Où est le René Descartes de la société musulmane ?

par Serge-André Guay
mardi 14 février 2006

L’affaire de la publication des caricatures de Mahomed m’inspire une seule question : « Où est le René Descartes de la société musulmane ? » Cette dernière semble dans une situation religieuse s’apparentant à celle de la société européenne de l’époque du père de la philosophie moderne, René Descartes, né en 1569 et décédé en 1650. En ce temps-là, le philosophe français et certaines figures montantes en science constatent que la religion n’apporte pas à la société ce qu’elle promet. Les autorités lancent les populations dans des guerres de religion sanglantes, sous prétexte de posséder les connaissances requises pour juger des actions à entreprendre pour faire triompher le bien du mal. En bon philosophe, Descartes s’arrête alors au mot « connaissance », dans le sens de sa vérité. À ce moment-là, une connaissance est dite vraie que si elle est approuvée par les autorités religieuses. Pour sa part, Descartes se demande en quoi la connaissance ou la vérité peuvent conduire le peuple dans des guerres qui lui infligent souffrance et mort.

Pour répondre à la question, Descartes cherche s’il y a moyen d’accéder à une vérité en dehors de l’approbation religieuse. Il y parviendra en mettant au point une méthode, la première méthode scientifique. Il la fonde, entre autres, sur le doute systématique de tout ce que l’on sait, question de toujours être capable de reconnaître ses erreurs. Une connaissance n’est vraie que jusqu’au jour où une autre en décèle les erreurs. Ce faisant, la connaissance s’érige ni plus ni moins sur la destruction du déjà su, d’où l’importance de ne rien prendre pour acquis en définitive, et de douter systématiquement avec méthode. Sans cette approche, la naissance de la philosophie et de la science modernes aurait attendu.

Somme toute, Descartes a permis de distinguer les croyances religieuses et ses dogmes de la connaissance acquise par la raison humaine. Il a brisé le monopole de la vérité détenu par les autorités religieuses. On peut lire ceci sur son épitaphe : « Le premier qui, depuis la renaissance des Belles-Lettres en Europe, a revendiqué et assuré les droits de la raison humaine. » Bref, il a mis fin au Moyen Age dans le domaine de la connaissance, autrement nous croirions encore que la terre est au centre de l’univers, et le taux de mortalité serait tout aussi élevé qu’à son époque, pour ne donner que ces deux exemples.

À mon humble avis, il semble que la société musulmane n’ait pas encore profité d’un Descartes en matière de philosophie. Les dogmes religieux modèrent encore beaucoup la pensée qui permettrait une connaissance objective. Cette société n’est pas pour autant sans histoire philosophique, mais il apparaît que « la philosophie islamique perd son souffle vers la fin du XIIIe siècle » (Source) (À lire).

On ne saura jamais s’il en serait autrement aujourd’hui dans les sociétés musulmanes, si une approche philosophique avait brisé le monopole des autorités religieuses, ce qui n’empêche personne de croire en un, voire plusieurs dieux, mais le discours de l’état actuel des choses au sein des sociétés musulmane ressemble à celui de Descartes à son époque :
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"Quand j’entends des chefs musulmans dire que ces caricatures sont un crime contre un milliard de croyants, j’ai envie de répondre que le vrai crime est dans les 500 millions de musulmans qui vivent dans la pauvreté, les millions d’enfants musulmans sauvagement exploités, les présidents à vie, rois et émirs qui se maintiennent au pouvoir par tous les moyens, les milliers d’opposants qui croupissent dans les prisons de l’horreur (...). Pourquoi les musulmans ne se révoltent-ils pas lorsqu’il s’agit de leurs droits les plus fondamentaux ?"
Mohamed Ferjani, Tunisien résidant
à Saint-Pétersbourg (Russie),
cité dans la chronique du médiateur, Robert Solé,
Le Monde (site internet), 12 février 2006.
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Même si tout ne va pas toujours pour le mieux dans les sociétés où la connaissance est distinguée des dogmes religieux, la lutte contre la pauvreté et l’exploitation des enfants est bien enclenchée, sans compter que les présidents à vie, rois et émirs sont majoritairement choses du passé, tout comme l’incarcération des opposants aux régimes. Ici, on saura accuser l’Occident de maintenir les pays musulmans dans cette pauvreté. Mais si tel est le cas, sous une forme ou sous une autre, c’est encore ici une question de connaissance et de conscience au sein même des populations des pays musulmans en souffrance. On sait qu’il est facile de manipuler un peuple en proie aux dogmes religieux, quels qu’ils soient, et qu’importe d’où peut provenir la manipulation.

Si la diaspora musulmane est à même de constater qu’on peut croire sans pour autant entrer en conflit avec la connaissance de faits et reconnaître le bénéfice de la défense des droits fondamentaux, il en va souvent autrement dans les pays musulmans repliés sur eux-mêmes, où la connaissance la plus objective ne circule pas librement pour permettre aux populations de penser par elles-mêmes.
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P.S. : Évidemment, ce texte simplifie à l’extrême l’apport de Descartes. Il va sans dire aussi que la société dans laquelle évoluait Descartes est sans doute aussi complexe que la société musulmane.
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Serge-André Guay,
Auteur de J’aime penser,
témoignage et essai de gouvernance personnelle.
Version numérique gratuite : info@manuscritdepot.com


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