Nous, les Français !
par Fergus
vendredi 4 octobre 2013
Parmi ses nombreux dons, le prédicateur de Galilée, un certain Jésus de Nazareth, possédait celui de la voyance : en prononçant la parabole de la paille et de la poutre lors de son grand meeting de la montagne du côté de Capharnaüm, c’est incontestablement aux Français qu’il faisait allusion...
Nous sommes en effet comme cela, nous autres Français : prompts à moquer la paille dans l’œil du voisin alors que nous avons une poutre dans le nôtre ! Râleurs, insatisfaits, envieux, et même parfois mesquins, voilà l’image que nous donnons aux étrangers qui nous visitent et dont les oreilles sont rebattues par nos récriminations et nos frustrations. Petit tour d’horizon en 7 exemples...
Commençons par l’actualité. Les effectifs de l’armée vont être réduits par le gouvernement dans un objectif de diminution des dépenses publiques. Diminuer les dépenses publiques, la majorité d’entre nous approuve cette décision vertueuse en matière de gouvernance, et il en va de même dans les villes de garnison, y compris dans celles de droite dont la population tire à boulets rouges sur l’exécutif PS, suspect d’une prodigalité dont notre pays n’a plus les moyens. Or, voilà que l’on va supprimer quelques unités d’ici à 2019, et les braves gens des communes concernées se dressent (non sans raisons, eu égard à leurs intérêts) avec véhémence pour exprimer leur colère face à des décisions iniques et irresponsables. Supprimer des services publics ou des régiments, d’accord, mais chez le voisin !
Autre sujet d’actualité « chaud-bouillant » comme disent les sportifs : les Roms. Un sujet clivant, une partie minoritaire de la population soutenant les propos de Cécile Duflot, la majorité des Français apportant au contraire son soutien à Manuel Valls. Expulsés, ballottés, soumis parfois à des comportements humiliants, les Roms sont devenus un enjeu électoral, ce qui contribue évidemment à exacerber les opinions des uns et des autres dans des polémiques trop souvent marquées par un manque cruel de nuances. Il y a pourtant un point sur lequel tout le monde ou presque se retrouve : au-delà du problème spécifique posé par les Roms, les conditions d’accueil des « gens du voyage » sont souvent inacceptables. Il faut donc améliorer la qualité des aires d’accueil. Et sans doute en augmenter le nombre. D’accord, mais dans les autres communes !
Toujours dans l’actualité, le travail de nuit et du dimanche n’en finit plus d’alimenter les débats, en suscitant le plus souvent, sur ce thème-là aussi, des éditoriaux et des commentaires tranchés : d’un côté, les libéraux (pour des motifs concurrentiels) et les individualistes (pour des raisons de convenance personnelle) sont résolument favorables à ces ouvertures nocturnes et dominicales ; de l’autre, les défenseurs du respect des valeurs familiales et les opposants aux dérives à l’anglo-saxonne sont vent debout contre toute tentative de déréglementation. Parmi les premiers nommés figurent de nombreux Français qui, un jour ou l’autre, se sont rebellés contre la dégradation de leurs propres conditions de travail, ou, pire encore, les ont subies en pestant. L’extension des contraintes subies par les salariés, d’accord, mais chez les autres !
Toujours sur le plan social, l’écrasante majorité d’entre nous se montre, à juste titre, inquiète de l’évolution du chômage. Avec environ 4,8 millions de demandeurs d’emploi dans les catégories A, B et C, il y a en effet de quoi être révolté si l’on considère que la France reste la 5e puissance économique mondiale. Dans un tel contexte, toute création d’entreprise permettant de créer des emplois est bonne à prendre, estimons-nous avec bon sens. Pourquoi donc, dans une conjoncture aussi difficile et aussi porteuse de menaces pour nous-mêmes ou nos proches, sommes-nous aussi nombreux à avoir adopté, dans les hypermarchés, le « scan-express » qui envoie tout droit à Pôle-Emploi des milliers de caissières chaque année ? La solidarité avec les « hôtesses de caisse », d’accord, mais pas si cela nous prive de notre gadjet !
Et que dire de ce voisin qui perçoit une aide de la mairie ou de cet autre qui ne paie pas son transport alors que l’on doit supporter toutes les charges inhérentes à notre vie ? Des assistés ! Et si l’on bénéficie soi-même d’avantages dans l’entreprise qui nous emploie, c’est tout à fait normal, eu égard à nos immenses mérites, car nous autres, les Français, nous sommes tous persuadés d’être méritants, qu’on se le dise ! Des avantages pour nous, d’accord, mais rien n’est plus horripilant que les avantages des autres !
Détendons-nous maintenant avec le cyclisme. Voilà un sport merveilleux dont on sait que presque tous les champions sont dopés jusqu’à la moelle, au point qu’il faut attendre maintenant des années avant de pouvoir mettre à coup sûr – et encore ! – un nom sur le vainqueur du Tour de France. Les inconditionnels de la transfusion, les accros à l’EPO, les dépendants des hormones de croissance, ce sont eux, ces « forçats de la route » auxquels on demande toujours plus et que l’on cloue au pilori lorsqu’ils se font prendre. Des exploits, d’accord, mais cachez ces seringues que l’on ne saurait voir !
Par chance, il y a le football. Et là pas de dopage. C’est du moins ce qu’affirment, la main sur le cœur, les pontes de la FIFA, les gros bonnets de l’UEFA, et les patrons de notre très vertueuse Ligue Professionnelle de Football. Feignons donc de les croire pour nous intéresser aux exploits de ce Paris SG dont l’effectif a été considérablement renforcé grâce à l’apport des dizaines de millions du richissime Qatar. L’ennui, et c’est bien embêtant, vient des informations qui nous sont données sur cet eldorado des sables : entre les 44 immigrés népalais, réduits à l’état de quasi-esclaves et déjà morts sur les chantiers de la future Coupe du Monde, et le financement par le Qatar de groupes djihadistes au Sahel, on éprouve comme une gêne vis-à-vis des footballeurs du PSG. Mais cela ne dure pas : impossible de bouder son plaisir en voyant le club écraser Benfica et se positionner parmi les favoris de la Champion’s League. C’est immoral, d’accord, mais seuls comptent vraiment les exploits sportifs !
Eh oui, mieux vaut parfois ne pas être trop regardants sur nous-mêmes. Cela dit, rassurons-nous, à la place de « Nous, les Français ! », il eût été facile de rédiger le même type d’article sur « Eux, les Américains ! »... Ou les Allemands... Ou les Britanniques... Ou les Italiens... Ces travers sont en effet tellement humains qu’ils en sont universels !
Finalement, ce n’est peut-être pas aux seuls Français qu’il pensait, Jésus de Nazareth, lors de son discours sur la montagne...