Plaintes de consommateurs : les ressorts psychologiques
par lucdelporte
mardi 26 mai 2009
Les consommateurs, ça consomme. Les consomm’acteurs, ça se plaint. La DGCCRF produit un intéressant document pour comprendre les ressorts psychologiques et sociologiques de la « plainte ». Et ce au moment où les « recours collectifs » pourraient arriver en France.
En parcourant mes sites préférés, je suis tombé sur cet intéressant document : les Actes des Ateliers de la DGCCRF consacrés aux plaintes des consommateurs. Ces ateliers, qui ont lieu 2-3 fois dans l’année, regroupent des associations, des juristes, des fonctionnaires de Bercy, des universitaires et des intervenants des institutions européennes autour d’un thème lié à la consommation.
Et les Actes (pdf) de ces Ateliers fournissent une documentation passionnante sur ces sujets très contemporains : qui n’a pas eu de problèmes avec son opérateur téléphonique ou sa banque (voir les comparatifs des frais bancaires) ? Cette fois-ci, les Ateliers tentent d’apporter des éclairages sur les plaintes des consommateurs, dont j’essaie de vous tenir au courant sur mon blog. La journée, qui avait lieu en février, s’intéressait principalement à la caractérisation des plaintes (aspects psychologiques), à leur mesure (baromètre, scoreboards), et enfin leur traitement (comment on résout les conflits).
C’est la partie sur les ressorts psychologiques de la plainte qui est la plus intéressante à mon avis (mon avis de consommateur qui se plaint souvent, évidemment). La base de la plainte vient ainsi du sentiment d’insatisfaction du consommateur après son achat, cette insatisfaction se traduisant par des réponses comportementales (on tape, on crie, on avertit ses amis du défaut remarqué) et des réponses non-comportementales (on oublie, on n’a pas le temps de s’énerver pour ça, on est « passif »). D’autres sentiments sont également mis en jeu pour aboutir à une plainte : sentiment de frustration (qui augmente avec le nombre d’insatisfactions), sentiment d’iniquité, d’injustice (face notamment à la réponse de l’entreprise : fait-elle amende honorable ou s’enfonce-t-elle dans sa rigidité, empirant le problème), et enfin, des attributs psychologiques propres aux individus (assurance qui autorise l’expression de son mécontentement).
D’autres ressorts sociologiques sont à prendre en compte. Le niveau d’éducation des individus joue beaucoup : une personne qui connaît le commerce, qui connaît les recours possibles, aura plus de facilité à déposer (en tout cas à exprimer) une plainte, car il sait l’entreprise ou le produit en tort, et il sait aussi qu’une réparation (remboursement, retrait du produit, geste commerciaux) est possible. Autre facteur, dont on évitera de tirer des conclusions mysogines ou sexistes : les femmes ont une propension plus élevée à la réclamation, probablement parce que ce sont plus souvent elles qui s’occupent du budget familial et des courses. Inversement, d’ailleurs, les personnes âgées ou les personnes habitant en zones très reculées, qui donc achètent moins souvent, ont moins tendance à se plaindre.
Enfin, cet intéressant chapitre rappelle que la plainte est un processus, et tous ceux qui ont un jour eu le courage de se mettre en action face à une injustice commerciale (frais bancaires abusifs, SMS surtaxés) en savent quelque chose. Dominique Roux, Professeur à l’Institut de recherche en gestion (Paris Est), parle du « coût » de la plainte pour le consommateur : effets de seuil (à partir de quel moment je décide de porter plainte), coût de la plainte (en démarches, en recherche d’infos, en courriers à répétition), problèmes d’identification du responsable (le producteur ? le distributeur ? le fournisseur ? l’installateur ?)…
En guise de conclusion, on peut évoquer les pistes qui s’offrent au mouvement des consommacteurs, notamment celui, judiciaire, des « class actions ». Ces actions en justice (aussi appelés « recours collectifs »), si l’on traduit ce concept venu des Etats-Unis, permettent à des personnes lésées par un même service/produit/entreprise de se réunir et d’attaquer en nom collectif pour obtenir des dommages et intérêts substantiels. A titre d’exemple, l’affaire américaine Dukes v. Wal-Mart Stores, toujours en cours, oppose l’ensemble des femmes ayant travaillé dans cette entreprise de distribution (soit … 1,6 millions de personnes) à la direction pour discrimination basée sur le sexe. J’avais aussi évoqué la possibilité pour les utilisateurs de retourner contre les banques leurs propres chartes du développement durable. Il est donc dommage que Luc Châtel, le secrétaire d’Etat à la consommation, ait retiré l’amendement à la loi de la modernisation de l’économie qui aurait permis aux class actions de voir le jour en France (La Tribune).
Luc, Consommaction
Dessin de Bobodessin (recommandé par un consommacteur !)