je précise !).
Une autre réticence plus générale, c’est que je suis toujours méfiant quand l’État s’invite dans la vie privée des gens, or, l’éducation des enfants fait partie, au-delà de l’instruction publique (la scolarité), de la vie privée des ménages, à tel point que même une personne amie aura du mal, si elle veut rester délicate, de donner des conseils éducatifs à des parents sans trop les froisser.
C’était une réticence de même nature que j’avais eue pour la loi sur le mariage pour tous. À la fin, cela signifiait qu’il fallait s’identifier avec sa sexualité, ce qui, selon moi, est un sujet que reste du domaine "sous couette" et pas du domaine public. Avant le mariage pour tous, se marier ne donnait pas forcément une indication sur sa sexualité (puisque rien n’empêchait une personne homosexuelle de se marier malgré tout). En permettant à deux personnes de même sexe de se marier l’une avec l’autre, la nature des sexes des époux donne désormais une indication immédiate sur leur type de sexualité qui de toute façon, quelle qu’elle soit, ne doit être ni une honte ni une fierté. À cela s’oppose la volonté de vivre un amour au grand jour, et cet argument est aussi la justification, après tout, des mariages des personnes hétérosexuelles.
Je me méfie surtout des lois inutiles. Et des mots inutiles, mais à la mode. Le dernier à la mode m’agace fortement même s’il recouvre une réalité qu’il s’agit de combattre férocement : "féminicide". Car ce qui compte, c’est la lutte contre les meurtres des conjoints ou ex-conjoints, pas seulement des seules femmes, même si elles sont nettement les plus nombreuses. Ce sont des homicides, aussi scandaleux que les autres homicides (pas moins, mais pas plus non plus). Tout au plus, il faudrait inventer un mot qui signifierait "conjointicide", mais en reprenant la bonne racine (latine).
Lançant à Matignon le "Grenelle" contre les violences conjugales le 3 septembre 2019, le Premier Ministre Édouard Philippe a déclaré : « Certains hommes se sont habitués à l’impunité. L’impunité de frapper leur femme ou leur compagne (…). La violenter, la terroriser et parfois la tuer parce qu’elle représente une altérité. Le propre d’une altérité, c’est d’avoir une volonté, une liberté qui ne coïncident pas toujours avec la nôtre. Et certains hommes ne le supportent pas. Je ne croyais pas avoir à dire cette phrase un jour, dans une grande démocratie comme la France, mais certains hommes n’arrivent pas encore à supporter que leur compagne existe, autrement que "pour eux". Si bien qu’aujourd’hui, dans notre pays, des femmes, nos concitoyennes, meurent étranglées, poignardées, brûlées vives, rouées de coups. Tous les deux ou trois jours. Parfois sous les yeux de leurs enfants, parfois en pleine rue. Elles meurent en se jetant par la fenêtre, en serrant leur bébé dans leurs bras, pour échapper à leur conjoint. Depuis des siècles, ces femmes sont ensevelies sous notre indifférence, notre déni, notre incurie, notre machisme séculaire, notre incapacité à regarder cette horreur en face. ». Le 3 septembre 2019 en écho au numéro d’appel 3919 qui répond aux victimes de violences conjugales et qui a reçu 53 244 appels en 2018.
Bien sûr qu’il faut lutter contre les violences conjugales, et d’ailleurs, justement, la loi contre la violence faite aux enfants n’est pas sans rapport. Lorsqu’on est violent, on l’est rarement à moitié. L’épouse, les enfants sont parfois tout aussi violentés l’une que les autres. C’est d’ailleurs cette idée qu’Édouard Philippe a voulu marteler : il est faux de dire qu’un homme violent avec sa femme peut être un bon père, ne serait-ce que parce qu’il est dans l’illégalité et qu’il ne montre pas l’exemple, et que taper sur la mère de ses enfants ne paraît pas être un signe de bonne éducation : « On conviendra qu’un père qui ne respecte ni la mère de ses enfants, ni la loi, assume au moins imparfaitement les fondamentaux que la société peut attendre d’un père. Quand un enfant retrouve sa mère inanimée, quand il la surprend pendant qu’elle essaie de camoufler un bleu, quand il entend son père la dénigrer systématiquement, on ne peut imaginer que cet enfant garde, de son père, une image intacte. ».
