Paris 19e : conflits territoriaux et économiques

par pigripi
mercredi 10 septembre 2008

Le 19e arrondissement est quasi quotidiennement le terrain d’affrontements entre jeunes de différentes origines religieuses et ethniques. Cette mini guerre civile n’est portée à la connaissance du public que lorsque les victimes comme Rudy et celles de dimanche dernier sont envoyées à l’hôpital.
Comprendre le 19e, c’est d’abord en connaître les caractéristiques démographiques et économiques : 50 % des logements sociaux de toute la capitale et le revenu le plus faible par UC.

Une nouvelle agression à caractère antisémite, survenue dimanche 6 septembre, rue Petit a retenu l’attention des médias parce que les trois jeunes victimes ont été blessées et hospitalisées. A cette occasion a été rappelée l’agression de Rudy, le jour de la Fête de la musique, dans cette même rue Petit. Rudy avait été gravement blessé et devait garder des séquelles de ses nombreuses fractures.

Les conflits entre juifs et musulmans sont quasi quotidiens dans le 19e arrondissement depuis des années et empoisonnent la vie des habitants du nord-est de Paris. Ils ne sont portés à la connaissance du public que lorsqu’il y a des blessés hospitalisés. Les insultes, les agressions verbales, les bousculades, les bagarres, les regards haineux, les brèves de comptoir antisémites, racistes et hargneuses, les harcèlements divers, tout cela ne semble pas mériter que les autorités locales ou les médias s’en préoccupent. Et pourtant il n’est pas un habitant de l’arrondissement qui n’ait été victime ou témoin de cette hostilité endémique.

Pour comprendre les causes de ces conflits, il est nécessaire de s’intéresser à l’histoire de l’arrondissement, à son urbanisme, à sa démographie et à son économie.

Le 19e arrondissement était traditionnellement un ensemble de quartiers ouvriers avec des ateliers, des usines et des entrepôts. La plupart des immeubles qui y étaient construits étaient de facture modeste jusqu’à ce que Haussmann, avec la contribution de Mathurin Moreau, 1er maire de l’arrondissement et architecte, ne fassent construire des immeubles en pierre de taille, essentiellement autour et dans la proximité du nouveau parc des Buttes-Chaumont, emplacement occupé auparavant par une carrière de gypse qui produisait le plâtre de Paris expédié en Amérique depuis la petite ceinture ferroviaire et le bassin de la Villette, alors port important.

A cause de sa démographie ouvrière et de son occupation industrielle, le 19e est demeuré avec le 18e et le 20e le marché immobilier le moins cher de la capitale. De plus, malgré la présence de son poumon vert, le parc des Buttes-Chaumont, le plus important de Paris intra-muros et la disparition progressive des ateliers, des abattoirs et des usines, le nord-est de Paris a gardé une réputation d’insalubrité, le vent poussant d’Ouest en Est les fumées industrielles.

Que les raisons soient économiques, culturelles, sociologiques ou politiques, le résultat est que le 19e est complètement déséquilibré démographiquement par son parc de logements sociaux :

161 100 logements sociaux pour l’ensemble de la capitale dont 79 022 pour le seul 19e arrondissement soit plus de 49 % contre 13% pour l’ensemble de Paris.[1]

La présence massive de logements sociaux entraîne la présence de familles aux revenus modestes. Le revenu le plus faible de la capitale par unité de consommation est celui du 19e arrondissement : 13 759 euros/an contre un revenu médian de 20 147 euros en 2001.[2]

Il y a trente ans, le 19e était loti de logements insalubres dont nombreux, voués à la destruction, furent longtemps squattés par des populations musulmanes d’origine africaine et nord-africaine. En particulier rue Petit, au niveau du square où fut tabassé Rudy et entre la rue de Crimée et la porte de Pantin. Cette population fut ensuite relogée dans les nouveaux immeubles construits au fil des années. On peut dire que, avec ses anciens squats, ses foyers de travailleurs africains et ses nombreux logements sociaux, la zone comprise entre la rue Manin et la rue de Flandre a été longtemps occupée en majorité par des familles musulmanes venues d’Afrique et d’Afrique du Nord, en particulier d’Algérie et de Kabylie.

De leur côté, de nombreuses famille juives traditionnelles, originaires essentiellement d’Afrique du Nord, en particulier des Loubavitch, s’étaient installées dans les nouvelles tours de la place des Fêtes, vers le haut de la rue de Belleville. Malheureusement, la place des Fêtes a été envahie par des trafiquants de drogue immanquablement accompagnés de délinquants et de receleurs au comportement agressif et incivique. Malgré les plaintes déposées au commissariat et les nombreux appels adressés aux autorités locales, la situation n’a cessé d’empirer au point que les populations juives ont progressivement migré vers le bas des Buttes-Chaumont, entre la rue Manin, la porte de Pantin, la rue Petit, la rue de Flandre et la rue de l’Ourcq. De nombreuses écoles et lieux de prière israélites ainsi que des commerces cachères ont complètement transformé la physionomie du quartier.

Alors qu’auparavant les halls d’immeubles, les placettes, les carrefours et les bords du canal étaient « tenus » par des groupes d’enfants et d’adolescents noirs, des groupes de jeunes blancs commencèrent à occuper l’espace, de manière très visible, notamment à l’occasion du shabbat, du vendredi soir au dimanche matin.

Quoique la population juive du 19e soit majoritairement constituée de petits commerçants et d’employés ne roulant pas sur l’or, elle est mieux lotie que les musulmans qui, pour toutes sortes de raisons historiques, culturelles et sociétales, vivent en majorité dans une grande précarité économique.

Si on voulait résumer la situation, on dirait que les pauvres musulmans ont vu d’un mauvais œil les « riches » juifs prendre leur place.

Si on ajoute à cela la montée des intégrismes religieux, les répercussions en France du conflit israélo-arabe et les différences culturelles, on comprend que la cohabitation entre jeunes musulmans et jeunes juifs soit une véritable poudrière.

Si nous vivions dans une société idéale dotée de dirigeants sincèrement soucieux du bien commun, on imagine que les différentes populations ne seraient pas abandonnées au point de se faire justice elles-mêmes par la violence. Malheureusement, nos dirigeants locaux et nationaux sont plus préoccupés d’échéances électorales à court terme et réagissent à ces mini guerres civiles au coup par coup spectaculaire, sans travail de fond ni opérations durables.



[1] Source : http://www.apur.org/images/notes4pages/4P14.pdf

http://www.apur.org/images/etudes/logsocial.pdf

[2] Concentration de hauts revenus, mais également présence de bas revenus, différencient l’Île-de-France des autres régions de métropole. Cette diversité des niveaux de revenus et ces fortes disparités se retrouvent au sein de la capitale (Figure 1). Quatre arrondissements parisiens (6e, 7e, 8e et 16e) font partie des dix communes d’Île-de-France aux revenus médians les plus élevés. Parallèlement, les 10e, 18e, 19e et 20e arrondissements sont parmi les communes affichant les revenus médians les plus bas. Le revenu médian déclaré par les ménages du 7e est le plus élevé des arrondissements (31 521 € par UC), plus de deux fois supérieur au plus faible, enregistré dans le 19e (13 759 € par UC). UC unité de consommation.

Source http://www.insee.fr/fr/insee_regions/idf/rfc/docs/alapage240.pdf



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