Parcours complexe de supériorité

par Monolecte
samedi 2 juin 2018

S’il y a bien une chose à retenir de Parcoursup, c’est que l’algorithme n’est pas bienveillant. En fait, la machine ou le traitement automatisé ne peut pas être bienveillant. Parce qu’il ne permet pas l’interaction, tout simplement, pas d’argumentation, pas de cas particulier, pas de recours ou si peu et tellement balisé.

 

Rage against the machine

La neutralité de la machine n’est que celle que l’on veut bien lui accorder. La machine ne fait que le boulot pour laquelle elle a été programmée et le fait suivant les critères et les barèmes qu’on lui a assignés. De ce point de vue là, la machine n’est pas si neutre que cela, elle agit en fonction des intentions de ceux qui se cachent derrière.

En résumé, une machine qui trie en fonction des aptitudes à faire du vélo ne pourra en aucun cas être bienveillante pour les poissons. Sa seule neutralité, en fait, c’est de servir de paravent à l’humain ou au groupe d’humains qui a décidé délibérément d’exclure les poissons de la compétition.

L’absence de bienveillance de la machine est parfois compensée par la possibilité — souvent complexe et écrite en tout petit hors de la zone d’affichage de la page — de poser un recours contre la décision qui se cache derrière la fausse rationalité de la machine. En fait, ce qui rend encore supportable l’inhumanité de la machine, ce sont ses interstices et ses petits bugs. Et la possibilité de contester le verdict de la machine.

En l’absence de tout recours, la machine devient la méthode particulièrement malveillante d’administrer l’arbitraire. C’est une négation de l’homme et de la démocratie. Et c’est très exactement le rôle que remplit Parcoursup en dépouillant ses utilisateurs contraints et forcés de toute possibilité d’action sur leur propre destin. C’est une mécanique froide qui ne sert qu’à imposer le désordre absurde de l’arbitraire en le déguisant sous les oripeaux toujours mensongers de la neutralité de la machine.

L’automatisation du tri des destins de nos enfants n’est pas différente en soit de celle des machines à trier et broyer les poussins : c’est juste de la barbarie nickel chrome. Et elle complète le dispositif de plus en plus abouti et performant du tri automatique des déchets humains, des surnuméraires.

De ce point de vue-là, la seule utilité de Parcoursup est de rendre invisibles ceux qui décident et gèrent le vaste programme d’eugénisme social en cours.

Le régime de la rareté

Dans sa mécanique même, Parcoursup est également conçu pour que tous les triés soient en compétition les uns avec les autres. Là aussi, c’est toujours le même mécanisme à l’œuvre dans la perspective des confiscateurs. Alors qu’il est prévisible depuis 18 ans qu’une classe d’âge plus nombreuse finira par boucler son cycle d’études secondaires et frapper à la porte de l’enseignement supérieur, absolument rien n’a été fait pour prendre en compte cette donnée connue de tous et facile à anticiper.

ParcourSup est un pur produit du capitalisme : censé optimiser l’accès à l’éducation supérieure — convoitée parce que garantissant plus ou moins l’insertion sociale —, le logiciel se révèle au final un outil de plus de la gestion d’une file d’attente qui ne cesse de s’allonger aux portes de la prospérité toujours promise et jamais réalisée. La seule chose qu’organise concrètement Parcoursup, c’est le régime de la rareté amplifié à son extrême, puisque même ce qui était accessible par défaut, comme les universités, devient objet de compétition, de pénurie et d’exclusion.

Le fait d’avoir délibérément réduit la voilure de l’enseignement supérieur alors même que l’on attendait toujours plus de candidats en dit très long sur les intentions réelles des décideurs qui se cachent derrière les algorithmes. C’est absolument la même logique à l’œuvre derrière les plans santé qui, en réduisant systématiquement l’offre, ne tendent pas tant à vouloir limiter la demande par absence d’offre, mais bien à réduire les demandeurs eux-mêmes.

Dans ce contexte, la malveillance qui guide la mise en place de Parcoursup se révèle dans toute sa splendeur par la mise en place d’un dilemme du prisonnier à somme négative à l’échelle d’une génération : celui qui attend le plus longtemps est celui qui a le plus de chances d’obtenir ce qu’il veut, tout en sachant que sa victoire personnelle s’assoit sur une montagne de renoncements, d’espoirs déçus et de perspectives détruites.

Eugénisme psychologisant

La France est aujourd’hui le pays champion de l’OCDE… en inégalités scolaires. ParcourSup est le clou qui finit de refermer le cercueil démocratique. Parce qu’il ne faut pas s’y tromper : hypnotisés par la grande course à l’échalote, les parents d’élèves, eux, souhaitent encore plus d’iniquité, pourvu que leur rejeton soit le canasson qui remportera la timbale.

Ce n’est probablement pas pour rien que le pays de Parcoursup est aussi celui de la cavalcade aux HP. Non pas comme Hôpital Psychiatrique (lequel fait pitié jusqu’à la charité !), mais bien comme Haut Potentiel… ce qui, en substance ne veut pas dire grand chose de plus que le fait que chaque parent, pris individuellement, est plus au moins convaincu d’avoir chié Mozart et Einstein comprimés dans un seul petit corps parfait.
Forcément, d’un simple point de vue statistique, il y en a beaucoup qui se trompent énormément.

Ainsi, voilà le défilé des parents angoissés dans le bureau du psychologue scolaire qui viennent réclamer à cor et à cri dérogation et école spécialisée afin de favoriser l’épanouissement de leur petit génie, à savoir : le mettre à l’écart et l’abri de l’influence nocive des médiocres majoritaires et de cette école de masse qui ne respecte décidément pas les aspirants premiers de cordée.

Et voilà comment les familles qui bénéficient déjà des meilleures conditions d’existence et du meilleur environnement scolaire cherchent encore à tirer leur avantage vers le haut en soutirant encore plus de ressources à la collectivité au détriment de tous les autres qu’ils traitent généralement par le mépris le plus complet. Ce sont évidemment les mêmes qui doivent être favorisés par les critères de tri de Parcoursup, parce qu’ils méritent d’avoir tous les choix quand les autres n’ont que la possibilité de renoncer pour espérer ne pas être éjectés.

Dans un cas comme dans l’autre, le moteur est la distinction, la ségrégation brutale qui ne dit pas son nom, le désir barbare et concret de concentrer toutes les ressources en éliminant ceux qui sont assignés comme surnuméraires.

À aucun moment, par contre, ne se pose la question de savoir si l’école — telle qu’elle est pensée et conçue aujourd’hui — est encore faite pour les enfants en général, s’il s’agit là du lieu de l’épanouissement et de développement des futurs citoyens et de l’ensemble de leurs nombreuses et très variables potentialités ou si c’est juste un immense centre carcéral voué au tri sélectif de jeunes humains en voie de robotisation avancée.


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