Burqa et libertés

par deusexmachina
mercredi 1er juillet 2009

Les esprits s’échauffent à nouveau autour des signes religieux. Cette fois, il s’agit de la burqa, ce « vêtement » qui recouvre intégralement le corps de la femme. A dire vrai, le sujet ne devrait pas être aussi sensible qu’il le laisse paraître. Et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, sur le plan de la religion, le port de la burqa n’est pas un signe religieux, c’est un signe de sectarisme et d’intégrisme religieux, loin des préceptes du Coran. Je signale par ailleurs qu’étymologiquement religion proviendrait du terme latin relegare, qui signifie relier, rassembler Or, la burqa semble exclure et isoler plus qu’elle ne semble lier.

Ensuite, certains défenseurs de la liberté individuelle haranguent que l’interdiction contreviendrait à la loi républicaine. Dont acte. Mais à bien y réfléchir, l’argument ne tient pas. Et ce, pour deux raisons. Revendiquer le choix du vêtement au nom de la liberté individuelle n’empêche pas l’Etat d’interdire certaines tenues sur la voie publique. Pour autant, personne ne s’en insurge. Les limites de la liberté individuelle s’arrêtent là où débute celle de l’intérêt public. La loi encadre les libertés ; elle protège aussi la liberté d’autrui. Mais l’on rétorquera que se promener nu dans la rue peut heurter la sensibilité des plus jeunes (ou moins jeune d’ailleurs), que l’acte est répréhensible en temps qu’il est porteur de troubles à l’ordre public. Tandis que le port de la burqa n’induit aucun trouble à l’ordre public. Il n’y a aucune atteinte ni aux libertés, ni à l’ordre public. Admettons l’argument dans un premier temps et tenons le pour vrai.

Mais qu’entends-on exactement par atteintes aux libertés ? et sur quoi se fonde cette liberté individuelle ?

Les défenseurs des libertés individuelles refusent toute interdiction selon le principe du libre arbitre de chacun. Ils en viennent à dire que la loi imposerait une pratique vestimentaire ; or, l’imposition est le contraire de la liberté. On est tenté de les suivre dans leur raisonnement. Mais si la rhétorique est adroite, elle n’en est pas moins hypocrite. Ils confondent délibérément interdiction avec imposition. Oui, l’imposition est contraire aux libertés, elle est coercitive, contraignante et assujettissante et à ce titre, la burqa est une forme d’imposition car elle ne laisse pas le choix à la femme de s’habiller autrement. En revanche, l’interdit n’est pas oppressif, ni assujettissant. Interdire, c’est fixer des limites, c’est déterminer un cadre dans lequel chacun est libre d’agir, de penser et de se vêtir à sa guise, mais au-delà duquel la loi républicaine vient sanctionner toute atteinte au droit républicain. La confusion entretenue entre imposition et interdiction sème le trouble. Toute liberté repose sur un minimum de contraintes, elle s’exerce même dans l’acceptation de ces contraintes. En revanche, toute imposition enferme l’individu dans le non-choix, dans l’obligation d’agir selon une seule et unique possibilité, hors de toute subjectivité. Le port de l’uniforme dans l’armée s’impose à l’individu. L’interdiction d’être nu dans la rue laisse toute liberté à l’individu de se vêtir différemment, mais ne fait qu’encadrer sa liberté dans un cadre légal. Imposer n’est pas interdire ; c’en est même l’antithèse. Imposer condamne au non-choix. Interdire pré-suppose le choix mais encadre la limitation des possibles.

