Onfray - Sarkozy : une odeur de poudre, un coup de foudre ?

par Philippe Bilger
mercredi 28 mars 2007

Il y a quelque temps, j’ai découvert une revue mensuelle, "Philosophie magazine". Sa lecture m’a passionné. Le numéro du mois d’avril 2007 nous offre, en particulier, un dialogue exclusif entre Nicolas Sarkozy et Michel Onfray. C’est un débat qui "assure" et qui rassure en pleine campagne présidentielle.


Avant d’expliquer pourquoi, je voudrais aborder deux autres points d’importance inégale.
D’abord, dans le Monde, une étonnante contribution à la défense de Josiane Bigot par Didier Peyrat, magistrat, et Frédéric Zajac, avocat. Etonnante non en raison de l’apologie, que pour ma part j’ai déjà développée dans deux billets, mais à cause de ses modalités. Je suis surpris en effet qu’avec une touche d’aigreur, les rédacteurs reviennent sur la convention UMP consacrée à la justice, en continuant à me mettre en cause - j’y suis habitué, cela ne fera jamais que la quatrième fois !- mais surtout en visant nommément deux collègues et "quelques autres" : nous aurions été présents "un peu ostensiblement". Que les médias dénoncent n’est pas surprenant, ils appellent cela informer. De la part d’un magistrat, j’avoue ressentir une certaine gêne. Qu’on se défende soi-même ou qu’on vienne au secours d’un collègue qu’on estime injustement attaqué, soit, mais qu’on s’appuie pour ce faire sur une mise en cause totalement inutile ne laisse pas de me troubler. L’important n’est même pas que Didier Peyrat ait lui-même risqué de subir une mesure disciplinaire et que collectivement et individuellement- j’ai écrit un post en sa faveur- on ait pris son parti. Il me semble qu’il aurait pu, au regard de ce passé récent, éviter de jeter la suspicion sur plusieurs magistrats dont deux, si je m’excepte, précisément ciblés. Ce n’est pas élégant.

Ce qui est élégant en revanche - bien plus que les glissements progressifs de l’opportunisme qui ont conduit beaucoup de ministres à feindre de choisir ce qu’en fait l’intérêt leur interdisait de refuser-, c’est l’attitude d’un François Goulard, qui au moment où François Bayrou décline doucement, lui affirme son soutien en se distinguant de la majorité de ses collègues. Il est évident que si j’étais Nicolas Sarkozy et si j’étais élu, j’aurais plus confiance, pour la suite, dans le courage dissident d’une telle personnalité plutôt que dans l’adhésion habile de toutes les autres à un homme, espèrent-elles, porteur de victoire. La première aura des vertus fondamentales sous toutes latitudes tandis que les secondes laissent craindre leur assujettissement aux seuls événements. Mais il est vrai que je ne suis pas un politique.

Le dialogue entre Michel Onfray et Nicolas Sarkozy a commencé dans l’odeur de la poudre et s’est presque terminé sur un coup de foudre. Deux personnes on ne peut plus dissemblables, dans leur manière de penser et dans leur mode d’expression. Je n’avais lu que des interviews de Michel Onfray où chaque fois, avec pudeur et fierté, il évoquait ses parents modestes et je comprenais si bien ces sentiments. Pour le reste, son traité de l’athéologie - que je n’avais pas lu mais dont la substance rapportée me déplaisait - m’avait détourné de lui, tant il est vrai qu’on adhère à une croyance moins par sa solidité intrinsèque qu’à cause souvent de la petitesse et de la médiocrité de ses adversaires. Je l’avais revu à la télévision chez Guillaume Durand où il m’avait fait forte impression, tentant de glisser quelques mots dans la surabondance sonore propagée par Bernard-Henry Lévy et à un degré moindre par Alain Finkielkraut. Tâche quasiment impossible mais qui lui avait permis de tirer son intelligence du jeu.

Avec Nicolas Sarkozy, débat, combat, empoignade, dispute mais cantonnés dans des limites acceptables parce qu’en réalité, l’un et l’autre des contradicteurs, en dépit de l’engagement apparent de Michel Onfray, ne s’affrontaient pas sur le même registre. Celui de Nicolas Sarkozy est politique, celui de Michel Onfray philosophique. Leurs conceptions existentielles se trouvent aux antipodes l’une de l’autre. L’homme politique est inspiré par un pessimisme actif, avec une touche d’espérance tandis que le philosophe propose un hédonisme, un culte du présent, une appétence terrestre, qui n’excluent pas l’énergie d’entreprendre. On sent tout de même que le premier, inspiré par l’ambition, n’a qu’une hâte, construire une réalité et édifier une société qui contredisent sa mélancolie sagace tandis que le second est animé par un souffle moral et une révolte humaniste qui renvoient aux concepts d’une gauche tellement universelle et passe-partout qu’elle en devient désirable par tous, sans doute aussi par Nicolas Sarkozy.

