Place et marques de la religion dans la société
par Alexis Neuhauser
mercredi 9 décembre 2015
Il m’a récemment été donné de voir qu’outre les dissensions existant entre différentes confessions, il existe des formes d’intolérance des athées envers toute présence de religion. Le phénomène d’intolérance, bien que regrettable en soi, surtout dans un pays où sont prônés la liberté et le respect des opinions, est naturel puisque chacun souhaiterait voir sa propre pensée acceptée de tous. Qui plus est, pour un athée, la preuve de la foi des autres peut effrayer, causer la peur d’être embrigadé, envahi. Or dans notre pays se côtoient et se confrontent de nombreuses fois et manifestations d’incroyance. Il est donc compréhensible que les membres de chaque groupe cherchent à rallier leurs antagonistes, et que, ce faisant, aient lieu des heurts. Mais ceux-ci sont dus avant tout à un manque de compréhension et d’échange. J’essaie ici de remédier à cette distance pour qu’un vrai dialogue et un meilleur échange puissent naître.
J’ai entendu critiquer la présence de la religion dans la société comme si son existence mettait en danger l’existence de l’État laïc ou les autres confessions sous pression. D’ailleurs cette crainte traduit également une méconnaissance du principe de laïcité, qui fait de la religion un tabou et la frappe d’interdit, voire une tare, au lieu d’en faire un sujet de débat et d’échange. Pourtant la religion fait partie de ce qu’on appelle une société, comme quelque chose qui rassemble, comme la langue, la monnaie ou le drapeau. La religion, prise comme une façon de mettre en pratique sa foi, est un marqueur culturel et donc social. En effet, elle se perpétue par tradition, c’est-à-dire par transmission, de génération en génération. En cela, elle est un indicateur identitaire pour une population qui se reconnaît dans ce qu’elle reçoit de ses anciens. Mais la religion se transmet aussi horizontalement, c’est-à-dire au sein d’une même génération, entre membres d’une même communauté mais de fois différentes, ou entre différentes nations ou groupes humains. Par exemple, la diffusion du christianisme au sein de l’Empire Romain, ou la transmission de l’Islam et du Bouddhisme le long de la route de la soie, montrent que les activités sociales et la religion sont indissociables. Religion et culture sont donc intimement liées, comme religion et histoire. Chaque page de notre histoire, des plus sombres comme celles des guerres de religion, aux plus belles, telles les règnes des rois saints. Pour le meilleur et pour le pire, les religions ont imprégné notre histoire et ont donc conduit au monde dans lequel nous vivons. Elles sont donc un legs commun à tous. En particulier, l’histoire de notre pays comporte des moments de terrible confrontation comme de grande tolérance, qui sont connus de tous, et qui menèrent à l’adoption de la liberté d’opinion, d’expression et donc de culte. Ce principe garantit que tous les citoyens, païens, chrétiens ou athées, puissent faire profession de foi ou de non foi sans en être inquiétés.
Cela me conduit vers les marques apparentes de la religion que l’on peut apercevoir un peu partout et qui sont critiquées sous prétexte qu’elles extirpent la religion de la sphère privée, comme si une preuve de foi constituait une agression ou une volonté de subjuguer l’autre. Ces marques sont essentiellement un élément d’identité pour celui qui les arbore. Elles représentent, tout comme des habits, des bijoux ou une coiffure, des facettes de sa personnalité que souhaite mettre en avant la personne qui se dévoile ainsi. Ainsi, il ne s’agit que d’une affirmation, d’une expression de ce que l’on est et de ce que l’on veut que les autres perçoivent. On peut voir aussi une marque religieuse comme un rappel à soi-même de ce que l’on est et de ses devoirs. Le contact ou la sensation d’un signe distinctif pousse à se comporter selon ses convictions, à réprimer des actions ou des pensées inconvenantes. C’est aussi un fier rappel des choix et des sacrifices que l’on est amené à faire par sa foi et dont on veut témoigner la grandeur tout en s’en souvenant en toutes circonstances. Je n’ai eu encore aucun contact avec des marques religieuses brutales ou insultantes pour les non-croyants, mais s’il en existe, je pense qu’il s’agit d’un non-sens. En aucun cas cette profession de foi matérielle ne consiste en une agression ou un empiètement sur les droits d’autrui, ou un manquement aux règles de la vie en société occidentale, mais plutôt en une invitation à la découverte, au partage de ce qui est considéré comme essentiel, voire saint.
Enfin, on arrive au fondement de la question de la présence des signes religieux au sein de la société : le lien entre religion et vie privée. J’ai tâché de montrer plus haut pourquoi la religion était indissociable de la vie en communauté, en société, même quand les membres du groupe ne partagent pas la même confession ou n’en possèdent pas. Or non seulement, la religion est un élément de notre société, mais on la retrouve à tous les niveaux : de l’individu à la famille et de la famille à l’État. Essentiellement, les religions monothéistes sont conçues pour la communauté et non pour un individu solitaire ; le culte doit être vécu à plusieurs, il doit constituer une communion entre ses membres. Ceux-ci doivent exprimer ce qu’ils croient être la vérité, leur bonheur, en espérant le communiquer à d’autres. Rien que de très naturel. En particulier, les fidèles ont souvent la religion comme ligne de conduite et comme trait de personnalité. Cette perception de la religion, en guide des pensées et des actions, en fait un acteur non négligeable de tous les phénomènes sociaux, qui transcende donc le domaine de la conscience et de la vie privée. En fin de compte, la religion peut être considérée comme un lien entre sphère privée et société. C’est la religion qui fait passer de la foi du fond du cœur des fidèles au culte et à la tradition, qui eux sont publics et surtout, communs.
En définitive, la place de la religion ne peut être un confinement dans la sphère privée, mais au contraire elle doit s’affirmer au sein de la société, ce qui d’ailleurs sera bénéfique pour les deux. Il conviendrait pour cela que croyants comme non croyants soient mieux éduqués, et apprennent à communiquer entre eux avec respect. En revanche, interdire la présence de signes religieux afin de préserver la neutralité de l’environnement ne peut qu’attiser le ressentiment des fidèles vexés dans l’amour de ce qu’ils tiennent pour sacré. Prohiber les marques apparentes de religion, les habits des membres du clergé ou les accessoires typiques des laïcs devrait s’accompagner, en toute logique, de l’interdit de tout signe distinctif, tels que marques commerciales, uniformes quelconques, voire modes vestimentaires. En fait, cela nous mène à l’impossibilité d’exprimer son identité et ses convictions par notre apparence et donc à l’uniformisation pure et simple de la société, à la dissolution des différences dans une neutralité suspecte.