Outreau : l’ontologie du juge Burgaud

par Bernard Lallement
jeudi 19 janvier 2006

L’émotion était au rendez-vous, hier, pour la première audience publique de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, retransmise par la chaîne parlementaire. Les députés avaient les larmes aux yeux en écoutant les dépositions, toute empreintes d’intenses émotions, de certains des acquittés. « On veut que les personnes qui ont brisé une partie de nos vies prennent leurs responsabilités, soient sanctionnées », a dit Karine Duchochois, en rappelant, avec désarroi, que son fils, dont la garde lui a été retirée durant l’instruction, ne veut toujours pas vivre avec elle. Pour l’ex-huissier de justice, Alain Maréchal, la principale accusatrice, Myriam Badaoui, et le juge Burgeaud « formaient un couple fascinant. » « L’humanité, c’est ce qui a le plus manqué dans ce dossier », a-t-il relevé.

Inutile de préciser que le magistrat instructeur était sur la sellette. Mais les conseillers de la Cour d’appel de Douai n’ont pas, non plus, été oubliés par les ex-accusés, dans leur volée de bois verts contre l’impéritie dont a fait montre la Justice à leur encontre. Ainsi, on apprend que la présidente de la Chambre de l’instruction avait répondu à Daniel Legrand père, qui assurait ne connaître personne dans le dossier : « Vous ferez connaissance à la cour d’assises. » Il a été acquitté après 24 mois de détention provisoire injustifiée.

Au même moment, paraissait une interview du juge Fabrice Burgaud dans L’Express. « J’avais, à l’époque, des indices graves et concordants, prévus par le code de procédure pénale, qui m’ont amené à prendre les décisions de mise en examen », continue-t-il d’affirmer. « J’ai le sentiment d’une profonde injustice, je suis mis en position d’accusé alors que j’estime avoir rempli ma mission honnêtement et conformément à la loi », a-t-il déclaré en ajoutant : « Pour ma part, j’estime encore une fois avoir agi en conscience ; et d’ailleurs je me suis attaché aux éléments objectifs du dossier, et non à des préjugés ou à des impressions. »

Le juge d’instruction avait été entendu, mardi, durant sept heures, par l’Inspection générale des services judiciaires. Il avait contesté les conditions de son audition, protestant de n’avoir pas pu être assisté par un avocat, dont la présence n’est, d’ailleurs, pas prévue par la loi. L’Union syndicale des magistrats (majoritaire) a estimé que la Convention européenne des droits de l’homme n’avait pas été respectée lors de cet interrogatoire.

Le mépris judiciaire

Pour Sandrine Mariette, conseillère à la Cour d’appel de Douai, qui, avec quatre de ses collègues, a suivi le dossier d’Outreau, l’absence de publicité des débats, et l’attitude de la presse, sont, aussi, à retenir dans ce fiasco judiciaire. Pour elle, partir du postulat qu’une faute a été commise, « c’est fausser le débat. »

C’est dire combien la commission parlementaire est le lieu de tous les dangers, tant acquittés et juges paraissent ne jamais pouvoir se rejoindre. Et pourtant, l’opinion publique n’admettrait pas qu’on tire un trait, par de petits arrangements, sur des vies brisées, non seulement celles des accusés, mais aussi celles de leurs enfants.

Que le juge Burgaud ne soit pas le seul responsable de ce désastre, avant tout humain, il faut le souligner, est évident, mais c’est à lui qu’est revenu la charge de rechercher la vérité et, sur ce terrain, sa pratique est loin d’être exempte de reproches. Et on ne peut qu’être surpris par la suffisance de sa déclaration à la presse qui serait presque en passe de le faire passer pour une victime. « Je ne suis pas sûr de partager son opinion. Il faudra un jour en tirer les conséquences », a d’ailleurs relevé Philippe Houillon, rapporteur (UMP) de la commission.

Ce serait une faute politique impardonnable de ne retenir dans cette lamentable affaire qu’un dysfonctionnement, même grave, de L’INSTITUTION. La société ne peut plus admettre que le corps judiciaire répugne à appliquer à ses membres les principes dont il requiert, chaque jour, l’exécution à l’encontre du justiciable : la sanction, effective, des fautes commises, à quelque niveau qu’elles soient commises.

Quelles que soient les réformes nécessaires qu’il convient d’entreprendre, on ne peut plus différer la question de la responsabilité personnelle des juges dans l’exercice de leurs fonctions.

Passer outre donnerait le sentiment que les magistrats restent une caste intouchable, irresponsable par état, et décrédibiliserait, encore plus, une justice qui, un peu plus chaque jour, donne l’impression d’être déconnectée des réalités quotidiennes. Il devient urgent, aujourd’hui, de remettre à plat l’intégralité du système judiciaire et cette réorganisation, en profondeur et sans concession, ne peut être laissée à la simple discrétion des magistrats. La justice concerne l’ensemble des citoyens au nom desquels les jugements sont rendus.

Le juge Burgaud doit être entendu par la commission début février, les acquittés pourront assister à l’audition. Pour la première fois, le petit juge devra affronter le regard de ces naufragés dont son instruction a transformé les destins en cauchemars. Droit dans ses bottes, il ne leur présentera pas d’excuses, a-t-il prévenu, et sera accompagné de ses deux avocats, privilégiant sa carrière à sa conscience. Les deux sont, pourtant, fortement compromises entraînant, dans cette débâcle, une hiérarchie qui a montré son inaptitude à exercer le contrôle qui lui est dévolu par la loi. Visiblement, l’humilité n’est pas la première des vertus judiciaires.

« Un juge habitué est un juge mort pour la justice », rappelait Charles Péguy.

Photos : AFP - Express


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