Pas Tati, pas Tautou !

par Voris : compte fermé
jeudi 23 avril 2009

Patati patata, entend-on, c’est la RATP qui ratatine la libre expression en imposant sa censure aux photos des artistes fumeurs. Et bien non, c’est la loi Evin qui le veut, la RATP ne fait que l’appliquer et il est rassurant qu’en France les services publics respectent encore la légalité. Le reproche que l’on peut faire à la RATP, c’est d’avoir flanqué un jouet grotesque jaune fluo dans la bouche de Jacques Tati ! Là est le vrai scandale, là est le mauvais goût le plus accompli ! Pas Tati, pas Tautou et demain pas Gainsbourg si Madame Bachelot ne fait pas modifier la loi pour prévoir ces cas spécifiques.

Dura lex sed lex. Notre Audrey auburn qui incarne Coco Chanel ne passera pas avec sa clope sur les murs du métro.

T’as pas le look Coco !

"La cigarette de Coco Chanel a été refusée par Métrobus, la régie publicitaire de la RATP alors que pour tous les autres afficheurs, elle ne posait aucun problème", a déclaré Olivier Snanoudj, directeur général adjoint de Warner France, qui a produit le film d’Anne Fontaine sorti mercredi. Certes, mais la RATP applique la loi, toute la loi, rien que la loi. La régie publicitaire de la RATP s’en tient à l’application de la loi Evin, qui interdit toute publicité directe mais aussi indirecte pour le tabac. En fait, c’est le distributeur de Coco qui a méconnu la loi en proposant des affiches non conformes à la règlementation.

Et si c’était pour se faire une bonne pub gratuite après la même mésaventure dont fut victime, ces derniers jours, la Cinémathèque française qui vit la photo de son affiche littéralement massacrée par la substitution d’un moulin à vent à la légendaire pipe de Jacques Tati ? De la publicité gratuite dira le promoteur du film ? Mais non, mais non, c’est pour alerter sur la censure, sur l’inadéquation de la loi ? Oui, ou dans un but philantropique aussi peut-être ? Ce serait une question à creuser : quand la décision de placarder cette affiche Coco Chanel a-t-elle été prise ? Comment le publicitaire ne pouvait-il pas être informé de la loi ("Nul n’est censé ignorer la loi") et du bruit autour de l’affaire Tati ? Faut-il s’attendre à ce que le distributeur du film sur Gainsbourg ("Serge Gainsbourg, vie héroïque" de Joann Sfar) nous refasse le même coup médiatique ? Ah non ! Le coup de la clope censurée une fois, ça va, trois fois : bonjour les dégâts !

"Ceci n’est plus une pipe"


Dès connaissance de la suppression de la pipe de Jacques Tati, les esprits se sont échauffés. La Cinémathèque a qualifié d’"incident burlesque" dans "l’esprit de Jacques Tati" la décision prise par Metrobus, s’indigant du zèle, selon elle, dont feraient preuve les fonctionnaires dans l’application des textes. Il est vrai que nous vivons des temps où la loi s’accommode au gré des fortunes des uns ou de autres mais quand même, peut-on reprocher au service public de respecter la loi ?

Le véritable scandale, c’est le mauvais goût le plus total avec lequel on a osé fiche un moulin à vent jaune sur une photo célèbre du cinéaste et acteur Jacques Tati. La pâleur des couleurs de ladite photo n’en fait que ressortir le jaune de l’objet importun. Mais où sont passés les cinéphiles de la RATP ? Pourquoi ont-ils laissé saboter cette belle photo ?

Loi de mauvais aloi

L’affaire va loin : l’Observatoire de la liberté de création de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) a lancé une pétition en ligne pour le retrait de "la ridicule hélice jaune qui masque" la pipe de Monsieur Hulot, héros des films de Tati. Une attteinte grave aux droits de l’Homme donc ? On se demande si le ridicule des réactions ne va dépasser le ridicule de la décision !

Pour le distributeur de Coco Chanel, pourtant informé de la loi et de l’affaire Tati, la RATP a agi scrupuleusement : "Nous sommes dans des lieux qui sont des services publics, où nous devons respecter la loi. Nous avons donc demandé au distributeur de Coco avant Chanel de nous fournir d’autres visuels, ce qu’il a fait". Ouf ! Pas de jouet jaune cette fois-ci.

La loi Evin est mise en cause à juste titre puisqu’elle n’a pas prévu les cas des poses photographques de personnalités pour lesquelles la cigarette, le cigare ou la pipe, est un accessoire parfois incontournable. C’est la position défendue pour le cas Chanel où la pose naturelle cigarette à la main traduirait la forte personnalité et la modernité de Coco Chanel et l’idée de la femme affranchie.

Dans un éclair d’intelligence, la ministre de la Santé Roselyne Bachelot a lancé la semaine dernière : "Ah non, moi, je ne suis pas pour enlever la pipe à Jacques Tati !" Quant à Claude Evin, il jure par tous les saints que sa loi ne dit pas ce qu’il y est écrit. Il a jugé la suppression de la pipe "ridicule". "On n’est pas dans cette situation de publicité indirecte, il s’agit d’un patrimoine culturel qui s’inscrit dans notre culture cinématographique". Pourtant, la loi Evin de 1991 est bien une loi d’une extrême rigueur. Les tribunaux l’appliquent d’ailleurs avec sévérité : sanctions lourdes pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement. La jurisprudence est claire : On ne peut représenter une personne avec un produit du tabac, pipe, cigarette ou cigare. On comprend dès lors la position prudente de la RATP qui ménage les deniers du contribuable. 

En outre, ce serait encourir le risque d’être attaqué par des associations de lutte contre le tabagisme. 

Modifier la loi ? C’est la voie raisonnable puisque les tribunaux n’ont jamais été saisis de cas d’exception de ce genre. Jean-Pierre Teyssier, qui préside l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité, plaide pour un assouplissement de la loi. "Quand une personne a joué un rôle culturel important, de Gainsbourg à Simenon, que la cigarette ou la pipe est un attribut inséparable de sa personnalité et que l’annonceur est sans rapport avec l’industrie du tabac, il pourrait y avoir une exception", a-t-il dit à l’AFP.

La RATP ne peut pas, de sa propre initiative, décider de s’exonérer d’une obligation légale stricte, surtout qu’elle se veut exemplaire en posant des exigences fortes à sa régie publicitaire Métrobus. Au législateur donc de trancher.

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