Enfin, dernier argument entendu, la burqa n’a pas à être interdite au nom de la liberté individuelle. Très bien. Mais c’est justement au nom de ce même argument, celui du respect des libertés individuelles, que je défends la thèse opposée. En effet, examinons de plus près ce que nous entendons par liberté individuelle. Plus précisément que signifie le qualificatif « individuelle » ? Sous les Lumières de la République, l’individu est un être libre, émancipé, autonome, capable de réfléchir par lui-même, sur lui-même et sur le monde, inféodé aux pouvoirs et aux contraintes du groupe, de la communauté ou de toutes autres formes de corporations. La liberté individuelle s’inscrit dans l’émancipation de l’Homme. C’est en tant qu’individu libre et autonome qu’il m’est permis de voter, c’est-à-dire d’exercer ma citoyenneté. Le citoyen, depuis la Révolution française tient son statut de sa liberté d’acteur. Pas de citoyenneté sans autonomie (autrefois, c’était la propriété privée qui jouait seule ce rôle), pas de droit de citoyenneté sous dépendance. Ainsi des tutelles dont on supprime le droit de vote. Ainsi des mineurs dont on estime que l’éducation citoyenne à la liberté et à l’autonomie n’est pas achevée.

Or, si le citoyen présuppose la liberté, la liberté suppose l’autonomie, la « capacité de choisir selon sa propre loi » hors du diktat de toute puissance coercitive qui encadre les modalités d’action et de pensée des individus. La liberté individuelle s’élève contre la force du groupe.

Reprenons alors : légiférer sur l’interdiction du port du voile intégral reviendrait à légiférer contre les libertés individuelles selon l’argument entendu. Mais nous venons de démontrer l’exact contraire. Légiférer sur la burqa, c’est favoriser l’individualisation, c’est libérer de l’emprise du groupe. C’est refuser la primauté du groupe sur la femme, l’assujettissement de l’individu, l’anathème de toute expression de la singularité.

Qu’on ne vienne pas dire que la burqa est un choix libre et éclairé, une forme de liberté accordée aux femmes de se masquer, se cacher, s’enfermer, s’emprisonner au monde. Certes, il est possible d’en trouver qui le revendiqueront comme un choix, comme une liberté acquise. En fait, il s’agit d’une « liberté » héritée, reproduite. De choix, elle n’en a que le nom. La contrainte du groupe finit pas conduire certaines à faire d’une coercition un choix libre et personnel : mécanisme de défense psychologique bien connu, mécanisme de conditionnement social intériorisé qui conduit à agir conformément à la volonté du groupe (habitus).

Ainsi, nous avons essayé de démontrer (à notre sens) pourquoi le maintien de la burqa ne tient pas : comme pratique religieuse, il n’est référé dans aucun texte sacré ; il n’en est qu’une interprétation éhontée et radicalisée. Comme signe de la liberté individuelle, il est au contraire, l’allégorie même de la féodalité de la femme à l’homme, de refus de toute individualité du corps comme de l’esprit féminin (dans certains cas, le droit même de parler dans l’espace public leur est interdit !). Enfin, utiliser l’argument de la loi liberticide est fallacieux. La loi a tout pouvoir de réprimer certaines pratiques jugées immorales sur le plan des valeurs républicaines : il ne s’agit donc pas de parler d’une imposition d’un code vestimentaire , mais d’une limitation des possibles selon l’ordre républicain français. Et quand bien même il s’agirait d’une "police des mœurs" selon les mots de certains détracteurs (ce que je ne pense pas), elle ne ferait qu’encadrer les mœurs républicaines, ce qui n’est en aucune mesure comparable à toute autre forme de répression morale hors du territoire de la République.

Pour autant, et sur un tout autre point que ceux énoncés précédemment, je ne suis pas sûr que légiférer soit une bonne chose : cela ferait porter le risque d’enfermer encore un peu plus ces femmes. Car l’interdiction n’empêcherait pas de régler le problème, il permettra juste de le déplacer en le confinant dans l’espace privé de la soumission et de l’isolement encore plus grand de ces femmes. Le débat a eu au moins le mérite de faire porter ce sujet sur la place publique. Il s’agit maintenant d’y répondre de manière efficace au-delà des arguments de façade faussement évidents.

 


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