Pédagogisme, Puérocentrisme et syndrome du glissement
par Eric de Trévarez
mercredi 11 février 2009
Les perversions du système.
Ces propos peuvent paraître ironiques. Il ne s’agit pas de critiquer les formidables outils de la communication, mais plutôt de dénoncer des mystifications dangereuses. Ils pointent le doigt vers un minimum de logique et de bon sens et rappelle surtout la mission républicaine de l’école en France… Peut-on envisager un bon citoyen, privé d’un minimum de savoirs et de culture générale ? Peut-on envisager une école qui n’enseigne plus ce minimum ? Peut-on cautionner une école à la solde du consumérisme ? Peut-on enseigner de bonne foi que la vie ne rencontre jamais aucun obstacle, aucune limite ? Depuis une trentaine d’année, quel véritable contenu avons-nous enseigné et comment l’avons-nous fait ? Quel est notre rapport à l’effort, à la persévérance, à la diligence comme l’on disait autrefois ? Peut-on importer le système scolaire Finlandais en France ? Peut-on généraliser les expériences discutables, faites par ci par là, dans des établissements déclarés pilotes ? Au moment où la crise sonne le glas des utopies, et où nos valeurs républicaines seraient un garde fou, il est possible que nous ayons de nouveaux déboires. La faute à qui ?
Beaucoup s’interrogent sur les changements dont l’école a fait l’objet. En effet, l’école de la République a beaucoup changé, et pas en bien, la mission d’enseigner est devenu souvent impossible. Nous sommes de plus en plus nombreux à accuser le paradigme ambiant. La gestion des élèves et des professeurs se fait maintenant à la façon du marché, dans une vision managériale de l’école. Un groupe d’experts choisis par cooptation, soutenu pendant trois décennies par le pouvoir, a remplacé l’école de la République, par celle des « sciences de l’éducation ». Ce groupe a désorganisé l’intelligence, en vidant les disciplines de leur contenu, et en substituant les compétences aux savoirs.
Les conséquences ont été une érosion de la pensée et une dévalorisation du raisonnement au profit d’un bavardage soumis aux affects immédiats. L’école, en même temps, commençait son bouleversement « managérial », en se mettant à la botte de l’entreprise, et en copiant son fonctionnement. Le pédagogisme a vicié deux générations en supprimant la transmission de la culture républicaine de l’école, et en tentant de « fabriquer » un homme nouveau, modulable mais ignorant et diplômé, conforme à une idée de l’homme moderne, que se forgeait le Haut Conseil de l’Education. Se mettait en même temps en place, une structure implacable pour faire plier les enseignants, écarter les réfractaires, et convertir tout le monde aux nouveaux dogmes des « sciences de l’éducation ». Se mettait aussi en place, tout un système de « formation », où tout le monde pouvait devenir formateur de la dernière nouveauté, d’autant plus que c’était l’ascenseur rapide pour une promotion.
Tout ce que l’on nommait les œuvres classiques ou modernes, jugées trop élitistes, fut retiré des programmes. Le résultat se solda par un arrêt dans l’héritage des savoirs et finalement son oubli. Cette pédagogie du désastre s’est accompagnée de ce que l’on pourrait appeler un « puérocentrisme » , beaucoup plus en accord avec le consumérisme et le règne de « l’enfant roi » qu’avec une quelquonque science humaine, en ayant de graves conséquences à tous les stades du processus éducationnel. Cela nous a conduits à la situation actuelle, et que nous ne pourrons pas redresser en jouant les aveugles. Il est vrai que l’aveuglement de certains, est devenu depuis cécité. L’enfant est au centre de l’école, comme un roi, foulant de ses pieds les savoirs, sur sa tête les écouteurs de son MP3, en guise de couronne … Il règne, il faut le dire, sur l’école et la maison. Les meilleurs avocats de ses carences, se sont ses parents, qui ont été introduits, à renfort, au cœur de l’école !
L’école est devenue un tuyau percé par où ont fui effectivement tout les savoirs, tandis que se mettaient en place les éléments phares de la nouvelle pédagogie : le projet de l’élève, son contrat personnel, et l’organisation de la classe en coopérative. La classe singeait le « démocratisme », le « juridisme » et l’« économisme » ambiant. Le professeur devenait un membre de la coopérative. La structure symétrique du maître et de l’élève disparaissait, la leçon magistrale était abolie, vilipendée comme l’aurait été un instrument de torture, tandis qu’était substituée à la culture générale, une prétendue « culture commune », dont on connaît maintenant la nature, une sous culture consumériste « jeune », une mode, faisant les choux gras du commerce mais le désastre de l’école. La culture générale et la discipline furent mises au banc des accusés, puis décapitées, sans autre forme de procés, pour crime d’élitisme ! Conséquence, un arrêt dans l’égalité des chances tandis que certains établissements explosaient à cause de l’indiscipline et de l’incivilité ; le métier d’enseignant devenait extrêmement dur. Malgré un discours édifiant des spécialistes des « sciences de l’éducation », les enseignants perdaient toute visibilité de leur utilité sociale, et le rôle central de l’Education Nationale au sein de la République, s’estompait. La nation commençait à ricaner de son école et de ses enseignants.
