Polémique autour des métiers de l’intelligence économique

par Franck Bulinge
mardi 5 décembre 2006

La publication d’une liste de métiers de l’intelligence économique suscite des polémiques (voir le blog IE des Echos). Il est une fois de plus regrettable de constater qu’en France, toute démarche tournée vers l’avenir suscite des réactions négatives, et souvent décourageantes.

Un flou conceptuel

L’intelligence économique est un mode de management « de et par » l’information et la connaissance. Elle vise trois types de capacités à atteindre : maîtrise et protection de l’information, influence stratégique. Cette définition montre que l’IE est essentiellement une agrégation de fonctions, idéalement une mise en synergie de compétences. Elle se traduit dans la réalité par une culture de l’information propre à chaque organisation, c’est-à-dire par sa capacité à intégrer l’usage informationnel dans la conduite de l’entreprise.

L’IE reste donc un concept flou dont l’ambiguïté repose sur un questionnement permanent : est-elle un état d’esprit, ou une fonction ? De ce choix dépend celui de l’organisation : compétences collectives, ou branche fonctionnelle ? La réponse se trouve sans doute à mi-chemin entre les deux.

Métiers et compétences

La notion de métier repose à la fois sur l’idée d’un art reconnu et sur celle d’une fonction identifiée au sein d’une organisation. Un art reconnu suppose des savoirs et des savoir-faire acquis au cours d’une formation, tandis que la fonction suppose un besoin identifié de compétences, formalisé par une fiche de poste. La formation à un métier suppose une reconnaissance professionnelle via l’attribution d’un diplôme ou d’une attestation d’apprentissage. La fonction requiert de son côté une qualification et une procédure de recrutement.

Il y aurait ainsi une relation directe entre art et fonction, formation et qualification, diplôme et recrutement. La situation paraît simple, elle l’est d’ailleurs dans bien des cas : chaudronnier, dentiste, pâtissier, pilote de ligne ou comptable sont autant de métiers répondant à des fonctions parfaitement identifiées sur le marché de l’emploi.

Dans le domaine de l’intelligence économique, les choses se compliquent un peu. En termes de métiers, on distinguera ceux qu’appelle la mise en œuvre d’une démarche d’IE : les métiers liés à la recherche/exploitation (veilleur, analyste, enquêteur... ?), ceux liés à la protection (juriste, ingénieur SSI, responsable sécurité... ?), enfin ceux liés à la stratégie (lobbyiste... ?). Il est évident que cette approche par agrégation est très limitative. De fait, les métiers existent indépendamment de l’IE, et leur interrelation n’est que théorique, excepté si l’organisation prévoit une fonction de coordination (en supposant que cette dernière ait les moyens de sa mission). Les points d’interrogation suggèrent par ailleurs l’émergence de métiers spécifiques non encore identifiés.

En termes de compétences, il ne suffit pas de dire que l’IE est l’affaire de tous pour exploiter ou développer des savoir-faire ; encore faut-il organiser la collectivité, sans que cela devienne une contrainte liée à un effet de mode. Or on s’aperçoit, à l’usage, qu’il s’agit moins d’un problème de compétences que d’une évolution des méthodes de travail, voire plus simplement des mentalités. Car les compétences collectives liées à l’IE reposent essentiellement sur le partage de l’information et des connaissances entre tous les acteurs de l’organisation. Tout cela semble bien théorique, mais il suffit par exemple d’aller au Vietnam pour observer concrètement ce qui chez nous reste à l’état de concept.

Fallait-il publier une liste de métiers ?

La réponse est oui, sans hésitation. La mise en œuvre d’un politique publique d’intelligence économique repose sur une reconnaissance de cette démarche, à travers notamment l’encouragement des entreprises à définir de nouvelles fonctions ou à organiser celles qui existent déjà. C’est l’essence même de cette politique que d’aboutir à la définition de métiers, non pas en les réinventant, mais en leur donnant une nouvelle tonalité en vue de créer de nouvelles synergies. Certains argueront qu’il s’agit d’une démarche cosmétique ou même d’une réappropriation, voire d’une usurpation fonctionnelle. La réponse est claire : si la compétitivité passe par la réorganisation du management ou des fonctions de l’entreprise, et par la création de postes spécifiques, personne ne devrait logiquement s’en plaindre.

La question de la formation

En outre, la définition des métiers de l’IE, même perfectible, prend acte de la diversité des compétences requises pour mettre en œuvre cette démarche. Elle fait apparaître l’impossible omniscience et la contradiction que supposerait la formation d’un « monsieur IE » au sein d’une entreprise. Rattachée à une logique de formation et de recrutement, la définition des métiers permet ainsi de clarifier les objectifs de formation initiale ou continue, dans une perspective d’évolution concrète à moyen terme. Ajoutons à cela que le HRIE a réuni autour de la table l’ensemble des parties prenantes du marché de l’emploi, dans une logique de concertation et de pragmatisme. Ayant émis quelques suggestions sur le travail de la commission, j’ai eu l’honneur d’y être admis dernièrement, preuve que le système est ouvert et évolutif.

La démarche du HRIE s’inscrit de fait dans une logique dont la critique systématique revient à récuser l’existence même d’une politique publique d’IE. Comme toute démarche volontariste, elle bute sur des réticences culturelles, idéologiques, voire sur des intérêts commerciaux, quand ce n’est pas tout simplement sur l’esprit de contradiction, notre sport national.


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