Pierre Carles est revenu sur l’affaire Méric

par Beauceron
samedi 24 août 2013

C'était dans le dernier numéro de Siné mensuel. Pierre Carles, journaliste indépendant impertinent, fantasque et lucide, auteur du fameux Pas vu Pas pris (documentaire démontrant les connivences entre journalistes et milieux politico-financiers) a donné son point de vue sur l'affaire Clément Méric, jeune militant de l'ultra-gauche tué par un autre jeune, Esteban Morillo, issu lui de l'ultra-droite. Son article est une bouée de lucidité dans un numéro par ailleurs fort médiocre du périodique de Siné...

Pierre Carles nous rappelle qu'entre Méric et Morillo, il y a un gouffre culturel et social. L'un est un fils de prof aisé et doué pour les études, l'autre issu des classes populaires de province (de l'Aisne en l'occurence, je vais y revenir...). Surtout Méric avait intégré la filière journalisme de Sciences-Po... et c'est bien pour cela que le fait divers a effrayé les journalistes plus que le grand public, esprit communautaire oblige... car les bagarres politiques, même sanglantes, ont toujours été fréquentes dans Panam, en particulier dans le quartier latin. Mais on ne touche pas impunément à un futur membre des chiens de garde du pouvoir, pour reprendre l'expression de Serge Halimi...

C'est donc un choc culturel qui a provoqué le clash entre les deux jeunes rebelles. Esteban a grandi à Neuilly Saint front, commune de 2000 habitants perdue dans la campagne axonaise entre Château-thierry et Villers-cotterets. Pas de vie culturelle dans ce patelin, une petite gare SNCF secondaire qui ne dessert pas Paris, des commerces qui ferment les uns après les autres. Marine le Pen en tête à l'élection présidentielle dans un endroit où pourtant il n'y a pas de diversité ; pas d'ouverture sur le monde. Etre rebelle dans un coin pareil c'est boire de la bière plus qu'il n'en faut, se chausser de rangers et pratiquer la chasse au sanglier...

Esteban s'est toutefois extirpé de ce ghetto rural pour découvrir Paris, sa diversité, ses bobos et ses bandes de banlieue... déracinement à la Barrès garanti pour notre ami au faible niveau scolaire qui y a trouvé cependant des petits boulots et une copine branchée... l'antithèse de Clément le jeune BCBG qui finissait sa crise d'ado attardé en chassant le "facho"... il se disait membre de "Paris-banlieue", quelle banlieue ? le Vésinet ou Saint-Cloud ? certainement pas celle des cités HLM dont sont issus des lascars plus en phase avec les repères d'Esteban que des siens...

Esteban est lui aussi issu de l'immigration, il ne respecte que la force brute comme les jeunes de clichy-sous-bois et s'est construit une identité sur des repères primaires et fermés : sa couleur de peau, la religion de ses parents... comme tout jeune vivant dans une société consumériste et individualiste ou le "chacun pour sa gueule" est encouragé. A défaut de patriotisme et d'esprit républicain, on se replie sur d'autres valeurs. La misère sociale et culturelle veut cela.

Clément Méric ne pouvait comprendre cela, lui qui a toujous vécu en milieu protégé à l'abri du besoin. Il ne pouvait conceptualiser, bien élévé qu'il était, le racisme inter-communautaire, les trafics de drogue, la délinquance des pauvres, les ravages de l'immigration et des divisions qu'ils engendrent...

Pour conclure Pierre Carles ne se trompe que sur un point : c'est davantage la discrimination géographique que scolaire ou sociale qui a conduit Esteban à se radicaliser. Il a été scolarisé... en ZEP rurale ! Comment peut-on comprendre le monde dans un patelin où la seule fête digne d'intérêt est celle de la cueillette des pommes, une fois par an ?

Les grandes villes permettent un brassage d'idées, une ouverture culturelle et surtout des échanges... qui ont permis les révolutions politiques par le passé. Progressisme urbain contre conservatisme des campagnes, Clément contre Esteban, riches contre pauvres...

Je vous entends d'ici ricaner... Esteban aurait-il été différent s'il avait grandi dans les 4000 à La Courneuve ? Peut-être... j'ai enseigné dans ce secteur : on y trouve des médiathèques, des cinémas, des espaces culturels... et surtout Paris est proche. Beaucoup d'enfants de ZEP parviennent à s'extirper de leur pauvreté par les études permises par ces structures et la proximité des facs... il n'y a pas heureusement que des dealers et des salafistes dans ces contrées. Lutte des classes et/ou exclusion géographique.... l'affaire du pauvre Clément Méric n'est qu'un révélateur d'une triste réalité.


Lire l'article complet, et les commentaires