Et Édouard Philippe de conclure par Victor Hugo : « Certains vont essayer de relativiser l’étendue et l’horreur des violences conjugales. Certains auront peut-être l’indécence de temporiser, au lieu d’agir. Ce n’est pas notre intention. Car on ne le répétera jamais assez : l’absolue singularité des violences conjugales, c’est qu’elles se produisent à l’endroit où l’on devrait se sentir le plus en sécurité. La personne dont on est tombé amoureux, avec qui on choisit de vivre, c’est normalement la personne qui nous donne de la confiance, du souffle. Dans "Les Misérables", Victor Hugo écrit que les gens qu’on aime sont normalement "nos êtres respirables. S’ils nous manquent, l’air nous manque, nous étouffons". Mais quand le conjoint ou l’ex-conjoint rend l’air irrespirable, impunément, je suis convaincu que c’est toute la société qui est non seulement misérable, mais asphyxiée. » (3 septembre 2019).
Je me méfie aussi des grandes déclarations d’élus qui, la main sur le cœur, veulent lutter contre les violences conjugales (qui tuent environ 150 personnes par an, ce qui est beaucoup trop important) mais qui, en même temps, dans un élan de démagogie non assumée, protestent contre la limitation à 80 kilomètres par heure sur les routes à une voie tandis que cette mesure devrait épargner entre 300 et 400 vies par an, soit des centaines de drames familiaux.
Revenons à la fessée et aux claques. La manière d’éduquer les enfants reste du domaine privé, mais la violence, quelle qu’elle soit, est une affaire publique. Elle concerne toute la société. Le premier principe d’un État est d’assurer la sécurité à tous, de protéger les plus fragiles. Or, admettre qu’on peut impunément gifler un enfant, ou lui donner la fessée, même s’il la mérite (mais il la mérite selon quel article de loi ? quels critères ? et qui a condamné l’enfant à une telle sanction, un juge impartial ?), c’est laisser entendre qu’on peut battre ses enfants sans sanction.
Or, la violence est inacceptable. Certes, il y a une différence entre donner une claque tous les dix ans, en clair, "la" claque, parce que c’était nécessaire (voir le fameux film "La Gifle", réalisé par Claude Pinoteau et sorti le 23 octobre 1974, avec Lino Ventura, Isabelle Adjani et Annie Girardot), et gifler tous les jours, pour un oui ou pour un non, un enfant, ou même, parce que le parent est sous la dépendance d’alcool ou d’autres substances.
C’est surtout que la violence ne doit pas être une méthode éducative. C’est vrai qu’on part de loin où, même à l’école, il y a trois ou quatre générations, on n’hésitait pas à utiliser la violence physique pour faire apprendre. Heureusement, cette époque est révolue et il est même interdit de gifler des élèves (un enseignant excédé peut être poursuivi pénalement si cela arrive).
Des documents pédagogiques à destination des familles essaient d’ailleurs d’expliquer que les claques et les fessées ne font jamais du bien et engendrent chez l’enfant la peur, l’incompréhension, la haine, la souffrance et la honte, des sentiments qui ne les aident pas à grandir. Et surtout, ainsi corrigé, l’enfant comprend que le meilleur moyen de s’imposer, d’imposer ses vues, de se faire obéir, c’est de battre les autres, ce qui ne fait qu’engendrer une société de violences pourtant déjà bien développée (souvent par l’incapacité à s’exprimer autrement).
Comme indiqué plus haut, la loi interdisait déjà de maltraiter les enfants. Cette nouvelle loi permet surtout de sensibiliser les parents et futurs parents (notamment au moment du mariage) que la violence physique et psychologique n’est jamais une méthode éducative. Et d’ailleurs, quand on aime vraiment un être, surtout s’il est fragile, comment pourrait-on le frapper en toute conscience ? et pour son bien ?!
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (03 septembre 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Discours du Président Emmanuel Macron le 25 novembre 2017 à Paris (texte intégral).
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
Violences conjugales en France : quelques chiffres qui parlent.
La lutte contre la violence faite aux femmes, nouvelle cause nationale ?
Que restera-t-il du drame de Thionville ?
Marie Trintignant.
Jacqueline Sauvage.
L’Académie française et la féminisation des noms de métiers et de fonctions.
L’écriture inclusive.