La grande trouvaille des « sciences de l’éducation » a été la distinction entre les « savoirs savants », et les « savoirs scolaires », mais ce qui est moins avoué, c’est qu’on a substitué, en même temps, l’information à l’instruction ! Un jeune qui naît dans la rue, aujourd’hui, a toutes les chances d’y rester, l’ascenseur social est resté bloqué au troisième sous sol, celui du bricolage ! Le sirop pour faire passer ce chambardement fut un langage codé, « scientifique », connu des seuls « initiés », la Novlangue. Le professeur devenait par la même occasion un animateur et un gestionnaire de la classe. La société de consommation commençait à narguer la République, même dans son sanctuaire, et tout cela dans un enfer pavé de bonnes intentions. Le « tout information » venait à bout de l’instruction, dans un syndrome de glissement. On faisait semblant d’oublier qu’apprendre et comprendre sont étroitement liés depuis la nuit des temps et que la pédagogie est un art avant tout. L’éducation donnait l’impression de sombrer dans le nunuche. La fonction républicaine du professeur était rangée au musée de l’histoire, dépassée nous confiait-on, l’ère de la « Grande Pédagogie » commençait… Quand à la transmission culturelle, c’était une préoccupation de bourgeois, indigne d’un enseignant. L’élève privé du savoir et de la culture, devenait un surfeur sur internet, spécialiste dans l’effleurement des choses. Ce modèle faisait de l’élève, une caricature pré-commerciale, une sorte de « veilleur » de l’information, conditionné par la mode et le marché. Le mythe de l’entreprise s’installait à l’école, dans un cocktail de bienvenue, avec cotillon et paillettes. Ce mythe faisait table rase de la culture, et feignait d’ignorer que la République relève aussi de la culture. L’idéal du Citoyen était évacué avec le contenu des programmes, avec les leçons et les devoirs, tandis que la discipline faisait place à la coopérative. L’approche des choses et la lecture devenaient globales, comme le Coca Cola à l’échelle planétaire. Plus de leçon, plus de devoirs, on avait découvert, grâce aux « sciences de l’éducation », le secret de la pédagogie.
On a assisté à la disparition de l’enseignement de l’intelligence critique, au profit de celui de la spectacularisation et de l’innovation à tout prix. La logique s’en est allée avec le bon sens. L’effort était interdit de séjours, il était toujours proposé, puis recommandé, une méthode plus « soft » que la précédente. On nous disait qu’en Finlande, il n’y avait plus de devoirs ni de leçons à la maison, pas de cours l’après midi, que même les cours de physique et de chimie se faisaient au son de la guitare, et que les performances des petits finlandais étaient les meilleures du monde. L’école devenait un lieu de vie, un espace ludique avec un nouveau jouet profilé à l’horizon. L’ordinateur fut très vite détourné par l’élève pour son divertissement personnel, ce qui démontrait qu’il n’était pas nécessaire d’en rajouter. L’ignorance et la démagogie commençaient à gripper la machine tandis que l’on s’orientait vers « le tout compétence » dont on nous rabâchait qu’il devenait indispensable au développement de la société moderne. L’utopie pédagogiste battait son plein, tandis que se vidaient les cervelles, accompagnant et collant au mieux à la spectacularisation et au consumérisme qui envahissaient tous les espaces de la vie. Les nouveaux fondements travestis du consumérisme se mettaient en place, dans un concert d’applaudissements, tandis qu’à l’école, on assistait à une véritable destruction des savoirs. L’école ne fabriquait plus des citoyens mais façonnait des consommateurs. On assistait impuissant à la victoire définitive de la consommation sur notre institution la plus républicaine. Malheur à celui qui osait proférer la moindre remarque. Il était frappé d’anathème, mis à l’écart. Les promotions se faisaient à coup d’innovations spectaculaires, privilégiant toujours la forme, sur le fond. Administrativement, un professeur, bien noté, n’était jamais dans sa classe, mais toujours en sortie pédagogique. Malheur aussi à celui, qui l’année suivante, récupérait ses élèves. Nous n’étions plus à une contradiction prés.
A un moment où la crise sonne le glas des dernières utopies, à un moment où des réajustements douloureux vont se faire entre les nations, on ne peut que déplorer la victoire du consumérisme à l’école. L’élève d’aujourd’hui ne conçoit plus que le divertissement. Il ne répond qu’à ses affects, il est compulsif, comme le parfait consommateur. Est-ce vraiment ce que nous voulions ? Est-ce vraiment le citoyen idéal pour demain ? Décidemment, c’est une lapalissade, mais nous ne sommes pas en Finlande, ni dans le grand duché du Luxembourg…