Pleurs sur la ville

par Voris : compte fermé
jeudi 23 novembre 2006

Pourquoi faut-il que les pouvoirs publics attendent toujours un déchaînement de violences pour faire quelque chose pour les banlieues ? En 1981, soulèvements aux Minguettes et à Vaux-en-Velin, et en novembre 2005 à peu près dans toutes les grandes villes... Le politique ne s’intéresserait-il aux ghettos que sous l’emprise de la peur, ou dans une perspective électorale ? Pourquoi tant de dispositifs pesants, d’organismes peu efficaces ? Pourquoi tant d’échecs dont on tire mal les leçons ? Le bilan que je dresse ici de vingt-cinq années de politique de la ville montre que les résultats sont décevants, et que fatalement l’histoire est appelée à se répéter...

1 - Resituons d’abord le problème :

En 1981, il aura fallu des soulèvements dans la banlieue lyonnaise des Minguettes et à Vaux-en-Velin pour éveiller une timide prise de conscience qui conduira à la création du développement social des quartiers (DSQ). Il s’agit de revitaliser, avec le concours des habitants, les sites urbains en difficultés. Cette idée sera suivie dès l’année suivante par la notion de ZEP (zones d’éducation prioritaires).

En 1990, une étape supplémentaire est franchie avec le droit au logement reconnu dans la loi Besson, droit qui implique un devoir de solidarité nationale et qui doit être garanti : concrètement les personnes en difficultés ont droit à une aide pour l’accès ou le maintien dans un logement décent et indépendant.

On est passé progressivement du développement social urbain (DSU) à une véritable politique de la ville. Les vieilles ZUP (zones à urbaniser en priorité) qui dataient de 1958 sont supprimées en 1991. C’est alors la LOV, nom qui ne signifie pas que l’on va propager l’amour dans les cités, mais abrège « loi d’orientation sur la ville », loi dont l’objectif est de promouvoir une politique de diversification de l’habitat pour lutter contre la concentration de l’habitat social dans certaines zones.

Enfin le contrat de ville est créé en 1994 avec pour but affiché de tourner la page sur les réponses parcellaires, au coup par coup, cloisonnées, et de mettre en oeuvre une politique à la dimension de l’agglomération urbaine avec engagements des acteurs locaux sur des objectifs fixés par contrats de cinq ans.

Mais elle court, elle court, la politique de la ville, et elle n’arrive jamais à appréhender ni à maîtriser une réalité sociale qui va trop vite !

Encore une fois, il faut un déluge monstrueux de violence (offert au regard inquiet du monde entier) pour que des dispositions évidentes et vitales soient prises. Exemple symptomatique : ce n’est qu’après les émeutes de novembre 2005 que la commune de Clichy-sous-Bois se voit promettre pour trois ans plus tard le commissariat de police réclamé depuis vingt années !

Aujourd’hui, la politique de la ville oscille dans ses actions entre un Etat animateur, un Etat autoritaire, ou encore un Etat qui voudrait s’effacer au profit des maires (loi sur la délinquance).

2 - La politique de la ville aujourd’hui mise à l’épreuve 

A l’épreuve de la confrontation de son bilan et des enjeux actuels et futurs mal pris en compte.

Ce n’est pas faute d’y avoir mis de l’argent.

Les crédits consacrés à la politique de la ville ont connu une progression de 12 % par rapport à 2005 soit 1,085 milliard d’euros (en crédits de paiement). De même, l’accroissement des enveloppes du Fonds interministériel des villes s’est élevé à 47 %, en moyenne, en Ile-de-France. Au-delà de ces crédits, l’Etat s’est engagé à augmenter la dotation de solidarité urbaine de 120 millions d’euros par an pendant cinq ans.

Ce n’est pas faute d’avoir innové non plus.

L’affirmation de l’idée d’égalité des chances et la batterie de mesures corollaires : promotion de la réussite scolaire, de l’emploi, du développement économique, renforcement du lien social.

De nouveaux outils ont été mis en place, comme l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ANCSEC), un guichet unique destiné à soutenir les actions dans les quartiers sensibles. Le contrat urbain de cohésion sociale (CUCS) remplacera dès le 1er janvier 2007 le contrats de ville.

Dans le cadre de la rénovation urbaine, il est prévu la réhabilitation de 182 000 logements sociaux et la construction de 84 000 autres (135 conventions sont d’ores et déjà signées).

Mais il reste beaucoup à faire.

Le temps des institutions n’étant pas celui des médias, l’image renvoyée par ces derniers à l’opinion publique est très négative, les habitants des banlieues ont l’impression que les choses n’avancent pas.

Des rallonges budgétaires sont parfois venues seulement rattraper les restrictions arbitraires décidées juste avant ; ainsi en Ile-de-France.

La police de proximité supprimée va céder la place à des maires shérifs. Le tout-répressif, avec ses symboles marquants ( flash ball, descentes de police médiatisées, visage omniprésent de Sarkozy...), paraît dominer la politique d’intervention au détriment de l’approche préventive, alors que ces deux approches devraient se compléter et que l’on ne devrait pas restreindre les crédits d’un côté pour les renforcer uniquement de l’autre.

Le défi permanent qui se pose est le suivant : comment anticiper et gérer les explosions de violences, alors que leurs causes profondes restent incertaines et que le contexte continue de s’aggraver (pauvreté, exclusion, chômage, discriminations) ?

Alors, demain, Pleurs sur la ville II  ?


Lire l'article complet, et les commentaires