Le fond de leur dialogue n’appelle pas de remarque particulière, tant les antagonismes n’apparaissent pas comme le pile de la vérité ou la face de l’erreur, mais comme l’appréhension contrastée de la plénitude d’un problème. Si j’avais à sélectionner un point de vue, ce serait celui de Nicolas Sarkozy, au demeurant approuvé par Michel Onfray, affirmant "rien n’excuse, à mes yeux, l’antisémitisme ou le viol d’une fillette". Le passage d’où j’extrais cette formulation est consacré aux excuses sociologiques qu’on peut trouver aux comportements déviants et transgressifs. Pris intrinsèquement, l’antisémitisme est une opinion malveillante et le viol, un crime monstrueux. Les mettre sur le même plan me paraît relever de l’éthiquement correct mais erroné, sans compter qu’où que ce soit, l’antisémitisme comme pensée et parole dévoyées est à relier toujours avec des causes intimes et/ou sociales profondes.

Le point fondamental d’achoppement entre eux est facilement discernable. Central, il fait référence à la conception de la liberté de l’individu en face du déterminisme. Pour Michel Onfray, l’être humain n’est que façonné. Il n’invente pas son histoire ni n’élabore sa destinée. Le "je" est réduit voire nul devant "l’environnement, les conditions familiales et socio-historiques dans lesquelles nous évoluons". Pour Nicolas Sarkozy au contraire, c’est une sorte de frénésie et de romantisme de l’énergie et de l’action qui prévalent. L’homme en face de son destin, mais pour le vaincre ou l’édifier. La réalité, en ce sens, n’est jamais une limite mais un tremplin, elle ne crée pas de l’impuissance mais de l’envie. L’orgueil de Michel Onfray est d’accepter ce qu’il croit inéluctable, celui de Nicolas Sarkozy, de refuser ce qu’ il estime intolérable. Le premier est un penseur qui voudrait agir, le second un acteur qui réfléchit. A nouveau, le heurt d’une forme paroxystique de la politique avec une sagesse philosophique mise au goût du jour.

Ce dialogue m’a porté au comble de la curiosité pour un autre motif. Il m’a permis de réfléchir sur mon métier - qui est aussi un art de la parole -, à partir du discours de Nicolas Sarkozy, à l’opposé de la manière de parler de Michel Onfray. Chez ce dernier, on retrouve dans la structure même de son langage comme un voile destiné à ne pas rendre les mots trop évidents et éclatants. Le langage adoucit, estompe, cherche à aller au plus près. Ce n’est pas un langage de pouvoir ou de force mais de recherche et de découverte. J’ai mieux compris, en lisant les interventions de Nicolas Sarkozy, pourquoi quelque chose se passe qui n’inspire JAMAIS l’ennui. La parole vient s’accrocher à une montagne invisible et nous grimpons avec elle. C’est une dialectique éprouvée où je ne suis pas loin de supputer que le langage est si déterminé, si intense, si naturellement charpenté, un langage si formidablement de pouvoir, que la pensée est enclose en lui au lieu de le précéder. Aussi, je persiste. Nicolas Sarkozy devrait accepter de compter sur lui-même, plutôt que s’évertuer à croire qu’Henri Guaino lui servira après avoir servi Jacques Chirac. Les discours d’Henri Guaino relèvent de la compilation culturelle, de l’inventaire désordonné, qui s’illusionne syncrétique. L’éloquence, c’est un souffle de vie, l’intensité d’une flamme, l’incarnation d’une conviction et d’une authenticité. Ce n’est pas le langage qui peut artificiellement fabriquer une nouvelle personnalité. C’est la personnalité qui peut se doter d’un nouveau langage. Et alors, peut-être, montrer une facette d’elle encore inconnue.

Ce débat "assure" et rassure. Un dialogue du même type a été proposé à Ségolène Royal. Elle a donné un accord de principe mais rien de plus encore. Nicolas Sarkozy, qui peut irriter ou décevoir, n’a pas été médiocre, bien au contraire, sur ce coup-là.

Il a placé la barre très haut. Pour le citoyen, quoi qu’il pense, c’est gratifiant.


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