Peut-on sortir de la pauvreté en France et comment ?

par Eliane Jacquot
mardi 17 janvier 2023

Au terme de deux ans d'entrée dans un temps de fragilisation sociale, il apparaît qu'en France plus de 9 Millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté dont essentiellement des mères isolées et des hommes seuls au chômage partiel ou inactifs. Des solutions existent au travers de politiques de solidarité.

Il convient de déployer les dispositifs sociaux au travers d'aides financières et humaines en suivant les parcours des personnes à partir des territoires qu'elles occupent en relation avec les acteurs qui les accompagnent : Etat, collectivités locales, associations, bailleurs. Et s'assurer que le fameux « pognon de dingue » qui leur est alloué parvienne aux destinataires en sachant en sachant que pour le seul RSA, 34% des bénéficiaires potentiels ne l'ont pas réclamé en 2018, représentant 600000 foyers.

Les faits, les chiffres et la redistribution monétaire

Nous vivons un moment au cours duquel le choc de l'inflation n'a pas encore produit ses effets et où la pauvreté s'enracine avec sa cohorte de privations subies au quotidien. La réalité de la pauvreté est liée aux inégalités dans l'accès à ces biens et services premiers que sont un salaire, un emploi, des conditions de vie décentes et une reconnaissance sociale.

La France en 2020 compte 9 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté qui est de 1132 Euros par mois selon l'Insee, ces individus étant en état de précarité monétaire. Fin 2020, 4,7 millions de personnes sont allocataires de minima sociaux ( RSA, AAH et minimum vieillesse ) et si l'on inclut les conjoints et enfants à charge, cela représente 7,1 millions de personnes en France métropolitaine soit 10% de la population. On observe aussi un taux impressionnant de non recours au Revenu de Solidarité Active dont deux millions de ménages sont allocataires, 34% des bénéficiaires potentiels ne le réclamant pas selon la DREES par manque d'information ( 1). Cette précarité touche aussi les étudiants, 38% d'entre eux ayant perçu une bourse sur critères sociaux en 2020 d'après le Ministère de l'Enseignement Supérieur. Parmi les 3 millions d'indépendants que compte la France métropolitaine, un peu plus d'un sur dix gagne moins de la moitié du SMIC annuel et vit sous le seuil de pauvreté. Ils sont exploitants agricoles, restaurateurs, coiffeurs, boulangers, artistes...

Le récent recul du chômage s'est réalisé au prix d'une flexibilisation et d'une précarisation des emplois. C'est ainsi que dès avant la crise sanitaire 2,6 millions de personnes étaient inscrites à pole emploi depuis plus d'un an. Et même en cas de reprise économique ils n'ont aucune chance d'être recrutés par les entreprises. La reforme de l'assurance chômage qui va prendre effet au cours du mois de mars de cette année va avoir un impact dramatique pour les plus précaires sur fond de crise sociale. Enfin, le Secours Catholique dans son Etat de la Pauvreté en France en 2022 observe un taux d'activité en recul pour les individus rencontrés par ses équipes. La part des personnes qui ne sont ni en emploi, ni en formation représente 16 points de plus qu'en 2011, bien que le niveau d'étude de ces individus augmente …

Seule note positive de ce constat préoccupant, le processus de redistribution au travers des minima sociaux « réduit de 7,6 points le taux de pauvreté : 14, 6% de la population métropolitaine vit sous le seuil de pauvreté en 2019 contre 22,2% sans redistribution » d'après la DREES.

Stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté

De réformes en réformes, de chaises musicales en chaises musicales , de recommandations en recommandations, les évolutions de la pauvreté dans le temps deviennent trop complexes pour etre appréhendées par un indicateur purement monétaire.

Depuis une vingtaine d'années les pouvoirs publics ont mis en place un système d'aides sociales, filet de sécurité indispensable, permettant d'éviter l'explosion du taux de pauvreté. Trois objectifs prioritaires ont été définis par la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté lancée en 2018 par France Stratégie. Il s'agit - d'éviter la reproduction sociale de la pauvreté dès le plus jeune âge, levier indispensable de correction des inégalités, - de permettre aux individus d'en sortir par l'emploi au travers d'un parcours de formation professionnelle visant tous les jeunes entrants sur le marché du travail, - de ne laisser personne en situation de grande pauvreté au travers de l'insertion. Le déroulement de ce projet volontariste s'est heurté à de nombreux obstacles venant de la pluralité des intervenants. Ceci a conduit très récemment, Jean-Christophe Combe, Ministre des Solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées à signaler dans le cadre d'un congrès, réuni en décembre 2022, que le non recours au RSA, au minimum vieillesse représente un échec pour la légitimité de notre modèle social. Il propose d'y recourir par un accueil social sur l'ensemble du territoire, au sein des départements ou des communes permettant un accompagnement dans la durée des populations fragilisées. Il propose de déployer une réforme en 2024 qui consistera à « simplifier massivement les démarches administratives pour bénéficier des prestations de solidarité. » Un rapport récent de la Défenseure des Droits, Claire Hedon fait aussi apparaître une nouvelle forme de non recours liée à la fracture numérique.

La pauvreté est multidimensionnelle et ne peut se résumer à une approche quantitative.

Seuls les réseaux d'associations et d'entreprises solidaires très actifs en France permettent d'y remédier. Depuis peu, les Restos du Cœur, le réseau des Banques Alimentaires, la Fondation Abbé Pierre ont enregistré une augmentation de leur fréquentation liée à l'inflation. Notons que la précarité augmente aussi dans les campagnes, loin de la présence des services sociaux. Pour la présidente d'ATD Quart Monde « le RSA n'est pas un choix, c'est le dernier filet de la solidarité nationale. On ne vit pas avec le RSA, on survit. » Et parce que l'approche territoriale est essentielle, l'expérimentation Territoires zéro chômeurs de longue durée ( TZCLD) est née d'acteurs associatifs er politiques. Il s'agit de recenser dans de petits territoires les publics éloignées du marché du travail en leur proposant d'intégrer une entreprise à but d'emploi ( EBE). Dix villes de moins de 10000 habitants ont expérimenté le dispositif depuis 2017, rejoints par d'autres depuis lors. Les emplois crées par les entreprises de l'économie sociale et solidaire ( ESS) sont aussi des piliers de l'inclusion sociale. Régis par une gouvernance participative, ses acteurs ont crée entre 2010 et 2019, 84800 emplois. A ce propos, l'association ADIE créée en 1989 par Maria Novak, souvent implantée dans des territoires dits fragiles, cible plus particulièrement les personnes aux revenus modestes et les travailleurs indépendants. 

Après avoir vu que face aux inégalités sociales, seul un accompagnement dans la durée permet une véritable insertion professionnelle, il convient de préciser que les pauvres n'ont pas choisi d'être des assistés et les aspirations de la plupart d'entre eux est de pouvoir contribuer à la production de richesses, leur permettant de bénéficier de protection sociale, certains d'entre eux voyant leurs compétences acquises désormais plus reconnues, femmes et hommes devenus inutiles voire invisibles. Oui, être pauvre, c'est souvent être isolé, dans des conditions de précarité extrême, dans un état de fragilité sociale, de dégradation de la santé physique et mentale, et même privé de droits. Et une meilleure répartition des richesses rendrait la France plus juste et permettait d'en finir avec la fracture territoriale, politique et sociale.

(1)https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/infographie-video/le-non-recours-aux-prestations-sociales-en-france-et-en-europe-infographie

Eliane JACQUOT

 


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